Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre

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Le Collier de la Reine, Tome I - Dumas Alexandre

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l'œil pendant ce débat, et le cocher goguenard ouvrait déjà une large bouche pour sourire en se félicitant de ce qu'il appelait peut-être plus bas une heureuse précaution.

      En vain les deux dames cherchèrent-elles, ni l'une ni l'autre ne trouva un sou.

      L'officier les vit s'impatienter, rougir et pâlir; la situation se compliquait.

      Les dames allaient se décider à donner une chaîne ou un bijou comme gage, lorsque l'officier, pour leur épargner tout regret qui eût blessé leur délicatesse, tira de sa bourse un louis qu'il tendit au cocher.

      Celui-ci prit le louis, l'examina, le soupesa, tandis que l'une des deux dames remerciait l'officier; puis il ouvrit sa portière, et la dame monta, suivie de sa compagne.

      – Et maintenant, maître drôle, dit le jeune homme au cocher, conduis ces dames, et rondement, loyalement surtout, entends-tu?

      – Oh! vous n'avez pas besoin de me recommander cela, mon officier. Cela va sans dire.

      Pendant ce court colloque, les dames se consultaient.

      En effet, elles voyaient avec terreur leur guide, leur protecteur, prêt à les quitter.

      – Madame, dit tout bas la plus jeune à sa compagne, il ne faut pas qu'il s'éloigne.

      – Pourquoi cela? demandons-lui son nom et son adresse; demain, nous lui enverrons son louis d'or avec un petit mot de remerciement que vous lui écrirez.

      – Non, madame, non, gardons-le, je vous en supplie: si le cocher est de mauvaise foi, s'il fait des difficultés en route… Par un pareil temps, les chemins sont mauvais, à qui nous adresserions-nous pour demander secours?

      – Oh! nous avons son numéro et la lettre de sa régie.

      – Fort bien, madame, et je ne nie pas que, plus tard, vous ne le fassiez rouer de coups; mais, en attendant, vous n'arriveriez pas cette nuit à Versailles; et que dira-t-on, grand Dieu!

      L'aînée des deux dames réfléchit.

      – C'est vrai, dit-elle.

      Mais déjà l'officier s'inclinait pour prendre congé.

      – Monsieur, monsieur, dit en allemand Andrée, un mot, un mot encore, s'il vous plaît.

      – À vos ordres, madame, répliqua l'officier visiblement contrarié, mais conservant dans son air, dans son ton et jusque dans l'accent de sa voix la plus exquise politesse.

      – Monsieur, continua Andrée, vous ne pouvez nous refuser une grâce après tant de services que vous nous avez déjà rendus.

      – Parlez.

      – Eh bien! nous vous l'avouerons, nous avons peur de ce cocher, qui a si mal entamé la négociation.

      – Vous avez tort de vous alarmer, dit-il; je sais son numéro, 107, la lettre de sa régie, Z. S'il vous causait quelque contrariété, adressez-vous à moi.

      – À vous! dit en français Andrée qui s'oublia; comment voulez-vous que nous nous adressions à vous, nous ne savons pas même votre nom.

      Le jeune homme fit un pas en arrière.

      – Vous parlez français, s'écria-t-il stupéfait, vous parlez français, et vous me condamnez, depuis une demi-heure, à écorcher l'allemand! Oh! vraiment, madame, c'est mal.

      – Excusez, monsieur, reprit en français l'autre dame, qui vint bravement au secours de sa compagne interdite. Vous voyez bien, monsieur, que, sans être étrangères peut-être, nous nous trouvons dépaysées dans Paris, dépaysées dans un fiacre surtout. Vous êtes assez homme du monde pour comprendre que nous ne nous trouvons pas dans une position naturelle. Ne nous obliger qu'à moitié, ce serait nous désobliger. Être moins discret que vous ne l'avez été jusqu'à présent, ce serait être indiscret. Nous vous jugeons bien, monsieur; veuillez ne pas nous juger mal; et, si vous pouvez nous rendre service, eh bien! faites-le sans réserve, ou permettez-nous de vous remercier et de chercher un autre appui.

      – Madame, répondit l'officier, frappé du ton à la fois noble et charmant de l'inconnue, disposez de moi.

      – Alors, monsieur, ayez l'obligeance de monter avec nous.

      – Dans le fiacre?

      – Et de nous accompagner.

      – Jusqu'à Versailles?

      – Oui, monsieur.

      L'officier, sans répliquer, monta dans le fiacre, se plaça sur le devant et cria au cocher:

      – Touche!

      Les portières fermées, les mantelets et les fourrures mis en commun, le fiacre prit la rue Saint-Thomas-du-Louvre, traversa la place du Carrousel, et se mit à rouler par les quais.

      L'officier se blottit dans un coin, en face de l'aînée des deux femmes, sa redingote soigneusement étendue sur ses genoux.

      Le silence le plus profond régnait à l'intérieur.

      Le cocher, soit qu'il voulût fidèlement tenir le marché, soit que la présence de l'officier le maintînt par une crainte respectueuse dans le cercle de la loyauté, le cocher fit courir ses maigres rosses avec persévérance sur le pavé glissant des quais et du chemin de la Conférence.

      Cependant, l'haleine des trois voyageurs échauffait insensiblement le fiacre. Un parfum délicat épaississait l'air et portait au cerveau du jeune homme des impressions qui, d'instants en instants, devenaient moins défavorables à ses compagnes.

      «Ce sont, pensait-il, des femmes attardées dans quelque rendez-vous, et les voilà qui regagnent Versailles, un peu effrayées, un peu honteuses.

      «Cependant, comment ces dames, continuait en lui-même l'officier, si elles sont femmes de quelque distinction, vont-elles dans un cabriolet, et surtout le conduisent-elles elles-mêmes?

      «Oh! à cela, il y a une réponse.

      «Le cabriolet était trop étroit pour trois personnes, et deux femmes n'iront pas se gêner pour mettre un laquais auprès d'elles.

      «Mais pas d'argent sur l'une ni l'autre! objection fâcheuse et qui mérite qu'on y réfléchisse.

      «Sans doute le laquais avait la bourse. Le cabriolet, qui doit être en pièces maintenant, était d'une élégance parfaite, et le cheval… si je me connais en chevaux, valait cent cinquante louis. Il n'y a que des femmes riches qui puissent abandonner un pareil cabriolet et un pareil cheval sans le regretter. L'absence d'argent ne signifie donc absolument rien.

      «Oui, mais cette manie de parler une langue étrangère quand on est Française.

      «Bon; mais cela prouve justement une éducation distinguée. Il n'est pas naturel aux aventurières de parler l'allemand avec cette pureté toute germanique, et le français comme des Parisiennes.

      «D'ailleurs, il y a une distinction native chez ces femmes.

      «La supplique de la jeune était touchante.

      «La requête de l'aînée était noblement impérieuse.

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