Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre

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Le Collier de la Reine, Tome I - Dumas Alexandre

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avait dû, certes, guerroyer aussi vaillamment que le faisait Weber pour se maintenir où il était.

      La figure gracieuse et distinguée, la taille élevée, l'air martial du jeune homme plurent à la dame, qui s'empressa de répliquer en allemand:

      – Oh! mon Dieu! monsieur, j'ignorais cette ordonnance; je l'ignorais complètement.

      – Vous êtes étrangère, madame? demanda le jeune officier.

      – Oui, monsieur; mais, dites-moi, que dois-je faire? on brise mon cabriolet.

      – Il faut le laisser briser, madame, et vous dérober pendant ce temps-là. Le peuple de Paris est furieux contre les riches qui affichent le luxe en face de la misère, et en vertu de l'ordonnance rendue ce matin, on vous conduira chez le commissaire.

      – Oh! jamais, s'écria la plus jeune des deux dames, jamais!

      – Alors, reprit l'officier en riant, profitez de la trouée que je vais faire dans la foule, et disparaissez.

      Ces mots furent dits d'un ton dégagé, qui fit comprendre aux étrangères que l'officier avait entendu les commentaires du peuple sur les filles entretenues par MM. de Soubise et d'Hennin.

      Mais ce n'était pas le moment de pointiller.

      – Donnez-nous le bras jusqu'à une voiture de place, monsieur, dit l'aînée des deux dames avec une voix pleine d'autorité.

      – J'allais faire cabrer votre cheval, et dans le trouble produit nécessairement par ce mouvement, vous vous seriez enfuies; car, ajouta le jeune homme, qui ne demandait pas mieux que de décliner la responsabilité d'un hasardeux patronage, le peuple se fatigue de nous entendre parler une langue qu'il ne comprend pas.

      – Weber! cria la dame d'une voix forte, fais cabrer Bélus pour que toute cette foule s'effraie et s'écarte.

      – Et puis, madame…

      – Et puis, reste pendant que nous partirons.

      – Et s'ils brisent la caisse?

      – Qu'ils brisent, que t'importe; sauve Bélus si tu peux, et toi surtout; voilà la seule chose que je te recommande.

      – Bien, madame, répondit Weber.

      Et, au même instant, il chatouilla l'irritable irlandais, qui bondit au milieu de la cour, et renversa les plus passionnés, qui s'étaient cramponnés à la bride et aux brancards.

      Grandes furent en ce moment la terreur et la confusion.

      – Votre bras, monsieur, dit alors la dame à l'officier; venez, petite, ajouta-t elle, en se retournant vers Andrée.

      – Allons, allons, femme de courage! murmura tout bas l'officier, qui donna sur-le-champ, et avec une admiration réelle, son bras à celle qui le lui demandait.

      En quelques minutes, il avait conduit les deux femmes à la place voisine, où des fiacres stationnaient en attendant la pratique, les cochers dormant sur leurs sièges, tandis que leurs chevaux, l'œil à demi fermé et la tête basse, attendaient la maigre pitance du soir.

      Chapitre V

      Route de Versailles

      Les deux dames se trouvaient hors des atteintes de la foule, mais il était à craindre que quelques curieux les ayant suivies ne les fissent reconnaître, ne renouvelassent une scène pareille à celle qui venait d'avoir lieu et à laquelle, cette fois, elles échapperaient peut-être plus difficilement.

      Le jeune officier comprit cette alternative; on le vit bien à l'activité qu'il déploya en éveillant sur son siège le cocher encore plus gelé qu'endormi.

      Il faisait si horriblement froid que, contrairement à l'habitude des cochers qui se piquent d'émulation en se volant les pratiques l'un à l'autre, aucun des automédons à vingt-quatre sous l'heure ne bougea, pas même celui auquel on s'adressait.

      L'officier saisit le cocher par le collet de son pauvre surtout, et le secoua si rudement qu'il le tira de son engourdissement.

      – Holà! hé! cria le jeune homme à son oreille, voyant qu'il donnait signe de vie.

      – Voilà, maître, voilà, dit le cocher rêvant encore et chancelant sur son siège comme un homme ivre.

      – Où allez-vous, mesdames? demanda l'officier, en allemand toujours.

      – À Versailles, répondit l'aînée des deux dames en continuant toujours la même langue.

      – À Versailles! s'écria le cocher, vous avez dit à Versailles?

      – Sans doute.

      – Ah! bien oui, à Versailles! Quatre lieues et demie par une glace pareille! Non, non, non.

      – On paiera bien, dit l'aînée des Allemandes.

      – On paiera, répéta en français l'officier au cocher.

      – Et combien paiera-t-on? fit celui-ci du haut de son siège, car il ne paraissait pas avoir une énorme confiance. Ce n'est pas le tout, voyez-vous, mon officier, d'aller à Versailles: une fois qu'on y est allé, il faut en revenir.

      – Un louis, est-ce assez? dit la plus jeune des deux dames à l'officier, en continuant de germaniser.

      – On t'offre un louis, répéta le jeune homme.

      – Un louis, c'est bien juste, grommela le cocher, car je risque de casser les jambes à mes chevaux.

      – Drôle! s'écria l'officier, tu n'as droit qu'à trois livres pour aller d'ici au château de la Muette, qui est à moitié chemin. Tu vois bien qu'à ce calcul-là, en te payant l'aller et le retour, tu n'as droit qu'à douze livres, et, au lieu de douze, tu vas en recevoir vingt-quatre.

      – Oh! ne marchandez pas, dit l'aînée des deux dames. Deux louis, trois louis, vingt louis, pourvu qu'il parte à l'instant même et qu'il marche sans s'arrêter.

      – Un louis suffit, madame, répondit l'officier.

      Puis, revenant au cocher:

      – Allons, coquin, en bas de ton siège et ouvre la portière, dit-il.

      – Je veux être payé d'abord, dit le cocher.

      – Tu veux!

      – C'est mon droit.

      L'officier fit un mouvement en avant.

      – Payons d'avance; payons, dit l'aînée des Allemandes.

      Et elle fouilla rapidement à sa poche.

      – Oh! mon Dieu! dit-elle tout bas à sa compagne, je n'ai pas ma bourse.

      – Vraiment?

      – Et vous, Andrée, avez-vous la vôtre?

      La jeune femme se fouilla à son tour avec la même anxiété.

      – Moi… moi, non plus.

      – Voyez

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