Le Collier de la Reine, Tome I. Dumas Alexandre
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– Vous rentrez, alors?
– Nous le voudrions bien, rentrer.
– Est-ce que vous n'avez pas appelé Laurent?
– Si fait.
– Alors?
– Alors, appelez un peu Laurent, à votre tour, et vous allez voir.
– Oui, oui, appelez, monseigneur, et vous verrez.
Le jeune homme, que l'on a sans doute reconnu pour le comte d'Artois, s'approcha à son tour, et de nouveau:
– Laurent! cria-t-il en frappant à la porte.
– Bon, voilà la plaisanterie qui va recommencer, dit la voix du Suisse; je vous préviens que si vous me tourmentez plus longtemps, je vais appeler mon officier.
– Qu'est-ce que cela? dit le jeune homme interdit en se retournant vers la reine.
– Un Suisse que l'on a substitué à Laurent, voilà tout.
– Et qui cela?
– Le roi.
– Le roi!
– Dame! lui-même nous l'a dit tout à l'heure.
– Et avec une consigne?..
– Féroce, à ce qu'il paraît.
– Diable! capitulons.
– Comment cela?
– Donnons de l'argent à ce drôle.
– Je lui en ai offert; il a refusé.
– Offrons-lui des galons.
– Je les lui ai offerts.
– Et?..
– Il n'a voulu entendre à rien.
– Il n'y a qu'un moyen, alors.
– Lequel?
– Je vais faire du bruit.
– Vous allez nous compromettre; non, mon cher Charles, je vous en supplie!
– Je ne vous compromettrai pas le moins du monde.
– Oh!
– Vous allez vous mettre à l'écart, je frapperai comme un sourd, je crierai comme un aveugle, on finira par m'ouvrir, et vous passerez derrière moi.
– Essayez.
Le jeune prince se mit de nouveau à appeler Laurent, puis à heurter, puis à faire un tel vacarme avec la poignée de son épée que le Suisse furieux lui cria:
– Ah! c'est comme cela. Eh bien! j'appelle mon officier.
– Eh! pardieu! appelle, drôle! C'est ce que je demande depuis un quart d'heure.
Un instant après, on entendit des pas de l'autre côté de la porte. La reine et Andrée se placèrent derrière le comte d'Artois, toutes prêtes à profiter du passage qui, selon toute probabilité, allait lui être ouvert.
On entendit le Suisse expliquer toute la cause de ce bruit.
– Mon lieutenant, dit-il, ce sont des dames avec un homme qui vient de m'appeler drôle. Ils veulent entrer de force.
– Eh bien! qu'y a-t-il d'étonnant à cela que nous désirions rentrer, puisque nous sommes du château?
– Ce peut être un désir naturel, monsieur, mais c'est défendu, répliqua l'officier.
– Défendu! et par qui donc? morbleu!
– Par le roi.
– Je vous demande pardon; mais le roi ne peut pas vouloir qu'un officier du château couche dehors.
– Monsieur, ce n'est point à moi de scruter les intentions du roi; c'est à moi de faire ce que le roi m'ordonne, voilà tout.
– Voyons, lieutenant, ouvrez un peu la porte, afin que nous causions autrement qu'à travers une planche.
– Monsieur, je vous répète que ma consigne est de tenir la porte fermée. Or, si vous êtes officier, comme vous le dites, vous devez savoir ce que c'est qu'une consigne.
– Lieutenant, vous parlez au colonel d'un régiment.
– Mon colonel, excusez-moi, mais ma consigne est formelle.
– La consigne n'est pas faite pour un prince. Voyons, monsieur, un prince ne couche pas dehors, et je suis prince.
– Mon prince, vous me mettez au désespoir, mais il y a un ordre du roi.
– Le roi vous a-t-il ordonné de chasser son frère comme un mendiant ou un voleur? Je suis le comte d'Artois, monsieur! Mordieu! vous risquez gros à me faire ainsi geler à la porte.
– Monseigneur le comte d'Artois, dit le lieutenant, Dieu m'est témoin que je donnerais tout mon sang pour Votre Altesse Royale; mais le roi m'a fait l'honneur de me dire à moi-même, en me confiant la garde de cette porte, de n'ouvrir à personne, pas même à lui, le roi, s'il se présentait après onze heures. Ainsi, monseigneur, je vous demande pardon en toute humilité; mais je suis un soldat, et quand je verrais à votre place, derrière cette porte, Sa Majesté la reine transie de froid, je répondrais à Sa Majesté ce que je viens d'avoir la douleur de vous répondre.
Cela dit, l'officier murmura un bonsoir des plus respectueux et regagna lentement son poste.
Quant au soldat, collé au port d'armes contre la cloison même, il n'osait plus respirer, et son cœur battait si fort, que le comte d'Artois, en s'adossant de son côté à la porte, en eût senti les pulsations.
– Nous sommes perdues! dit la reine à son beau-frère en lui prenant la main.
Celui-ci ne répliqua rien.
– On sait que vous êtes sortie? demanda-t-il.
– Hélas! je l'ignore, dit la reine.
– Peut-être aussi n'est-ce que contre moi, ma sœur, que le roi a dirigé cette consigne. Le roi sait que je sors la nuit, que je rentre quelquefois tard. Mme la comtesse d'Artois aura su quelque chose, elle se sera plainte à Sa Majesté: de là cet ordre tyrannique!
– Oh! non, non, mon frère; je vous remercie de tout mon cœur de la délicatesse que vous mettez à me rassurer. Mais c'est bien pour moi, ou plutôt contre moi, que la mesure est prise, allez!
– Impossible, ma sœur, le roi a trop d'estime…
– En attendant, je suis à la porte, et demain un scandale affreux résultera d'une chose bien innocente. Oh! j'ai un ennemi près du roi; je le sais bien.
– Vous avez un ennemi près du roi, petite sœur;