Le Capitaine Aréna — Tome 1. Dumas Alexandre

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Le Capitaine Aréna — Tome 1 - Dumas Alexandre

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bien différents pour les deux jeunes gens des jours et des mois de Tannée précédente: le terme fixé pour l'expiration du deuil était le 12 septembre: le 15 les jeunes gens devaient être unis.

      Ce jour bienheureux, que dans leur impatience ils ne croyaient jamais atteindre, arriva enfin.

      La cérémonie eut lieu au château de la Bruca. Toute la noblesse des environs était conviée à la fête; à onze heures du matin les jeunes gens furent unis à la chapelle. Costanza et Albano n'eussent point échangé leur sort contre l'empire du monde.

      Après la messe, chacun se dispersa dans les vastes jardins du château jusqu'à ce que la cloche sonnât l'heure du dîner. Le repas fut homérique, quatre-vingts personnes étaient réunies à la même table.

      Les portes de la salle à manger donnaient d'un côté sur le jardin splendidement illuminé, de l'autre dans un vaste salon où tout était préparé pour le bal; de l'autre côté du salon était la chambre nuptiale que devaient occuper les jeunes époux.

      Le bal commença avec cette frénésie toute particulière aux Siciliens; chez eux tous les sentiments sont portés à l'excès: ce qui chez les autres peuples n'est qu'un plaisir est chez eux une passion, les deux nouveaux époux donnaient l'exemple, et chacun paraissait heureux de leur bonheur.

      A minuit deux masques entrèrent vêtus de costumes de paysans siciliens et portant entre leurs bras un mannequin vêtu d'une longue robe noire et ayant la forme d'un homme. Ce mannequin était masqué comme eux et portait sur la poitrine le mot tristizia brodé en argent; dans ce doux patois sicilien, qui renchérit encore en velouté sur la langue italienne, ce mot veut dire tristesse.

      Les deux masques entrèrent gravement, déposèrent le mannequin sur une ottomane, et se mirent à faire autour de lui des lamentations comme on a l'habitude d'en faire près des morts qu'on va ensevelir. Dès lors l'intention était frappante: après une année de douleur s'ouvrait pour les deux familles un avenir de joie, et les masques faisaient allusion à cette douleur passée et à cet avenir en portant la tristesse en terre. Quoique peut-être on eût pu choisir quelque allégorie de meilleur goût que celle-là, les nouveaux venus n'en furent pas moins gracieusement accueillis par le maître de la maison; et toutes danses cessant à l'instant même, on se réunit autour d'eux pour ne rien perdre du spectacle à la fois funèbre et comique dont ils étaient si inopinément venus réjouir la société.

      Alors les masques, se voyant l'objet de l'attention générale, commencèrent une pantomime expressive, mêlée à la fois de plaintes et de danses. De temps en temps ils interrompaient leurs pas pour s'approcher du mannequin de la tristesse et pour essayer de le réveiller en le secouant; mais voyant que rien ne pouvait le tirer de sa léthargie, ils reprenaient leur danse, qui de moment en moment prenait un caractère plus sombre et plus funèbre. C'étaient des figures inconnues, des cadences lentes, des tournoiements prolongés, le tout exécuté sur un chant triste et monotone qui commença à faire passer dans le cœur des assistants une terreur secrète qui finit par se répandre dans toute la salle et devenir générale.

      Dans un moment de silence, où le chant venait de cesser et où les assistants écoutaient encore, une corde de la harpe se brisa avec ce frémissement sec et clair qui va au cœur. La jeune mariée poussa un faible cri. On sait que cet accident est généralement regardé comme un présage de mort.

      Alors, d'une voix presque générale, on cria aux deux danseurs d'ôter leurs masques.

      Mais l'un des deux, levant le doigt comme pour imposer silence, répondit en son nom et en celui de son compagnon qu'ils ne voulaient se faire connaître qu'au jeune comte Albano. La demande était juste, car c'est une habitude en Sicile, lorsqu'on arrive masqué dans quelque bal ou dans quelque soirée, de ne se démasquer que pour le maître de la maison. Le jeune comte ouvrit donc la porte de la chambre voisine, pour faire comprendre aux *masqués que si l'on exigeait qu'ils lui livrassent leur secret, ce secret du moins serait connu de loi seul. Les deux danseurs prirent aussitôt leur mannequin, entrèrent en dansant dans la chambre; le comte Albano les y suivit, et la porte se referma derrière eux.

      En ce moment, et comme si la présence seule des étrangers avait empêché la fête de continuer, l'orchestre donna le signal de la contredanse: les quadrilles se reformèrent, et le bal recommença.

      Cependant près de vingt minutes se passèrent sans qu'on vit reparaître ni les masques ni le comte. La contredanse finit an milieu d'un malaise général, et comme si chacun eût senti qu'an malheur inconnu planait au-dessus la fête. Enfin, comme la mariée inquiète allait prier son père d'entrer dans la chambre, la porte se rouvrit et les deux masques reparurent.

      Ils avaient changé de costume et avaient passé un habit noir à l'espagnole: sous ce vêtement plus dégagé que l'autre, on put remarquer, à la finesse de la taille de l'un d'eux, que ce devait être une femme. Ils avaient un crêpe au bras, un crêpe à leur toque, et portaient leur mannequin comme lorsqu'ils étaient entrés; seulement le drap rouge qui l'enveloppait montait plus haut et descendait plus bas que lors de leur première apparition.

      Comme la première fois ils posèrent leur mannequin sur une ottomane et se mirent à recommencer leurs danses symboliques, seulement ces danses avaient un caractère plus funèbre encore qu'auparavant. Les deux danseurs s'agenouillaient, poussant de tristes lamentations, levant les bras au ciel, et exprimant par toutes les attitudes possibles la douleur qu'ils avaient commencé par parodier. Bientôt cette pantomime si singulièrement prolongée commença de préoccuper les assistants et surtout la mariée qui, inquiète de ne pas voir revenir son mari, se glissa dans la chambre voisine, où elle croyait le retrouver; mais à peine y était-elle entrée que l'on entendit un cri, et qu'elle reparut sur le seuil, pâle, tremblante et appelant Albano. Le comte de la Bruca accourut aussitôt vers elle pour lui demander la cause de sa terreur; mais, incapable de répondre à cette question, elle chancela, prononça quelques paroles inarticulées, montra la chambre et s'évanouit.

      Cet accident attira l'attention de toute l'assemblée sur la jeune femme: chacun se pressa autour d'elle, les uns par curiosité, les autres par intérêt. Enfin elle reprit ses sens et, regardant autour d'elle, elle appela avec un cri de terreur profonde Albano, que personne n'avait revu.

      Alors seulement on songea aux masques, et l'on se retourna du côté où on les avait laissés pour leur demander ce qu'ils avaient fait du jeune comte; mais les deux masques, profitant de la confusion générale, avaient disparu.

      Le mannequin seul était resté sur l'ottomane, roide, immobile et recouvert de son linceul de pourpre.

      Alors on s'approcha de lui, on souleva un pan du linceul, et l'on sentit une main d'homme, mais froide et crispée; en une seconde on déroula le drap qui l'enveloppait, et l'on vit que c'était un cadavre. On arracha le masque, et l'on reconnut le jeune comte Albano.

      Il avait été étranglé dans la chambre voisine, si inopinément et si rapidement sans doute, qu'on n'avait pas entendu un seul cri; seulement les assassins, avec un sang-froid qui faisait honneur à leur impassibilité, avaient déposé une couronne de cyprès sur de lit nuptial.

      C'était cette couronne plus encore que l'absence de son fiancé qui avait si fort épouvanté Costanza.

      Tout ce qu'il y avait d'hommes dans la salle, parents, amis, domestiques, se précipitèrent à la poursuite des assassins; mais toutes les recherches furent inutiles; le château de la Bruca était isolé, situé au pied des montagnes, et il n'avait pas fallu plus de deux minutes aux deux terribles masques pour gagner ces montagnes et s'y cacher à tous les yeux.

      Costanza, à la vue du cadavre

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