Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre
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Читать онлайн книгу Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre страница 37
– Et tu en retires de gros intérêts, dit Porthos en riant comme un tonnerre.
Planchet revint à sa ménagère.
– Ma chère amie, dit-il, vous voyez là les deux hommes qui ont conduit une partie de mon existence. Je vous les ai nommés bien des fois tous les deux.
– Et deux autres encore, dit la dame avec un accent flamand des plus prononcés.
– Madame est Hollandaise? demanda d'Artagnan.
Porthos frisa sa moustache, ce que remarqua d'Artagnan, qui remarquait tout.
– Je suis Anversoise, répondit la dame.
– Et elle s'appelle dame Gechter, dit Planchet.
– Vous n'appelez point ainsi madame, dit d'Artagnan.
– Pourquoi cela? demanda Planchet.
– Parce que ce serait la vieillir chaque fois que vous l'appelleriez.
– Non, je l'appelle Trüchen.
– Charmant nom, dit Porthos.
– Trüchen, dit Planchet, m'est arrivée de Flandre avec sa vertu et deux mille florins. Elle fuyait un mari fâcheux qui la battait. En ma qualité de Picard, j'ai toujours aimé les Artésiennes. De l'Artois à la Flandre, il n'y a qu'un pas. Elle vint pleurer chez son parrain, mon prédécesseur de la rue des Lombards; elle plaça chez moi ses deux milles florins que j'ai fait fructifier, et qui lui en rapportent dix mille.
– Bravo, Planchet!
– Elle est libre, elle est riche; elle a une vache, elle commande à une servante et au père Célestin; elle me file toutes mes chemises, elle me tricote tous mes bas d'hiver elle ne me voit que tous les quinze jours, et elle veut bien se trouver heureuse.
– Heureuse che suis effectivement… dit Trüchen avec abandon.
Porthos frisa l'autre hémisphère de sa moustache.
«Diable! diable! pensa d'Artagnan, est-ce que Porthos aurait des intentions?..»
En attendant, Trüchen, comprenant de quoi il était question, avait excité sa cuisinière, ajouté deux couverts, et chargé la table de mets exquis, qui font d'un souper un repas, et d'un repas un festin.
Beurre frais, boeuf salé, anchois et thon, toute l'épicerie de
Planchet.
Poulets, légumes, salade, poisson d'étang, poisson de rivière, gibier de forêt, toutes les ressources de la province.
De plus, Planchet revenait du cellier, chargé de dix bouteilles dont le verre disparaissait sous une épaisse couche de poudre grise.
Cet aspect réjouit le coeur de Porthos.
– J'ai faim, dit-il.
Et il s'assit près de dame Trüchen avec un regard assassin.
D'Artagnan s'assit de l'autre côté.
Planchet, discrètement et joyeusement, se plaça en face.
– Ne vous ennuyez pas, dit-il, si, pendant le souper, Trüchen quitte souvent la table; elle surveille vos chambres à coucher.
En effet, la ménagère faisait de nombreux voyages, et l'on entendait au premier étage gémir les bois de lit et crier des roulettes sur le carreau.
Pendant ce temps, les trois hommes mangeaient et buvaient, Porthos surtout.
C'était merveille que de les voir.
Les dix bouteilles étaient dix ombres lorsque Trüchen redescendit avec du fromage.
D'Artagnan avait conservé toute sa dignité.
Porthos, au contraire, avait perdu une partie de la sienne.
On chantait bataille, on parla chansons.
D'Artagnan conseilla un nouveau voyage à la cave, et, comme Planchet ne marchait pas avec toute la régularité du sçavant fantassin, le capitaine des mousquetaires proposa de l'accompagner.
Ils partirent donc en fredonnant des chansons à faire peur aux diables les plus flamands.
Trüchen demeura à table près de Porthos.
Tandis que les deux gourmets choisissaient derrière les falourdes, on entendit ce bruit sec et sonore que produisent, en faisant le vide, deux lèvres sur une joue.
«Porthos se sera cru à La Rochelle», pensa d'Artagnan.
Ils remontèrent chargés de bouteilles.
Planchet n'y voyait plus, tant il chantait.
D'Artagnan, qui y voyait toujours, remarqua combien la joue gauche de Trüchen était plus rouge que la droite.
Or, Porthos souriait à la gauche de Trüchen, et frisait, de ses deux mains, les deux côtés de ses moustaches à la fois.
Trüchen souriait aussi au magnifique seigneur.
Le vin pétillant d'Anjou fit des trois hommes trois diables d'abord, trois soliveaux ensuite.
D'Artagnan n'eut que la force de prendre un bougeoir pour éclairer à Planchet son propre escalier.
Planchet traîna Porthos, que poussait Trüchen, fort joviale aussi de son côté.
Ce fut d'Artagnan qui trouva les chambres et découvrit les lits. Porthos se plongea dans le sien, déshabillé par son ami le mousquetaire.
D'Artagnan se jeta sur le sien en disant:
– Mordioux! j'avais cependant juré de ne plus toucher à ce vin jaune qui sent la pierre à fusil. Fi! si les mousquetaires voyaient leur capitaine dans un pareil état!
Et, tirant les rideaux du lit:
– Heureusement qu'ils ne me verront pas, ajouta-t-il.
Planchet fut enlevé dans les bras de Trüchen, qui le déshabilla et ferma rideaux et portes.
– C'est divertissant, la campagne, dit Porthos en allongeant ses jambes qui passèrent à travers le bois du lit, ce qui produisit un écroulement énorme auquel nul ne prit garde, tant on s'était diverti à la campagne de Planchet.
Tout le monde ronflait à deux heures de l'après minuit.
Chapitre CXLV – Ce que l'on voit de la maison de Planchet
Le lendemain trouva les trois héros dormant du meilleur coeur.
Trüchen avait fermé les volets en femme qui craint, pour des yeux alourdis, la première visite du soleil levant.
Aussi faisait-il nuit noire sous les rideaux de Porthos et sous le baldaquin de Planchet, quand d'Artagnan, réveillé le premier, par un rayon indiscret qui perçait les fenêtres, sauta à bas du lit, comme