Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre
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Читать онлайн книгу Le vicomte de Bragelonne, Tome III. - Dumas Alexandre страница 33
– Comment cela!
– Vous arrivez à Fontainebleau, n'est-ce pas?
– Oui.
– Vous y trouverez M. Fouquet?
– Oui.
– Chez le roi probablement?
– Chez le roi, répéta majestueusement Porthos.
– Et vous l'abordez en lui disant: «Monsieur Fouquet, j'ai l'honneur de vous prévenir que je viens de quitter Saint-Mandé.»
– Et, dit Porthos avec la même majesté, me voyant à Fontainebleau chez le roi, M. Fouquet ne pourra pas dire que je mens.
– Mon cher Porthos, j'ouvrais la bouche pour vous le dire; vous me devancez en tout. Oh! Porthos! quelle heureuse nature vous êtes! l'âge n'a pas mordu sur vous.
– Pas trop.
– Alors tout est dit.
– Je crois que oui.
– Vous n'avez plus de scrupules?
– Je crois que non.
– Alors je vous emmène.
– Parfaitement; je vais faire seller mes chevaux.
– Vous avez des chevaux ici?
– J'en ai cinq.
– Que vous avez fait venir de Pierrefonds?
– Que M. Fouquet m'a donnés.
– Mon cher Porthos, nous n'avons pas besoin de cinq chevaux pour deux; d'ailleurs, j'en ai déjà trois à Paris, cela ferait huit; ce serait trop.
– Ce ne serait pas trop si j'avais mes gens ici; mais, hélas! je ne les ai pas.
– Vous regrettez vos gens?
– Je regrette Mousqueton, Mousqueton me manque.
– Excellent coeur! dit d'Artagnan; mais, croyez-moi, laissez vos chevaux ici comme vous avez laissé Mousqueton là-bas.
– Pourquoi cela?
– Parce que, plus tard…
– Eh bien?
– Eh bien! plus tard, peut-être sera-t-il bien que M. Fouquet ne vous ait rien donné du tout.
– Je ne comprends pas, dit Porthos.
– Il est inutile que vous compreniez.
– Cependant…
– Je vous expliquerai cela plus tard, Porthos.
– C'est de la politique, je parie.
– Et de la plus subtile.
Porthos baissa la tête sur ce mot de politique; puis, après un moment de rêverie, il ajouta:
– Je vous avouerai, d'Artagnan, que je ne suis pas politique.
– Je le sais, pardieu! bien.
– Oh! nul ne sait cela; vous me l'avez dit vous-même, vous, le brave des braves.
– Que vous ai-je dit, Porthos?
– Que l'on avait ses jours. Vous me l'avez dit et je l'ai éprouvé. Il y a des jours où l'on éprouve moins de plaisir que dans d'autres à recevoir des coups d'épée.
– C'est ma pensée.
– C'est la mienne aussi, quoique je ne croie guère aux coups qui tuent.
– Diable! vous avez tué, cependant?
– Oui, mais je n'ai jamais été tué.
– La raison est bonne.
– Donc, je ne crois pas mourir jamais de la lame d'une épée ou de la balle d'un fusil.
– Alors, vous n'avez peur de rien?.. Ah! de l'eau, peut-être?
– Non, je nage comme une loutre.
– De la fièvre quartaine?
– Je ne l'ai jamais eue, et ne crois point l'avoir jamais; mais je vous avouerai une chose…
Et Porthos baissa la voix.
– Laquelle? demanda d'Artagnan en se mettant au diapason de
Porthos.
– Je vous avouerai, répéta Porthos, que j'ai une horrible peur de la politique.
– Ah! bah! s'écria d'Artagnan.
– Tout beau! dit Porthos d'une voix de stentor. J'ai vu Son Éminence M. le cardinal de Richelieu et Son Éminence M. le cardinal de Mazarin; l'un avait une politique rouge, l'autre une politique noire. Je n'ai jamais été beaucoup plus content de l'une que de l'autre: la première a fait couper le cou à M. de Marcillac, à M. de Thou, à M. de Cinq-Mars, à M. de Chalais, à M. de Boutteville, à M. de Montmorency; la seconde a fait écharper une foule de frondeurs, dont nous étions, mon cher.
– Dont, au contraire, nous n'étions pas, dit d'Artagnan.
– Oh! si fait; car si je dégainais pour le cardinal moi, je frappais pour le roi.
– Cher Porthos!
– J'achève. Ma peur de la politique est donc telle, que, s'il y a de la politique là-dessous, j'aime mieux retourner à Pierrefonds.
– Vous auriez raison, si cela était; mais avec moi, cher Porthos, jamais de politique, c'est net. Vous avez travaillé à fortifier Belle-Île; le roi a voulu savoir le nom de l'habile ingénieur qui avait fait les travaux; vous êtes timide comme tous les hommes d'un vrai mérite; peut-être Aramis veut-il vous mettre sous le boisseau. Moi, je vous prends; moi, je vous déclare; moi, je vous produis; le roi vous récompense et voilà toute ma politique.
– C'est la mienne, morbleu! dit Porthos en tendant la main à d'Artagnan.
Mais d'Artagnan connaissait la main de Porthos; il savait qu'une fois emprisonnée entre les cinq doigts du baron, une main ordinaire n'en sortait pas sans foulure. Il tendit donc, non pas la main, mais le poing à son ami. Porthos ne s'en aperçut même pas. Après quoi ils sortirent tous deux de Saint-Mandé.
Les gardiens chuchotèrent bien un peu et se dirent à l'oreille quelques paroles que d'Artagnan comprit, mais qu'il se garda bien de faire comprendre à Porthos.
«Notre ami, dit-il, était bel et bien prisonnier d'Aramis. Voyons ce qu'il va résulter de la mise en liberté de ce conspirateur.»
Chapitre CXLIII – Le rat et le fromage
D'Artagnan