Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

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Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre

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que lui laissait libre le jeune seigneur, d'un seul élan le capitaine se trouva en croupe.

      Le baron avait dit vrai: son cheval n'était point habitué à une si lourde charge; aussi essaya-t-il d'abord de s'en débarrasser; mais le capitaine non plus n'avait point menti, et l'animal sentit bientôt qu'il avait affaire à plus forts que lui. De sorte qu'après deux ou trois écarts qui n'eurent d'autres résultats que de faire valoir aux yeux des passants l'adresse des deux cavaliers, il prit le parti de l'obéissance, et descendit au grand trot le quai de l'École, qui, à cette époque, n'était encore qu'un port, traversa, toujours du même train, le quai du Louvre et le quai des Tuileries, franchit la porte de la Conférence, et, laissant à gauche le chemin de Versailles, enfila la grande avenue des Champs-Élysées qui conduit aujourd'hui à l'arc de triomphe de l'Étoile. Parvenu au pont d'Antin le baron de Valef ralentit un peu l'allure de son cheval car il vit qu'il avait tout le temps d'arriver à la porte Maillot vers l'heure convenue. Le capitaine profita de ce moment de répit.

      – Maintenant, monsieur, sans indiscrétion, dit-il, puis-je vous demander pour quelle raison nous allons nous battre? J'ai besoin; vous comprenez, d'être instruit de cela pour régler ma conduite envers mon adversaire, et pour savoir si la chose vaut la peine que je le tue.

      – C'est trop juste, capitaine, répondit le baron. Voici les faits tels qu'ils se sont passés. Nous soupions hier soir chez la Fillon. Il n'est pas que vous ne connaissiez la Fillon, capitaine?

      – Pardieu! c'est moi qui l'ai lancée dans le monde, en 1705, avant mes campagnes d'Italie.

      – Eh bien! répondit en riant le baron, vous pouvez vous vanter, capitaine, d'avoir formé là une élève qui vous fait honneur! Bref, nous soupions donc chez elle tête à tête avec d'Harmental.

      – Sans aucune créature du beau sexe? demanda le capitaine.

      – Oh! mon Dieu! oui. Il faut vous dire que d'Harmental est une espèce de trappiste, n'allant chez la Fillon que de peur de passer pour n'y point aller, n'aimant qu'une femme à la fois, et amoureux pour le quart d'heure de la petite d'Averne, la femme du lieutenant aux gardes.

      – Très bien.

      – Nous étions donc là parlant de nos affaires, lorsque nous entendîmes une joyeuse société qui entrait dans le cabinet à côté du nôtre. Comme ce que nous avions à nous dire ne regardait personne, nous fîmes silence et ce fut nous qui, sans le vouloir, écoutâmes la conversation de nos voisins. Or, voyez ce que c'est que le hasard! nos voisins parlaient justement de la seule chose qu'il aurait fallu que nous n'entendissions pas.

      – De la maîtresse du chevalier, peut-être?

      – Vous l'avez dit. Aux premiers mots qui m'arrivèrent de leurs discours, je me levai pour emmener Raoul; mais, au lieu de me suivre, il me mit la main sur l'épaule et me fit rasseoir.

      – Ainsi donc, disait une voix, Philippe en tient pour la petite d'Averne?

      – Depuis la fête de la maréchale d'Estrées, où, déguisée en Vénus, elle lui a donné un ceinturon d'épée accompagné de vers où elle le comparait à Mars.

      – Mais il y a déjà huit jours, dit une troisième voix.

      – Oui, répondit la première. Oh! elle a fait une espèce de défense, soit qu'elle tînt véritablement à ce pauvre d'Harmental, soit qu'elle sût que le régent n'aime que ce qui lui résiste. Enfin, ce matin, en échange d'une corbeille pleine de fleurs et de pierreries, elle a bien voulu répondre qu'elle recevrait ce soir Son Altesse:

      – Ah! ah! dit le capitaine, je commence à comprendre. Le chevalier s'est fâché?

      – Justement; au lieu d'en rire, comme nous aurions fait vous ou moi, du moins je l'espère, et de profiter de cette circonstance pour se faire rendre son brevet de colonel, qu'on lui a ôté sous le prétexte de faire des économies, d'Harmental devint si pâle que je crus qu'il allait s'évanouir. Puis, s'approchant de la cloison et frappant du poing pour qu'on fît silence:

      – Messieurs, dit-il, je suis fâché de vous contredire, mais celui de vous qui a avancé que madame d'Averne avait accordé un rendez-vous au régent, ou à tout autre, en a menti.

      – C'est moi, monsieur, qui ait dit la chose et qui la soutiens, répondit la première voix; et s'il y a en elle quelque chose qui vous déplaise, je me nomme Lafare, capitaine aux gardes.

      – Et moi, Fargy, dit la seconde voix.

      – Et moi, Ravanne, dit la troisième voix.

      – Très bien, messieurs, reprit d'Harmental. Demain, de neuf heures à neuf heures et demie, à la porte Maillot. Et il vint se rasseoir en face de moi. Ces messieurs parlèrent d'autre chose, et nous achevâmes notre souper. Voilà toute l'affaire, capitaine, et vous en savez maintenant autant que moi.

      Le capitaine fit entendre une espèce d'exclamation qui voulait dire: Tout cela n'est pas bien grave, mais, malgré cette demi-désapprobation de la susceptibilité du chevalier, il n'en résolut pas moins de soutenir de son mieux la cause dont il était devenu si inopinément le champion, quelque défectueuse que cette cause lui parût dans son principe. D'ailleurs, en eût-il eu l'intention, il était trop tard pour reculer. On était arrivé à la porte Maillot, et un jeune cavalier, qui paraissait attendre, et qui avait aperçu de loin le baron et le capitaine, venait de mettre son cheval au galop, et s'approchait rapidement. C'était le chevalier d'Harmental.

      – Mon cher chevalier, dit le baron de Valef en échangeant avec lui une poignée de main, permets qu'à défaut d'un ancien ami, je t'en présente un nouveau. Ni Surgis ni Gacé, n'étaient à la maison; j'ai fait rencontre de monsieur sur le pont Neuf, je lui ai exposé notre embarras et il s'est offert à nous en tirer avec une merveilleuse grâce.

      – C'est donc une double reconnaissance que je te dois, mon cher Valef, répondit le chevalier en jetant sur le capitaine un regard dans lequel perçait une légère nuance d'étonnement, et à vous, monsieur, continua-t-il, des excuses de ce que je vous jette ainsi tout d'abord et pour faire connaissance dans une si méchante affaire; mais vous m'offrirez un jour ou l'autre l'occasion de prendre ma revanche, je l'espère, et je vous prie, le cas échéant, de disposer de moi comme j'ai disposé de vous.

      – Bien dit, chevalier, répondit le capitaine en sautant à terre, et vous avez des manières avec lesquelles on me ferait aller au bout du monde. Le proverbe a raison: il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas.

      – Quel est cet original? demanda tout bas d'Harmental à Valef, tandis que le capitaine marquait des appels du pied droit pour se remettre les jambes.

      – Ma foi! je l'ignore, dit Valef; mais ce que je sais, c'est que sans lui nous étions fort empêchés. Quelque pauvre officier de fortune, sans doute, que la paix a mis à l'écart comme tant d'autres. D'ailleurs, nous le jugerons tout à l'heure à la besogne.

      – Eh bien! dit le capitaine, s'animant à l'exercice qu'il prenait, où sont nos muguets, chevalier? Je me sens en veine ce matin.

      – Quand je suis venu au-devant de vous, répondit d'Harmental, ils n'étaient point encore arrivés; mais j'apercevais au bout de l'avenue une espèce de carrosse de louage qui leur servira d'excuse s'ils sont en retard. Au reste, ajouta le chevalier en tirant de son gousset une très belle montre garnie de brillants, il n'y a point de temps perdu, car à peine s'il est neuf heures et demie.

      – Allons donc au-devant d'eux, dit Valef en descendant à son tour de cheval et en jetant la bride aux mains du valet

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