Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

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Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre

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bout de dix minutes de marche, pendant lesquelles les six adversaires avaient gardé le plus profond silence, soit de peur d'être entendus, soit par ce sentiment naturel qui fait qu'au moment de courir un danger l'homme se replie un instant sur lui-même, on se trouva au milieu d'une clairière entourée de tous côtés d'un rideau d'arbres.

      – Eh bien! messieurs, dit Ravanne en jetant un regard satisfait autour de lui, que dites-vous de la localité?

      – Je dis que si vous vous vantez de l'avoir découverte dit le capitaine, vous me faites l'effet d'un drôle de Christophe Colomb! Vous n'aviez qu'à me dire que c'était ici que vous vouliez aller, et je vous y aurais conduit les yeux fermés, moi.

      – Eh bien! monsieur, répondit Ravanne, nous tacherons que vous en sortiez comme vous y seriez venu.

      – Vous savez que c'est à vous que j'ai affaire, monsieur de Lafare, dit d'Harmental en jetant son chapeau sur l'herbe.

      – Oui, monsieur, répondit le capitaine des gardes en suivant l'exemple du chevalier; et je sais aussi que rien ne pouvait me faire tout à la fois plus d'honneur et de peine qu'une rencontre avec vous, surtout pour un pareil motif.

      D'Harmental sourit en homme pour qui cette fleur de politesse n'était point perdue, mais il n'y répondit qu'en mettant l'épée à la main.

      – Il paraît, mon cher baron, dit Fargy s'adressant à Valef, que vous êtes sur le point de partir pour l'Espagne?

      – Je devais partir cette nuit même, mon cher comte répondit Valef, et il n'a fallu rien moins que le plaisir que je me promettais à vous voir ce matin pour me déterminer à rester jusqu'à cette heure, tant j'y vais pour choses importantes.

      – Diable! voilà qui me désole, reprit Fargy en tirant son épée; car si j'avais le malheur de vous retarder, vous êtes homme à m'en vouloir mal de mort.

      – Non point. Je saurais que c'est par pure amitié, mon cher comte, répondit Valef. Ainsi, faites de votre mieux et tout de bon, je vous prie, car je suis à vos ordres.

      – Allons donc, allons donc, monsieur, dit Ravanne au capitaine, qui pliait proprement son habit et le posait près de son chapeau; vous voyez bien que je vous attends.

      – Ne nous impatientons pas, mon beau jeune homme, dit le vieux soldat en continuant ses préparatifs avec le flegme goguenard qui lui était naturel. Une des qualités les plus essentielles sous les armes, c'est le sang-froid. J'ai été comme vous à votre âge, mais au troisième ou quatrième coup d'épée que j'ai reçu, j'ai compris que je faisais fausse route, et je suis revenu dans le droit chemin. Là! ajouta-t-il en tirant enfin son épée, qui, nous l'avons dit, était de la plus belle longueur.

      – Peste, monsieur! dit Ravanne en jetant un coup d'œil sur l'arme de son adversaire, que vous avez là une charmante colichemarde! Elle me rappelle la maîtresse-broche de la cuisine de ma mère, et je suis désolé de ne pas avoir dit au maître d'hôtel de me l'apporter pour faire votre partie.

      – Votre mère est une digne femme, et sa cuisine une bonne cuisine; j'ai entendu parler de toutes deux avec de grands éloges, monsieur le chevalier, répondit le capitaine avec un ton presque paternel. Aussi je serais désolé de vous enlever à l'une et à l'autre pour une misère comme celle qui me procure l'honneur de croiser le fer avec vous. Supposez donc tout bonnement que vous prenez une leçon avec votre maître d'armes, et tirez à fond.

      La recommandation était inutile; Ravanne était exaspéré de la tranquillité de son adversaire, à laquelle, malgré son courage, son sang jeune et ardent ne lui laissait pas l'espérance d'atteindre. Aussi se précipita-t-il sur le capitaine avec une telle furie que les épées se trouvèrent engagées jusqu'à la poignée. Le capitaine fit un pas en arrière.

      – Ah! vous rompez, mon grand monsieur, s'écria Ravanne.

      – Rompre n'est pas fuir, mon petit chevalier, répondit le capitaine; c'est un axiome de l'art que je vous invite à méditer. D'ailleurs, je ne suis pas fâché d'étudier votre jeu. Ah! vous êtes élève de Berthelot à ce qu'il me paraît. C'est un bon maître, mais il a un grand défaut: c'est de ne pas apprendre à parer. Tenez, voyez un peu, continua-t-il en ripostant par un coup de seconde à un coup droit, si je m'étais fendu, je vous enfilais comme une mauviette.

      Ravanne était furieux, car effectivement il avait senti sur son flanc la pointe de l'épée de son adversaire, mais si légèrement posée qu'il eût pu la prendre pour le bouton d'un fleuret. Aussi sa colère redoubla de la conviction qu'il lui devait la vie, et ses attaques se multiplièrent plus pressées encore qu'auparavant.

      – Allons, allons, dit le capitaine, voilà que vous perdez la tête maintenant, et que vous cherchez à m'éborgner. Fi donc! jeune homme, fi donc! À la poitrine, morbleu! Ah! vous revenez à la figure? Vous me forcerez de vous désarmer! Encore? Allez ramasser votre épée, jeune homme, et revenez à cloche-pied, cela vous calmera.

      Et d'un violent coup de fouet, il fit sauter le fer de Ravanne à vingt pas de lui.

      Cette fois, Ravanne profita de l'avis; il alla lentement ramasser son épée et revint lentement au capitaine, qui l'attendait la pointe de la sienne sur le soulier. Seulement le jeune homme était pâle comme sa veste de satin, sur laquelle apparaissait une légère goutte de sang.

      – Vous avez raison, monsieur, lui dit-il, et je suis encore un enfant; mais ma rencontre avec vous aidera, je l'espère à faire de moi un homme. Encore quelques passes, s'il vous plaît, afin qu'il ne soit pas dit que vous ayez eu tous les honneurs. Et il se remit en garde.

      Le capitaine avait raison: il ne manquait au chevalier que du calme pour en faire sous les armes un homme à craindre. Aussi, au premier coup de cette troisième reprise, vit-il qu'il lui fallait apporter à sa propre défense toute son attention; mais lui-même avait dans l'art de l'escrime une trop grande supériorité pour que son jeune adversaire pût reprendre avantage sur lui. Les choses se terminèrent comme il était facile de le prévoir: le capitaine fit sauter une seconde fois l'épée des mains de Ravanne; mais, cette fois, il alla la ramasser lui-même et avec une politesse dont au premier abord on l'aurait cru incapable.

      – Monsieur le chevalier, lui dit-il en la lui rendant, vous êtes un brave jeune homme; mais, croyez-en un vieux coureur d'académies et de tavernes, qui a fait, avant que vous ne fussiez né, les guerres de Flandre; quand vous étiez au berceau, celles d'Italie, et quand vous étiez aux pages, celles d'Espagne: changez de maître; laissez là Berthelot, qui vous a montré tout ce qu'il sait; prenez Bois-Robert, et je veux que le diable m'emporte si dans six mois vous ne m'en remontrez pas à moi-même!

      – Merci de la leçon, monsieur dit Ravanne en tendant la main au capitaine, tandis que deux larmes, qu'il n'était point le maître de retenir, coulaient le long de ses joues; elle me profitera, je l'espère. Et, recevant son épée des mains du capitaine, il fit ce que celui-ci avait déjà fait, il la remit au fourreau.

      Tous deux reportèrent alors les yeux sur leurs compagnons pour voir où en étaient les choses. Le combat était fini. Lafare était assis sur l'herbe, le dos appuyé à un arbre: il avait reçu un coup d'épée qui devait lui traverser la poitrine; mais heureusement, la pointe du fer avait rencontré une côte et avait glissé le long de l'os, de sorte que la blessure paraissait au premier abord plus grave qu'elle ne l'était en effet; il n'en était pas moins évanoui, tant la commotion avait été violente. D'Harmental, à genoux devant lui, épongeait le sang avec son mouchoir.

      Fargy et Valef avaient fait coup fourré: l'un avait la cuisse traversée, l'autre le bras à jour. Tous deux se faisaient des excuses

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