Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

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Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre

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mettant pied à terre à son tour, il s'avança vers l'entrée du bois, suivi de ses deux compagnons.

      – Ces messieurs ne commandent rien? demanda le propriétaire du restaurant, qui se tenait sur la porte, attendant pratique.

      – Si fait, maître Durand, répondit d'Harmental, qui ne voulait pas, de peur d'être dérangé, avoir l'air d'être venu pour autre chose que pour une promenade. Un déjeuner pour trois! Nous allons faire un tour d'allée et nous revenons.

      Et il laissa tomber trois louis dans la main de l'hôtelier.

      Le capitaine vit reluire l'une après les autres les trois pièces d'or, et calcula avec la rapidité d'un amateur consommé ce que l'on pouvait avoir au bois de Boulogne pour soixante-douze livres; mais comme il connaissait celui à qui il avait affaire, il jugea qu'une recommandation de sa part ne serait point inutile; en conséquence, s'approchant à son tour du maître d'hôtel:

      – Ah çà! gargotier mon ami, lui dit-il, tu sais que je connais la valeur des choses, et que ce n'est point à moi qu'on peut en faire croire sur le total d'une carte? Que les vins soient fins et variés, et que le déjeuner soit copieux, ou je te casse les os! Tu entends?

      – Soyez tranquille, capitaine, répondit maître Durand; ce n'est pas une pratique comme vous que je voudrais tromper.

      C'est bien. Il y a douze heures que je n'ai mangé: règle-toi là-dessus.

      L'hôtelier s'inclina en homme qui savait ce que cela voulait dire et reprit le chemin de sa cuisine, commençant à croire qu'il avait fait une moins bonne affaire qu'il n'avait d'abord espéré. Quant au capitaine, après lui avoir fait un dernier signe de recommandation moitié amical, moitié menaçant, il doubla le pas et rejoignit le chevalier et le baron, qui s'étaient arrêtés pour l'attendre.

      Le chevalier ne s'était pas trompé à l'endroit du carrosse de louage. Au détour de la première allée, il aperçut ses trois adversaires qui en descendaient. C'étaient, comme nous l'avons déjà dit, le marquis de Lafare, le comte de Fargy et le chevalier de Ravanne.

      Que nos lecteurs nous permettent de leur donner quelques courts détails sur ces trois personnages, que nous verrons plusieurs fois reparaître dans le cours de cette histoire.

      Lafare, le plus connu des trois, grâce aux poésies qu'il a laissées, et à la carrière militaire qu'il a parcourue, était un homme de trente-six à trente-huit ans, de figure ouverte et franche, d'une gaîté et d'une bonne humeur intarissables, toujours prêt à tenir tête à tout venant à table, au jeu et aux armes, sans rancune et sans fiel, fort couru du beau sexe et fort aimé du régent, qui l'avait nommé son capitaine des gardes, et qui, depuis dix ans qu'il l'admettait dans son intimité, l'avait trouvé son rival quelquefois, mais son fidèle serviteur toujours. Aussi le prince, qui avait l'habitude de donner des surnoms à tous ses roués et à toutes ses maîtresses, ne le désignait-il jamais que par celui de bon enfant. Cependant, depuis quelque temps, la popularité de Lafare, si bien établie qu'elle fût par de recommandables antécédents, baissait fort parmi les femmes de la cour et les filles de l'opéra. Le bruit courait tout haut qu'il se donnait le ridicule de devenir un homme rangé. Il est vrai que quelques personnes, afin de lui conserver sa réputation, disaient tout bas que cette conversion apparente n'avait d'autre cause que la jalousie de mademoiselle de Conti, fille de madame la duchesse et petite-fille du grand Condé, laquelle assurait-on, honorait le capitaine des gardes de monsieur le régent d'une affection toute particulière. Au reste, sa liaison avec le duc de Richelieu, qui passait de son côté pour être l'amant de mademoiselle de Charolais, donnait une nouvelle consistance à ce bruit.

      Le comte de Fargy, que l'on appelait habituellement le beau Fargy, en substituant l'épithète qu'il avait reçue de la nature au titre que lui avaient légué ses pères, était cité, comme l'indique son nom, pour le plus beau garçon de son époque. Ce qui, dans ce temps de galanterie, imposait des obligations devant lesquelles il n'avait jamais reculé, et dont il s'était toujours tiré avec honneur. En effet, il était impossible d'être mieux pris dans sa taille que ne l'était Fargy. C'était à la fois une de ces natures élégantes et fortes, souples et vivaces, qui semblent douées des qualités les plus opposées des héros de roman de ces temps-là. Joignez à cela une tête charmante qui réunissait les beautés les plus opposées, c'est-à-dire des cheveux noirs et des yeux bleus, des traits fortement arrêtés et un teint de femme. Ajoutez à cet ensemble de l'esprit, de la loyauté, du courage autant qu'homme du monde, et vous aurez une idée de la haute considération dont devait jouir Fargy auprès de la société de cette folle époque, si bonne appréciatrice de ces différents genres de mérite.

      Quant au chevalier de Ravanne, qui nous a laissé sur sa jeunesse des mémoires si étranges que, malgré leur authenticité, on est toujours tenté de les croire apocryphes, c'était alors un enfant à peine hors de page, riche et de grande maison, qui entrait dans la vie par sa porte dorée, et qui courait droit au plaisir qu'elle promet avec toute la fougue, l'imprudence et l'avidité de la jeunesse. Aussi outrait-il, comme on a l'habitude de le faire à dix-huit ans, tous les vices et toutes les qualités de son époque. On comprend donc facilement quel était son orgueil de servir de second à des hommes comme Lafare et Fargy dans une rencontre qui devait avoir quelque retentissement dans les ruelles et dans les petits soupers.

      Chapitre 2

      Aussitôt que Lafare, Fargy et Ravanne virent déboucher leurs adversaires à l'angle de l'allée, ils marchèrent de leur côté au-devant d'eux. Arrivés à dix pas les uns des autres, tous mirent le chapeau à la main et se saluèrent avec cette élégante politesse qui était, en pareille circonstance, un des caractères de l'aristocratie du dix-huitième siècle, et firent quelques pas ainsi, tête nue et le sourire sur les lèvres, si bien qu'aux yeux d'un passant qui n'aurait point été informé de la cause de leur réunion, ils auraient eu l'air d'amis enchantés de se rencontrer.

      – Messieurs, dit le chevalier d'Harmental, à qui la parole appartenait de droit, j'espère que ni vous ni moi n'avons été suivis; mais il commence à se faire un peu tard, et nous pourrions être dérangés ici; je crois donc qu'il serait bon de gagner tout d'abord un endroit plus écarté où nous soyons plus à notre aise pour vider la petite affaire qui nous rassemble.

      – Messieurs, dit Ravanne, j'ai ce qu'il vous faut: à cent pas d'ici à peine, une véritable chartreuse; vous vous croirez dans la Thébaïde.

      – Alors, suivons l'enfant, dit le capitaine; l'innocence mène au salut!

      Ravanne se retourna et toisa des pieds à la tête notre ami au ruban orange.

      – Si vous n'avez d'engagement avec personne, mon grand monsieur, dit le jeune page d'un ton goguenard, je réclamerai la préférence.

      – Un instant, un instant, Ravanne, interrompit Lafare. J'ai quelques explications à donner à monsieur d'Harmental.

      – Monsieur Lafare, répondit le chevalier votre courage est si parfaitement connu que les explications que vous m'offrez sont une preuve de délicatesse dont, croyez-moi bien, je vous sais un gré parfait; mais ces explications ne feraient que nous retarder inutilement, et nous n'avons, je crois, pas de temps à perdre.

      – Bravo! dit Ravanne; voilà ce qui s'appelle parler, chevalier; une fois que nous nous serons coupé la gorge, j'espère que vous m'accorderez votre amitié. J'ai fort entendu parler de vous en bon lieu, et il y a longtemps que je désirais faire votre connaissance.

      Les deux hommes se saluèrent de nouveau.

      – Allons, allons, Ravanne, dit Fargy, puisque tu t'es chargé d'être notre guide, montre-nous le chemin.

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