Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre
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Il prit sa plume et se mit à écrire.
Lorsque sir John rentra, Roland, après avoir écrit et cacheté deux lettres, mettait ladresse sur la troisième.
Il fit signe de la main à l'Anglais d'attendre qu'il eût fini afin de pouvoir lui donner toute son attention.
Il acheva ladresse, cacheta la lettre, et se retourna.
– Eh bien, demanda-t-il, tout est-il réglé?
– Oui, dit lAnglais, et ça a été chose facile, vous avez affaire à un vrai gentleman.
– Tant mieux! fit Roland.
Et il attendit.
– Vous vous battez dans deux heures à la fontaine de Vaucluse – un lieu charmant – au pistolet, en marchant l'un sur l'autre, chacun tirant à sa volonté et pouvant continuer de marcher après le feu de son adversaire.
– Par ma foi! vous avez raison, sir John; voilà qui est tout à fait bien. C'est vous qui avez réglé cela?
– Moi et le témoin de M. Barjols, votre adversaire ayant renoncé à tous ses privilèges d'insulté.
– S'est-on occupé des armes?
– J'ai offert mes pistolets; ils ont été acceptés, sur ma parole d'honneur qu'ils étaient aussi inconnus à vous qu'à M. de Barjols; ce sont d'excellentes armes avec lesquelles, à vingt pas, je coupe une balle sur la lame d'un couteau.
– Peste! vous tirez bien, à ce qu'il paraît, milord?
– Oui; je suis, à ce que l'on dit, le meilleur tireur de lAngleterre.
– C'est bon à savoir; quand je voudrai me faire tuer, sir John, je vous chercherai querelle.
– Oh! ne cherchez jamais une querelle à moi, dit l'Anglais, cela me ferait trop grand-peine d'être obligé de me battre avec vous.
– On tâchera, milord, de ne pas vous faire de chagrin. Ainsi, c'est dans deux heures.
– Oui; vous m'avez dit que vous étiez pressé.
– Parfaitement. Combien y a-t-il d'ici à l'endroit charmant?
– D'ici à Vaucluse?
– Oui.
– Quatre lieues.
– C'est l'affaire d'une heure et demie; nous n'avons pas de temps à perdre; débarrassons-nous donc des choses ennuyeuses pour n'avoir plus que le plaisir.
L'Anglais regarda le jeune homme avec étonnement.
Roland ne parut faire aucune attention à ce regard.
– Voici trois lettres, dit-il: une pour madame de Montrevel, ma mère; une pour mademoiselle de Montrevel, ma soeur, une pour le citoyen Bonaparte, mon général. Si je suis tué, vous les mettrez purement et simplement à la poste. Est-ce trop de peine?
– Si ce malheur arrive, je porterai moi-même les lettres, dit
l'Anglais. Où demeurent madame votre mère et mademoiselle votre soeur? demanda celui-ci.
– À Bourg, chef-lieu du département de l'Ain.
– C'est tout près d'ici, répondit l'Anglais. Quant au général Bonaparte, j'irai, s'il le faut, en Égypte; je serais extrêmement satisfait de voir le général Bonaparte.
– Si vous prenez, comme vous le dites, milord, la peine de porter la lettre vous-même, vous n'aurez pas une si longue course à faire: dans trois jours, le général Bonaparte sera à Paris.
– Oh! fit l'Anglais, sans manifester le moindre étonnement, vous croyez?
– J'en suis sûr, répondit Roland.
– C'est, en vérité, un homme fort extraordinaire, que le général Bonaparte. Maintenant, avez-vous encore quelque autre recommandation à me faire, monsieur de Montrevel?
– Une seule, milord.
– Oh! plusieurs si vous voulez.
– Non, merci, une seule, mais très importante.
– Dites.
– Si je suis tué… mais je doute que j'aie cette chance…
Sir John regarda Roland avec cet oeil étonné qu'il avait déjà deux ou trois fois arrêté sur lui.
– Si je suis tué, reprit Roland, car, au bout du compte, il faut bien tout prévoir…
– Oui, si vous êtes tué, j'entends.
– Écoutez bien ceci, milord, car je tiens expressément en ce cas, à ce que les choses se passent exactement comme je vais vous le dire.
– Cela se passera comme vous le direz, répliqua sir John; je suis un homme fort exact.
– Eh bien donc, si je suis tué, insista Roland en posant et en appuyant la main sur l'épaule de son témoin, comme pour mieux imprimer dans sa mémoire la recommandation qu'il allait lui faire, vous mettrez mon corps comme il sera, tout habillé, sans permettre que personne le touche, dans un cercueil de plomb que vous ferez souder devant vous; vous enfermerez le cercueil de plomb dans une bière de chêne, que vous ferez également clouer devant vous. Enfin, vous expédierez le tout à ma mère, à moins que vous n'aimiez mieux jeter le tout dans le Rhône, ce que je laisse absolument à votre choix, pourvu qu'il y soit jeté.
– Il ne me coûtera pas plus de peine, reprit l'Anglais, puisque je porte la lettre, de porter le cercueil avec moi.
– Allons, décidément, milord, dit Roland riant aux éclats de son rire étrange, vous êtes un homme charmant, et c'est la Providence en personne qui a permis que je vous rencontre. En route, milord, en route!
Tous deux sortirent de la chambre de Roland. Celle de sir John était située sur le même palier. Roland attendit que l'Anglais rentrât chez lui pour prendre ses armes.
Il en sortit après quelques secondes, tenant à la main une boîte de pistolets.
– Maintenant, milord, demanda Roland, comment allons-nous à
Vaucluse? à cheval ou en voiture?
– En voiture, si vous voulez bien. Une voiture, c'est commode beaucoup plus si l'on était blessé: la mienne attend en bas.
– Je croyais que vous aviez fait dételer?
– J'en avais donné l'ordre, mais j'ai fait courir après le postillon pour lui donner contre-ordre.
On descendit l'escalier.
– Tom! Tom! dit sir John en arrivant à la porte, où l'attendait un domestique dans la sévère livrée d'un groom anglais, chargez- vous de cette boîte. – I am going with, mylord ?_ demanda _le domestique?
– Yes!