Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

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Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre

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monsieur, avait-il dit à son voisin, qui n'était autre que l'abbé, seriez-vous assez bon, si je ne m'en souvenais pas, de me répéter mot pour mot ce qu'a dit le gentleman qui sort d'ici?

      Il s'était mis à écrire aussitôt, et, la mémoire de l'abbé s'associant à la sienne, il avait eu la satisfaction de transcrire, dans toute son intégrité, la phrase du compagnon de Jéhu au citoyen Jean Picot.

      Puis, cette phrase transcrite, il s'était écrié avec un accent qui ajoutait un étrange cachet d'originalité à ses paroles

      – Oh! ce n'est qu'en France, en vérité, qu'il arrive de pareilles choses; la France, c'est le pays le plus curieux du monde. Je suis enchanté, messieurs, de voyager en France et de connaître les Français.

      Et la dernière phrase avait été dite avec tant de courtoisie qu'il ne restait plus, lorsqu'on l'avait entendue sortir de cette bouche sérieuse, qu'à remercier celui qui l'avait prononcée, fût-il le descendant des vainqueurs de Crécy, de Poitiers et d'Azincourt.

      Ce fut le plus jeune des deux voyageurs qui répondit à cette politesse avec le ton d'insouciante causticité qui paraissait lui être naturel.

      – Par ma foi! je suis exactement comme vous, milord; je dis milord, car je présume que vous êtes Anglais.

      – Oui, monsieur, répondit le gentleman, j'ai cet honneur.

      – Eh bien! comme je vous le disais, continua le jeune homme, je suis enchanté de voyager en France et d'y voir ce que j'y ai vu. Il faut vivre sous le gouvernement des citoyens Gohier, Moulins, Roger Ducos, Sieyès et Barras, pour assister à une pareille drôlerie, et quand, dans cinquante ans, on racontera qu'au milieu d'une ville de trente mille âmes, en plein jour, un voleur de grand chemin est venu, le masque sur le visage, deux pistolets et un sabre à la ceinture, rapporter à un honnête négociant qui se désespérait de les avoir perdus, les deux cents louis qu'il lui avait pris la veille; quand on ajoutera que cela s'est passé à une table d'hôte où étaient assises vingt ou vingt-cinq personnes, et que ce bandit modèle s'est retiré sans que pas une des vingt ou vingt-cinq personnes présentes lui ait sauté à la gorge; j'offre de parier que l'on traitera d'infime menteur celui qui aura l'audace de raconter l'anecdote.

      Et le jeune homme, se renversant sur sa chaise, éclata de rire, mais d'un rire si nerveux et si strident, que tout le monde le regarda avec étonnement, tandis que, de son côté, son compagnon avait les yeux figés sur lui avec une inquiétude presque paternelle.

      – Monsieur, dit le citoyen Alfred de Barjols, qui, ainsi que les autres, paraissait impressionné de cette étrange modulation, plus triste, ou plutôt plus douloureuse que gaie, et dont, avant de répondre, il avait laissé éteindre jusqu'au dernier frémissement; monsieur, permettez-moi de vous faire observer que l'homme que vous venez de voir n'est point un voleur de grand chemin.

      – Bah? franchement, qu'est-ce donc?

      – C'est, selon toute probabilité, un jeune homme d'aussi bonne famille que vous et moi.

      – Le comte de Horn, que le régent fit rouer en place de Grève, était aussi un jeune homme de bonne famille, et la preuve, c'est que toute la noblesse de Paris envoya des voitures à son exécution.

      – Le comte de Horn avait, si je m'en souviens bien, assassiné un juif pour lui voler une lettre de change qu'il n'était point en mesure de lui payer, et nul n'osera vous dire qu'un compagnon de Jéhu ait touché à un cheveu de la tête d'un enfant.

      – Eh bien! soit; admettons que linstitution soit fondée au point de vue philanthropique, pour rétablir la balance entre les fortunes, redresser les caprices du hasard, réformer les abus de la société; pour être un voleur à la façon de Karl Moor, votre ami Morgan, n'est-ce point Morgan qu'a dit que s'appelait cet honnête citoyen?

      – Oui, dit l'Anglais.

      – Eh bien! votre ami Morgan n'en est pas moins un voleur.

      Le citoyen Alfred de Barjols devint très pâle.

      – Le citoyen Morgan n'est pas mon ami, répondit le jeune aristocrate, et, s'il l'était, je me ferais honneur de son amitié.

      – Sans doute, répondit Roland en éclatant de rire; comme dit M. de Voltaire: «L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux.»

      – Roland, Roland! lui dit à voix basse son compagnon.

      – Oh! général, répondit celui-ci laissant, à dessein peut-être, échapper le titre qui était dû à son compagnon, laissez-moi, par grâce, continuer avec monsieur une discussion qui m'intéresse au plus haut degré.

      Celui-ci haussa les épaules.

      – Seulement, citoyen, continua le jeune homme avec une étrange persistance, j'ai besoin d'être édifié: il y a deux ans que j'ai quitté la France, et, depuis mon départ, tant de choses ont changé, costume, moeurs, accent, que la langue pourrait bien avoir changé aussi. Comment appelez-vous, dans la langue que l'on parle aujourd'hui en France, arrêter les diligences et prendre l'argent qu'elles renferment?

      – Monsieur, dit le jeune homme du ton d'un homme décidé à soutenir la discussion jusqu'au bout, j'appelle cela faire la guerre; et voilà votre compagnon, que vous avez appelé général tout à l'heure, qui, en sa qualité de militaire, vous dira qu'à part le plaisir de tuer et d'être tué, les généraux de tout temps n'ont pas fait autre chose que ce que fait le citoyen Morgan.

      – Comment! s'écria le jeune homme, dont les yeux lancèrent un éclair, vous osez comparer?..

      – Laissez monsieur développer sa théorie, Roland, dit le voyageur brun, dont les yeux, tout au contraire de ceux de son compagnon, qui semblaient s'être dilatés pour jeter leurs flammes, se voilèrent sous ses longs cils noirs, pour ne point laisser voir ce qui se passait dans son coeur.

      – Ah! dit le jeune homme avec son accent saccadé, vous voyez bien qu'à votre tour vous commencez à prendre intérêt à la discussion.

      Puis, se tournant vers celui qu'il semblait avoir pris à partie:

      – Continuez, monsieur, continuez, dit-il, le général le permet.

      Le jeune noble rougit d'une façon aussi visible qu'il venait de pâlir un instant auparavant et, les dents serrées, les coudes sur la table, le menton sur son poing pour se rapprocher autant que possible de son adversaire, avec un accent provençal qui devenait de plus en plus prononcé à mesure que la discussion devenait plus intense:

      – Puisque _le général le permet, _reprit-il en appuyant sur ces deux mots _le général, _j'aurai l'honneur de lui dire, et à vous, citoyen, par contrecoup, que je crois me souvenir d'avoir lu dans Plutarque, qu'au moment où Alexandre partit pour l'Inde, il n'emportait avec lui que dix-huit ou vingt talents d'or, quelque chose comme cent ou cent vingt mille francs. Or, croyez-vous que ce soit avec ces dix-huit ou vingt talents d'or qu'il nourrit son armée, gagna la bataille du Granique, soumit l'Asie Mineure, conquit Tyr, Gaza, la Syrie, l'Égypte, bâtit Alexandrie, pénétra jusqu'en Libye, se fit déclarer fils de Jupiter par l'oracle d'Ammon, pénétra jusqu'à lHyphase, et, comme ses soldats refusaient de le suivre plus loin, revint à Babylone pour y surpasser en luxe, en débauches et en mollesse, les plus luxueux, les plus débauchés et les plus voluptueux des rois d'Asie? Est-ce de Macédoine qu'il tirait son argent, et croyez-vous que le roi Philippe, un des plus pauvres rois de la pauvre Grèce, faisait honneur aux traites que son fils tirait sur lui? Non pas: Alexandre faisait comme le citoyen Morgan;

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