Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

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Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre

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respirant encore.

      Jourdan et ses camarades se gardèrent bien d'achever Lescuyer: son agonie était un suprême moyen d'excitation. Ils prirent ce reste de vivant, ces trois quarts de cadavre, et l'emportèrent saignant, pantelant, râlant.

      Chacun fuyait à cette vue, fermant portes et fenêtres.

      Au bout d'une heure, Jourdan et ses trois cents hommes étaient maîtres de la ville.

      Lescuyer était mort, mais peu importait; on n'avait plus besoin de son agonie.

      Jourdan profita de la terreur qu'il inspirait, et arrêta ou fit arrêter quatre-vingts personnes à peu près, assassins ou prétendus assassins de Lescuyer.

      Trente peut-être n'avaient pas même mis le pied dans l'église; mais, quand on trouve une bonne occasion de se défaire de ses ennemis, il faut en profiter; les bonnes occasions sont rares.

      Ces quatre-vingts personnes furent entassées dans la tour

      Trouillas.

      On l'a appelée historiquement la tour de la Glacière.

      Pourquoi donc changer ce nom de la tour Trouillas? Le nom est immonde et va bien à l'immonde action qui devait s'y passer.

      C'était le théâtre de la torture inquisitionnelle.

      Aujourd'hui encore on y voit, le long des murailles, la grasse suie qui montait avec la fumée du bûcher où se consumaient les chairs humaines; aujourd'hui encore, on vous montre le mobilier de la torture précieusement conservé: la chaudière, le four, les chevalets, les chaînes, les oubliettes et jusqu'à des vieux ossements, rien n'y manque.

      Ce fut dans cette tour, bâtie par Clément V, que l'on enferma les quatre-vingts prisonniers.

      Ces quatre-vingts prisonniers faits et enfermés dans la tour

      Trouillas, on en fut bien embarrassé.

      Par qui les faire juger?

      Il n'y avait de tribunaux légalement constitués que les tribunaux du pape.

      Faire tuer ces malheureux comme ils avaient tué Lescuyer?

      Nous avons dit qu'il y en avait un tiers, une moitié peut-être, qui non seulement n'avaient point pris part à l'assassinat, mais qui même n'avaient pas mis le pied dans l'église.

      Les faire tuer! La tuerie passerait sur le compte des représailles.

      Mais pour tuer ces quatre-vingts personnes, il fallait un certain nombre de bourreaux.

      Une espèce de tribunal, improvisé par Jourdan, siégeait dans une des salles du palais: il avait un greffier nommé Raphel, un président moitié Italien, moitié Français, orateur en patois populaire, nommé Barbe Savournin de la Roua; puis trois ou quatre pauvres diables; un boulanger, un charcutier; les noms se perdent dans l'infimité des conditions.

      C'étaient ces gens-là qui criaient:

      – Il faut les tuer tous; s'il s'en sauvait un seul, il servirait de témoin.

      Mais, nous l'avons dit, les tueurs manquaient.

      À peine avait-on sous la main une vingtaine d'hommes dans la cour, tous appartenant au petit peuple d'Avignon: un perruquier, un cordonnier pour femmes, un savetier, un maçon, un menuisier; tout cela armé à peine, au hasard, l'un d'un sabre, l'autre d'une baïonnette, celui-ci d'une barre de fer, celui-là d'un morceau de bois durci au feu.

      Tous ces gens-là refroidis par une fine pluie d'octobre.

      Il était difficile d'en faire des assassins.

      Bon! rien est-il difficile au diable?

      Il y a, dans ces sortes d'événements, une heure où il semble que

      Dieu abandonne la partie.

      Alors, c'est le tour du démon.

      Le démon entra en personne dans cette cour froide et boueuse.

      Il avait revêtu l'apparence, la forme, la figure d'un apothicaire du pays, nommé Mendes: il dressa une table éclairée par deux lanternes; sur cette table, il déposa des verres, des brocs, des cruches, des bouteilles.

      Quel était l'infernal breuvage renfermé dans ces mystérieux récipients, aux formes bizarres? On lignore, mais l'effet en est bien connu.

      Tous ceux qui burent de la liqueur diabolique se sentirent pris soudain d'une rage fiévreuse, d'un besoin de meurtre et de sang. Dès lors, on n'eut plus qu'à leur montrer la porte, ils se ruèrent dans le cachot.

      Le massacre dura toute la nuit: toute la nuit, des cris, des plaintes, des râles de mort furent entendus dans les ténèbres.

      On tua tout, on égorgea tout, hommes et femmes; ce fut long: les tueurs, nous l'avons dit, étaient ivres et mal armés.

      Cependant ils y arrivèrent.

      Au milieu des tueurs, un enfant se faisait remarquer par sa cruauté bestiale, par sa soif immodérée de sang.

      C'était le fils de Lescuyer.

      Il tuait, et puis tuait encore; il se vanta d'avoir à lui seul, de sa main enfantine, tué dix hommes et quatre femmes.

      – Bon! je puis tuer à mon aise, disait-il: je n'ai pas quinze ans, on ne me fera rien.

      À mesure qu'on tuait, on jetait morts et blessés, cadavres et vivants, dans la tour Trouillas; ils tombaient de soixante pieds de haut; les hommes y furent jetés d'abord, les femmes ensuite. Il avait fallu aux assassins le temps de violer les cadavres de celles qui étaient jeunes et jolies.

      À neuf heures du matin, après douze heures de massacres, une voix criait encore du fond de ce sépulcre:

      – Par grâce! venez m'achever, je ne puis mourir.

      Un homme, l'armurier Bouffier se pencha dans le trou et regarda; les autres n'osaient.

      – Qui crie donc? demandèrent-ils.

      – C'est Lami, répondit Bouffier.

      Puis, quand il fut au milieu des autres:

      – Eh bien, firent-ils, qu'as-tu vu au fond?

      – Une drôle de marmelade, dit-il: tout pêle-mêle, des hommes et des femmes, des prêtres et des jolies filles, c'est à crever de rire.

      «Décidément c'est une vilaine chenille que l'homme!..» disait le comte de Monte-Cristo à M. de Villefort.

      Eh bien, c'est dans la ville encore sanglante, encore chaude, encore émue de ces derniers massacres, que nous allons introduire les deux personnages principaux de notre histoire.

      I – UNE TABLE D'HÔTE

      Le 9 octobre de l'année 1799, par une belle journée de cet automne méridional qui fait, aux deux extrémités de la Provence, mûrir les oranges d'Hyères et les raisins de Saint-Péray, une calèche attelée de trois chevaux de poste traversait à fond de train le pont jeté sur la Durance, entre Cavaillon et Château-Renard,

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