Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre
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– Monsieur l'abbé, répondit Roland qui avait reconnu l'homme d'Église, comme, malgré le ton aigrelet avec lequel vous parlez, vous paraissez fort instruit, permettez à un pauvre ignorant de vous demander quelques détails sur ce Jéhu mort il y a eu deux mille six cents ans, et qui, cependant, a l'honneur d'avoir des compagnons qui portent son nom.
– Jéhu! répondit l'homme d'Église du même ton vinaigré, était un roi d'Israël, sacré par Élisée, sous la condition de punir les crimes de la maison d'Achab et de Jézabel, et de mettre à mort tous les prêtres de Baal.
– Monsieur labbé, répliqua en riant le jeune homme, je vous remercie de l'explication: je ne doute point qu'elle ne soit exacte et surtout très savante; seulement, je vous avoue qu'elle ne m'apprend pas grand-chose.
– Comment, citoyen, dit l'habitué de la table d'hôte, vous ne comprenez pas que Jéhu, c'est Sa Majesté Louis XVIII, sacré sous la condition de punir les crimes de la Révolution et de mettre à mort les prêtres de Baal, c'est-à-dire tous ceux qui ont pris une part quelconque à cet abominable état de choses que, depuis sept ans, on appelle la République?
– Oui-da! fit le jeune homme; si fait, je comprends. Mais, parmi ceux que les compagnons de Jéhu sont chargés de combattre, comptez-vous les braves soldats qui ont repoussé l'étranger des frontières de France, et les illustres généraux qui ont commandé les armées du Tyrol, de Sambre-et-Meuse et d'Italie?
– Mais sans doute, ceux-là les premiers et avant tout.
Les yeux du jeune homme lancèrent un éclair; sa narine se dilata, ses lèvres se serrèrent: il se souleva sur sa chaise; mais son compagnon le tira par son habit et le fit rasseoir, tandis que, d'un seul regard, il lui imposait silence.
Puis celui qui venait de donner cette preuve de sa puissance, prenant la parole pour la première fois:
– Citoyen, dit-il, s'adressant au jeune homme de la table d'hôte, excusez deux voyageurs qui arrivent du bout du monde, comme qui dirait de l'Amérique ou de l'Inde, qui ont quitté la France depuis deux ans, qui ignorent complètement ce qui s'y passe, et qui sont désireux de s'instruire.
– Mais, comment donc, répondit celui auquel ces paroles étaient adressées, c'est trop juste, citoyen; interrogez et l'on vous répondra.
– Eh bien, continua le jeune homme brun à l'oeil d'aigle, aux cheveux noirs et plats, au teint granitique, maintenant que je sais ce que cest Jéhu et dans quel but sa compagnie est instituée, je voudrais savoir ce que ses compagnons font de largent quils prennent.
– Oh! mon Dieu, cest bien simple, citoyen; vous savez quil est fort question de la restauration de la monarchie bourbonienne?
– Non, je ne le savais pas, répondit le jeune homme brun d'un ton qu'il essayait inutilement de rendre naïf; j'arrive, comme je vous l'ai dit, du bout du monde.
– Comment! vous ne saviez pas cela? eh bien, dans six mois ce sera un fait accompli.
– Vraiment!
– C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire, citoyen.
Les deux jeunes gens à la tournure militaire échangèrent entre eux un regard et un sourire, quoique le jeune blond parût sous le poids d'une vive impatience.
Leur interlocuteur continua:
– Lyon est le quartier général de la conspiration, si toutefois on peut appeler conspiration un complot qui s'organise au grand jour; le nom de gouvernement provisoire conviendrait mieux.
– Eh bien, citoyen, dit le jeune homme brun avec une politesse qui n'était point exempte de raillerie, disons gouvernement provisoire.
– Ce gouvernement provisoire a son état-major et ses armées.
– Bah! son état-major, peut-être… mais ses armées…
– Ses armées, je le répète.
– Où sont-elles?
– Il y en a une qui s'organise dans les montagnes d'Auvergne, sous les ordres de M. de Chardon; une autre dans les montagnes du Jura, sous les ordres de M. Teyssonnet; enfin, une troisième qui fonctionne, et même assez agréablement à cette heure, dans la Vendée, sous les ordres d'Escarboville, d'Achille Leblond et de Cadoudal.
– En vérité, citoyen, vous me rendez un véritable service en m'apprenant toutes ces nouvelles. Je croyais les Bourbons complètements résignés à lexil; je croyais la police faite de manière quil nexistât ni comité provisoire royaliste dans les grandes villes, ni bandits sur les grandes routes. Enfin, je croyais la Vendée complètement pacifiée par le général Hoche.
Le jeune homme auquel sadressait cette réponse éclata de rire.
– Mais doù venez-vous? sécria-t-il, doù venez-vous?
– Je vous lai dit, citoyen, du bout du monde.
– On le voit.
Puis continuant:
– Eh bien, vous comprenez dit-il, les Bourbons ne sont pas riches; les émigrés dont on a vendu les biens, sont ruinés; il est impossible dorganiser deux armées et den entretenir une troisième sans argent. On était embarrassé; il ny avait que la République qui pût solder ses ennemis: or, il nétait pas probable quelle sy décidât de gré à gré; alors, sans essayer avec elle cette négociation scabreuse, on jugea quil était plus court de lui prendre son argent que de le lui demander.
– Ah! je comprends enfin.
– C'est bien heureux.
– Les _compagnons de Jéhu _sont les intermédiaires entre la République et la contre-révolution, les percepteurs des généraux royalistes.
– Oui; ce n'est plus un vol, c'est une opération militaire, un fait d'armes comme un autre.
– Justement, citoyen, vous y êtes, et vous voilà sur ce point, maintenant, aussi savant que nous.
– Mais, glissa timidement le marchand de vin de Bordeaux, si MM. les compagnons de Jéhu – remarquez que je n'en dis aucun mal – si MM. Les compagnons de Jéhu nen veulent quà largent du gouvernement…
– À l'argent du gouvernement, pas à d'autre; il est sans exemple qu'ils aient dévalisé un particulier.
– Sans exemple?
– Sans exemple.
– Comment se fait-il alors que, hier, avec largent du gouvernement, ils aient emporté un group de deux cents louis qui mappartenait?
– Mon cher Monsieur, répondit le jeune homme de la table dhôte, je vous ai déjà dit quil y avait là quelque erreur, et quaussi vrai que je mappelle Alfred de Barjols, cet argent vous sera rendu un jour ou lautre.