Georges. Dumas Alexandre
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Celui qui paraissait le chef de cette dernière troupe, et qui, il faut le dire, se donnait une peine infinie pour atteindre au résultat que nous avons indiqué, était un homme de quarante à quarante-cinq ans portant les épaulettes de chef de bataillon, et doué par la nature d'une de ces physionomies insignifiantes auxquelles aucune émotion ne peut parvenir à donner ce qu'en terme d'art on appelle du caractère. Au reste il était frisé, rasé, épinglé comme pour une parade; seulement, de temps en temps, il détachait une agrafe de son habit, boutonné primitivement depuis le haut jusqu'en bas, et qui, en s'ouvrant peu à peu, laissait voir un gilet de piqué, une chemise à jabot et une cravate blanche à coins brodés. Auprès de lui, un joli enfant de douze ans, qu'attendait à quelques pas de là un domestique nègre, vêtu d'une veste et d'un pantalon de basin, étalait, avec cette aisance que donne l'habitude d'être bien mis son grand col de chemise festonné, son habit de camelot vert à boutons d'argent et son castor gris orné d'une plume. À son côté pendait, avec sa sabretache, le fourreau d'un petit sabre, dont il tenait la lame de la main droite, essayant d'imiter, autant qu'il était en lui, l'air martial de l'officier qu'il avait soin d'appeler de temps en temps et bien haut: «Mon père,» appellation dont le chef de bataillon ne semblait pas moins flatté que du poste éminent auquel la confiance de ses concitoyens l'avait élevé dans la milice nationale.
À peu de distance de ce groupe, qui se pavanait dans son bonheur, on pouvait en distinguer un autre, moins brillant sans doute, mais à coup sûr plus remarquable.
Celui-là se composait d'un homme de quarante-cinq à quarante-huit ans et de deux enfants, l'un âgé de quatorze ans, et l'autre de douze.
L'homme était grand, maigre, d'une charpente tout osseuse, un peu courbé, non point par l'âge, puisque nous avons dit qu'il avait quarante-huit ans au plus, mais par l'humilité d'une position secondaire. En effet, à son teint cuivré, à ses cheveux légèrement crépus, on devait, au premier coup d'œil, reconnaître un de ces mulâtres auxquels dans les colonies, la fortune, souvent énorme, à laquelle ils sont arrivés par leur industrie, ne fait point pardonner leur couleur. Il était vêtu avec une riche simplicité, tenait à la main une carabine damasquinée d'or, armée d'une baïonnette longue et effilée, et avait au côté un sabre de cuirassier, qui, grâce à sa haute taille, restait suspendu le long de sa cuisse comme une épée. De plus, outre celles qui étaient contenues dans sa giberne, ses poches, regorgeaient de cartouches.
L'aîné des deux enfants qui accompagnaient cet homme était comme nous l'avons dit, un grand garçon de quatorze ans, à qui l'habitude de la chasse, plus encore que son origine africaine, avait bruni le teint; grâce à la vie active qu'il avait menée, il était robuste comme un jeune homme de dix-huit ans; aussi avait-il obtenu de son père de prendre part à l'action qui allait avoir lieu. Il était donc armé de son côté d'un fusil à deux coups, le même dont il avait l'habitude de se servir dans ses excursions à travers l'île et avec lequel, tout jeune qu'il était, il s'était déjà fait une réputation d'adresse que lui enviaient les chasseurs les plus renommés. Mais, pour le moment, son âge réel l'emportait sur l'apparence de son âge. Il avait posé son fusil à terre et se roulait avec un énorme chien malgache, qui semblait de son côté, être venu là pour le cas où les Anglais auraient amené avec eux quelques-uns de leurs bouledogues.
Le frère du jeune chasseur, le second fils de cet homme à la haute taille et à l'air humble, celui enfin qui complétait le groupe que nous avons entrepris de décrire, était un enfant de douze ans à peu près, mais dont la nature grêle et chétive ne tenait en rien de la haute stature de son père, ni de la puissante organisation de son frère, qui semblait avoir pris à lui seul la vigueur destinée à tous les deux; aussi, tout au contraire de Jacques, c'était ainsi qu'on appelait son aîné, le petit Georges paraissait-il deux ans de moins qu'il n'avait réellement, tant, comme nous l'avons dit, sa taille exigu, sa figure pâle, maigre et mélancolique, ombragée par de longs cheveux noirs, avaient peu de cette force physique si commune aux colonies: mais, en revanche on lisait dans son regard inquiet et pénétrant une intelligence si ardente, et, dans le précoce froncement de sourcil qui lui était déjà habituel, une réflexion si virile et une volonté si tenace, que l'on s'étonnait de rencontrer à la fois dans le même individu tant de chétivité et tant de puissance.
N'ayant pas d'armes, il se tenait contre son père, et serrait de toute la force de sa petite main le canon de la belle carabine damasquinée, portant alternativement ses yeux vifs et investigateurs de son père au chef de bataillon, et se demandant sans doute intérieurement pourquoi son père, qui était deux fois riche, deux fois fort et deux fois adroit comme cet homme, n'avait pas aussi comme lui quelque signe honorifique, quelque distinction particulière.
Un nègre, vêtu d'une veste et d'un caleçon de toile bleue, attendait, comme pour l'enfant au col festonné, que le moment fût venu aux hommes de marcher; car alors, tandis que son père et son frère iraient se battre, l'enfant devait rester avec lui.
Depuis le matin, on entendait le bruit du canon: car depuis le matin, le général Vandermaesen, avec l'autre moitié de la garnison, avait marché au-devant de l'ennemi, afin de l'arrêter dans les défilés de la montagne Longue et au passage de la rivière du Pont-Rouge et de la rivière des Lataniers. En effet, depuis le matin, il avait tenu avec acharnement; mais, ne voulant pas compromettre d'un seul coup toutes ses forces, et craignant d'ailleurs que l'attaque à laquelle il faisait face ne fût qu'une fausse attaque pendant laquelle les Anglais s'avanceraient par quelque autre point sur Port-Louis, il n'avait pris avec lui que huit cents hommes, laissant, comme nous l'avons dit, pour la défense de la ville, le reste de la garnison et les volontaires nationaux. Il en résultait qu'après des prodiges de courage, sa petite troupe, qui avait affaire à un corps de quatre mille Anglais et de deux mille cipayes, avait été obligée de se replier successivement de position en position, tenant ferme à chaque accident de terrain qui lui rendait un instant l'avantage, mais bientôt forcée de reculer encore; de sorte que, de la place d'Armes, où se trouvaient les réserves, on pouvait, quoiqu'on n'aperçût point les combattants, calculer les progrès que faisaient les Anglais, au bruit croissant de l'artillerie, qui, de minute en minute, se rapprochait; bientôt même on entendit, entre le retentissement des puissantes volées, le pétillement de la mousqueterie. Mais, il faut le dire, ce bruit, au lieu d'intimider ceux des défenseurs de Port-Louis, qui, condamnés à l'inaction par l'ordre du général stationnaient sur la place d'Armes, ne faisait que stimuler leur courage; si bien que, tandis que les soldats de ligne, esclaves de la discipline, se contentaient de se mordre les lèvres ou de sacrer entre leurs moustaches, les volontaires nationaux agitaient leurs armes, murmurant hautement, et criant que, si l'ordre de partir tardait longtemps encore, ils rompraient les rangs et s'en iraient combattre en tirailleurs.
En ce moment, on entendit retentir la générale. En même temps un aide de camp accourut au grand galop de son cheval, et, sans même entrer dans la place, levant son chapeau pour faire un signe d'appel, il cria du haut de la rue:
– Aux retranchements, voilà l'ennemi!
Puis il repartit aussi rapidement qu'il était venu.
Aussitôt le tambour de la troupe de ligne battit, et les soldats, prenant leurs rangs avec la prestesse et la précision de l'habitude, partirent au pas de charge.
Quelque rivalité qu'il y eût entre les volontaires et les troupes de ligne, les premiers ne purent partir d'un élan aussi rapide. Quelques instants se passèrent avant