Le Capitaine Aréna — Tome 2. Dumas Alexandre
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Nous convînmes alors de nos faits avec le capitaine: il nous fallait trois jours pour aller par terre au Pizzo. En supposant que le vent changeât, il lui fallait, à lui, douze ou quinze heures: il fut convenu que s'il arrivait le premier au rendez-vous il nous attendrait jusqu'à ce que nous parussions; si nous arrivions au contraire avant lui, nous devions l'attendre deux jours; puis si, ces deux jours écoulés, il n'avait point paru, nous lui laissions une lettre dans la principale auberge de la ville, et nous lui indiquions un nouveau rendez-vous.
Ce point essentiel convenu, sur l'invitation du capitaine d'emporter avec nous le moins d'argent possible, nous prîmes chacun six ou huit louis seulement, laissant le reste de notre trésor sous la garde de l'équipage; et, munis cette fois de nos passe-ports parfaitement en règle, nous enfourchâmes nos montures et prîmes congé de nos matelots, qui nous promirent de nous recommander tous les soirs à Dieu dans leurs prières. Quant à nous, nous leur enjoignîmes de partir au premier souffle de vent; ils s'y engagèrent sur leur parole, nous baisèrent une dernière fois les mains, et nous nous séparâmes.
Nous suivions pour aller à Scylla la route déjà parcourue, et sur laquelle par conséquent nous n'avions aucune observation à faire; mais comme notre guide était forcé de marcher à pied, attendu qu'après nous avoir promis d'amener trois mulets il n'en avait amené que deux, espérant que nous n'en payerions ni plus ni moins les trois piastres convenues par chaque jour, nous ne pouvions aller qu'un train très-ordinaire; encore en arrivant à Scylla nous déclara-t-il que, ses mulets n'ayant point mangé avant leur départ, il était de toute urgence qu'il les fît déjeuner avant d'aller plus loin. Cela amena un éclaircissement tout naturel: j'avais entendu que la nourriture, comme toujours, serait au compte du muletier, et lui au contraire prétendait avoir entendu que la nourriture de ses mulets serait au compte de ses voyageurs. La chose n'était point portée sur le papier; mais, comme heureusement il y avait sur le papier que le guide fournirait trois mulets et qu'il n'en avait fourni que deux, je le sommai de tenir ses conventions à la lettre, à défaut de quoi j'allais aller prévenir mon ami le brigadier de gendarmerie. La menace fit son effet: il fut arrêté que, tout en me contentant de deux mulets, j'en payerais un troisième, et que le prix du mulet absent serait affecté à la nourriture des deux mulets présents.
Afin de ne pas perdre une heure inutilement à Scylla, nous montâmes, Jadin et moi, sur le rocher où est bâtie la forteresse. Là, nous relevâmes une petite erreur archéologique: c'est que la citadelle, qu'on nous avait dit élevée par Murât, datait de Charles d'Anjou: il y avait cinq siècles et demi de différence entre l'un et l'autre de ces deux conquérants. Mais le renseignement nous avait été donné par nos Siciliens, et j'avais déjà remarqué qu'il ne fallait pas scrupuleusement les croire a l'endroit des dates.
Ce fut le 7 février 1808 que les compagnies de voltigeurs du 23e régiment d'infanterie légère et du 67e régiment d'infanterie de ligne entrèrent à la baïonnette dans la petite ville de Scylla et en chassèrent les bandits qui l'occupaient, et qui parvinrent à s'embarquer sous la protection du fort que défendait une garnison du 62e régiment de ligne anglais.
A peine maîtres de la ville, les Français établirent sur la montagne qui la domine une batterie de canons destinée à battre le fort en brèche. Le 9, la batterie commença son feu; le 15, la garnison anglaise fut sommée de se rendre. Sur son refus, le feu continua; mais dans la nuit du 16 au 17 une flottille de petits bâtiments partit des cotes de Sicile et vint aborder sans bruit au pied du roc. Le jour venu, les assiégeants s'aperçurent qu'on ne répondait pas à leur feu; en même temps ils eurent avis que les Anglais s'embarquaient pour la Sicile. Cet embarquement leur avait paru impossible à cause de l'escarpement du roc taillé à pic; mais il fallut bien qu'ils en crussent leurs yeux lorsqu'ils virent les chaloupes s'éloigner chargées d'habits rouges. Ils coururent aussitôt à l'assaut, s'emparèrent de la forteresse sans résistance aucune et arrivèrent au haut du rempart juste à temps pour voir s'éloigner la dernière barque. Un escalier taillé dans le roc, et qu'il était impossible d'apercevoir de tout autre côté que de celui de la mer, donna l'explication du miracle. Les canons du fort furent aussitôt tournés vers les fugitifs, et un bateau chargé de cinquante hommes fut coulé bas; les autres, craignant le même sort, firent force de voiles pour s'éloigner, laissant leurs compagnons se tirer de là connue ils pourraient. Les trois quarts s'en tirèrent en se noyant, l'autre quart regagna la côte à la nage et fut fait prisonnier par les vainqueurs. On trouva dans le fort dix-neuf pièces de canon, deux mortiers, deux obusiers, une caronade, beaucoup de munitions et cent cinquante barils de biscuit.
La prise de Scylla mit fin à la campagne: c'était le seul point où le roi Ferdinand posât encore le pied en Calabre; et Joseph Napoléon, passé roi depuis dix-huit mois, se trouva ainsi maître de la moitié du royaume de son prédécesseur.
J'avoue que ce fut avec un certain plaisir qu'à l'extrémité de la Péninsule italique je retrouvai la trace des boulets français sur une citadelle de la Grande-Grèce.
L'heure était écoulée: nous avions donné rendez-vous à notre muletier de l'autre côté de la ville. Nous revînmes donc sur la grande route, où, après un instant d'attente, nous fûmes rejoints par notre homme et par ses deux bêtes. En remontant sur mon mulet je m'aperçus qu'on avait touché à mes fontes; ma première idée fut qu'on m'avait volé mes pistolets, mais en levant la couverture je les vis à leur place. Notre guide nous dit alors que c'était seulement le garçon d'écurie qui les avait regardés, pour s'assurer s'ils étaient chargés, sans doute, et donner sur ce point important des renseignements à qui de droit. Au reste, nous voyagions depuis trop long-temps au milieu d'une société équivoque pour être pris au dépourvu: nous étions armés jusqu'aux dents et ne quittions pas nos armes, ce qui, joint à la terreur qu'inspirait Milord, nous sauva sans doute des mauvaises rencontres dont nous entendions faire journellement le récit. Au reste, comme je ne me fiais pas beaucoup à mon guide, ce petit événement me fut une occasion de lui dire que, si nous étions arrêtés, la première chose que je ferais serait de lui casser la tête. Cette menace, donnée en manière d'avis et de l'air le plus tranquille et le plus résolu du monde, parut faire sur lui une très-sérieuse impression.
Vers les trois heures de l'après-midi, nous arrivâmes à Bagnaria. Là, notre guide nous proposa de faire une halte, qui serait consacrée à son dîner et au nôtre. La proposition était trop juste pour ne pas trouver en nous un double écho: nous entrâmes dans une espèce d'auberge, et nous demandâmes qu'on nous servit immédiatement.
Comme, au bout d'une demi-heure, nous ne voyions faire aucuns préparatifs dans la chambre où nous attendions notre nourriture, je descendis à la cuisine afin de presser le cuisinier. Là il me fut répondu qu'on aurait déjà servi le dîner à nos excellences, mais que notre guide ayant dit que nos excellences coucheraient à l'hôtel, on n'avait pas cru devoir se presser. Comme nous avions fait à peine sept lieues dans la journée, je trouvai la plaisanterie médiocre, et je priai le maître de la locanda de nous faire dîner à l'instant même, et de prévenir notre muletier de se tenir prêt, lui et ses bêtes, à repartir aussitôt après le repas.
La première partie de cet ordre fut scrupuleusement exécutée; deux minutes après l'injonction faite, nous étions à table. Mais il n'en fut pas de même de la seconde: lorsque nous descendîmes, on nous annonça que, notre guide n'étant point rentré, on n'avait pas pu lui faire part de nos intentions, et que, par conséquent, elles n'étaient pas exécutées. Notre résolution fut prise à l'instant même: nous fîmes faire notre compte et celui de nos mulets, nous payâmes total et bonne main; nous allâmes droit à l'écurie, nous sellâmes nos montures, nous montâmes dessus, et nous dîmes à l'hôte que lorsque le muletier reviendrait il n'avait qu'à lui dire qu'en courant après nous il nous rejoindrait sur le chemin de Palma. Il n'y avait point à se tromper, ce chemin étant