Le corricolo. Dumas Alexandre
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– Jeter Zaïda à la mer n'est point un crime, reprit encore le dey.
– Comment! ce n'est point un crime de jeter Zaïda à la mer et de couper la tête à Osmin?
– J'ai acheté Osmin cinq cents piastres et Zaïda mille sequins, comme j'ai acheté cette pipe cent ducats.
– Eh bien! demanda le ministre, où Votre Hautesse en veut-elle venir?
– Que, comme cette pipe m'appartient, je puis la casser en dix morceaux, en vingt morceaux, en cinquante morceaux, si cela me convient, et que personne n'a rien à dire. Et le pacha cassa sa pipe, dont il jeta les débris dans la chambre.
– Bon pour une pipe, dit le ministre; mais Osmin, mais Zaïda!
– Moins qu'une pipe, dit gravement le dey.
– Comment, moins qu'une pipe! Un homme moins qu'une pipe! Une femme moins qu'une pipe!
– Osmin n'est pas un homme. Zaïda n'est point une femme: ce sont des esclaves. Je ferai couper la tête à Osmin, et je ferai jeter Zaïda à la mer.
– Non, dit Son Excellence.
– Comment, non! s'écria le pacha avec un geste de menace.
– Non, reprit le ministre, non; pas à Naples du moins.
– Giaour, dit le dey, sais-tu comment je m'appelle?
– Vous vous appelez Hussein-Pacha.
– Chien de chrétien! s'écria le dey avec une colère croissante; sais-tu qui je suis?
– Vous êtes l'ex-dey d'Alger, et moi je suis le ministre actuel de la police de Naples.
– Et cela veut dire? demanda le dey.
– Cela veut dire que je vais vous envoyer en prison si vous faites l'impertinent, entendez-vous, mon brave homme? répondit le ministre avec le plus grand sang-froid.
– En prison! murmura le dey en retombant sur son divan.
– En prison, dit le ministre.
– C'est bien, reprit Hussein. Ce soir je quitte Naples.
– Votre Hautesse est libre comme l'air, répondit le ministre.
– C'est heureux, dit le dey.
– Mais à une condition cependant.
– Laquelle?
– C'est que Votre Hautesse me jurera sur le prophète qu'il n'arrivera malheur ni à Osmin ni à Zaïda.
– Osmin et Zaïda m'appartiennent, dit le dey, j'en ferai ce que bon me semblera.
– Alors Votre Hautesse ne partira point.
– Comment, je ne partirai point!
– Non, du moins avant de m'avoir remis Osmin et Zaïda.
– Jamais! s'écria le dey.
– Alors je les prendrai, dit le ministre.
– Vous les prendrez? vous me prendrez mon eunuque et mon esclave?
– En touchant le sol de Naples, votre esclave et votre eunuque sont devenus libres. Vous ne quitterez Naples qu'à la condition que les deux coupables seront remis à la justice du roi.
– Et si je ne veux pas vous les remettre, qui m'empêchera de partir?
– Moi.
– Vous?
Le pacha porta la main à son poignard; le ministre lui saisit le bras au dessus du poignet.
– Venez ici, lui dit-il en le conduisant vers la fenêtre, regardez dans la rue. Que voyez-vous à la porte de l'hôtel?
– Un peloton de gendarmerie.
– Savez-vous ce que le brigadier qui le commande attend? Que je lui fasse un signe pour vous conduire en prison.
– En prison, moi? je voudrais bien voir cela!
– Voulez-vous le voir?
Son Excellence fit un signe: un instant après, on entendit retentir dans l'escalier le bruit de deux grosses bottes garnies d'éperons. Presque aussitôt la porte s'ouvrit, et le brigadier parut sur le seuil, la main droite à son chapeau, la main gauche à la couture de sa culotte.
– Gennaro, lui dit le ministre de la police, si je vous donnais l'ordre d'arrêter monsieur et de le conduire en prison, y verriez-vous quelque difficulté?
– Aucune, Excellence.
– Vous savez que monsieur s'appelle Hussein-Pacha?
– Non, je ne le savais pas.
– Et que monsieur n'est ni plus ni moins que le dey d'Alger?
– Qu'est-ce que c'est que ça, le dey d'Alger?
– Vous voyez, dit le ministre.
– Diable! fit le dey.
– Faut-il? demanda Gennaro en tirant une paire de poucettes de sa poche et en s'avançant vers Hussein-Pacha, qui, le voyant faire un pas en avant, fit de son côté un pas en arrière.
– Non, il ne le faut pas, dit le ministre. Sa Hautesse sera bien sage.
Seulement cherchez dans l'hôtel un certain Osmin et une certaine Zaïda, et conduisez-les tous les deux à la préfecture.
– Comment, comment, dit le dey, cet homme entrerait dans mon harem!
– Ce n'est pas un homme ici, répondit le ministre; c'est un brigadier de gendarmerie.
– N'importe. Il n'aurait qu'à laisser la porte ouverte!
– Alors il y a un moyen. Faites-lui remettre Osmin et Zaïda.
– Et ils seront punis? demanda le dey.
– Selon toute la rigueur de nos lois, répondit le ministre.
– Vous me le promettez?
– Je vous le jure.
– Allons, dit le dey, il faut bien en passer par où vous voulez, puisqu'on ne peut pas faire autrement.
– A la bonne heure, dit le ministre; je savais bien que vous n'étiez pas aussi méchant que vous en aviez l'air.
Hussein-Pacha frappa dans ses mains; un esclave ouvrit une porte cachée dans la tapisserie.
– Faites descendre Osmin et Zaïda, dit le dey.
L'esclave croisa les mains sur sa poitrine, courba la tête et s'éloigna sans répondre un mot. Un instant après il reparut