Le Speronare. Dumas Alexandre
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– Où vous retrouverai-je?
– Chez Pastrini, place d'Espagne.
– Dans deux heures j'y serai.
En effet, deux heures après, Guichard était à l'hôtel avec un passeport parfaitement en règle. Comme on n'avait pas pris la précaution de le présenter à monsieur de Ludorf, l'affaire avait marché toute seule.
Le même soir, je pris la voiture d'Angrisani, et le surlendemain j'étais à Naples. Je me trouvais de trente-six heures en avant sur l'engagement que j'avais pris avec monsieur de Ludorf. Comme on voit, il n'avait pas à se plaindre. Mais ce n'était pas le tout d'être à Naples; d'un moment à l'autre je pouvais y être découvert. J'avais connu à Paris un très illustre personnage qui y passait pour marquis, et qui se trouvait alors à Naples, où il passait pour mouchard. Si je le rencontrais, j'étais perdu. Il était donc urgent de gagner Palerme ou Messine.
Voilà pourquoi, le jour même de notre arrivée, nous accourions, Jadin et moi, sur le port de Naples pour y chercher un bâtiment à vapeur ou à voiles qui pût nous conduire en Sicile.
Dans tous les pays du monde, l'arrivée et le départ des bateaux à vapeur sont réglés: on sait quel jour ils partent et quel jour ils arrivent. A Naples, point. Le capitaine est le seul juge de l'opportunité de son voyage. Quand il a son contingent de passagers, il allume ses fourneaux et fait sonner la cloche. Jusque-là il se repose, lui et son bâtiment.
Malheureusement nous étions au 22 août, et comme personne n'était curieux d'aller se faire rôtir en Sicile par une chaleur de trente degrés, les passagers ne donnaient pas. Le second, qui par hasard était à bord, nous dit que le paquebot ne se mettrait certainement pas en route avant huit jours, et encore qu'il ne pouvait pas même pour cette époque nous garantir le départ.
Nous étions sur le môle à nous désespérer de ce contretemps, tandis que Milord furetait partout pour voir s'il ne trouverait pas quelque chat à manger, lorsqu'un matelot s'approcha de nous, le chapeau à la main, et nous adressa la parole en patois sicilien. Si peu familiarisés que nous fussions avec cet idiome, il ne s'éloignait pas assez de l'italien pour que je ne pusse comprendre qu'il nous offrait de nous conduire où nous voudrions. Nous lui demandâmes alors sur quoi il comptait nous conduire, disposés que nous étions à partir sur quelque chose que ce fût. Aussitôt il marcha devant nous, et, s'arrêtant près de la lanterne, il nous montra, à cinquante pas en mer, et dormant sur son ancre, un charmant petit bâtiment de la force d'un chasse-marée, mais si coquettement peint en vert et en rouge, que nous nous sentîmes pris tout d'abord pour lui d'une sympathie qui se manifesta sans doute sur notre physionomie, car, sans attendre notre réponse, le matelot fit signe à une barque de venir à nous, sauta dedans, et nous tendit la main pour nous aider à y descendre.
Notre speronare, c'est le nom que l'on donne à ces sortes de bâtiments, n'avait rien à perdre à l'examen, et plus nous nous approchions du navire, plus nous voyions se développer ses formes élégantes et ressortir la vivacité de ses couleurs. Il en résulta qu'avant de mettre le pied à bord, nous étions déjà à moitié décidés.
Nous y trouvâmes le capitaine. C'était un beau jeune homme de vingt-huit à trente ans, à la figure ouverte et décidée. Il parlait un peu mieux italien que son matelot. Nous pûmes donc nous entendre, ou à peu près. Un quart d'heure plus tard, nous avions fait marché à huit ducats par jour. Moyennant huit ducats par jour, le bâtiment et l'équipage nous appartenaient corps et âme, planches et toiles. Nous pouvions le garder tant que nous voudrions, le mener où nous voudrions, le quitter où nous voudrions: nous étions libres; seulement tant tenu, tant payé. C'était trop juste.
Je descendis dans la cale; le bâtiment n'était chargé que de son lest. J'exigeai du capitaine qu'il s'engageât positivement à ne prendre ni marchandises ni passagers; il me donna sa parole. Il avait l'air si franc, que je ne lui demandai pas d'autre garantie.
Nous remontâmes sur le pont, et je visitai notre cabine. C'était tout bonnement une espèce de tente circulaire en bois, établie à la poupe, et assez solidement amarrée à la membrure du bâtiment pour n'avoir rien à craindre d'une rafale de vent ou d'un coup de mer. Derrière cette tente était un espace libre pour la manoeuvre du gouvernail. C'était le département du pilote. Cette tente était parfaitement vide. C'était à nous de nous procurer les meubles nécessaires, le capitaine de la Santa-Maria di Pie di Grotta ne logeant point en garni. Au reste, vu le peu d'espace, ces meubles devaient se borner à deux matelas, à deux oreillers et à quatre paires de draps. Le plancher servait de couchette. Quant aux matelots, le capitaine compris, ils dormaient ordinairement pêle-mêle dans l'entrepont.
Nous convînmes d'envoyer les deux matelas, les deux oreillers et les quatre paires de draps dans la soirée, et le moment du départ fut fixé au lendemain huit heures du matin.
Nous avions déjà fait une centaine de pas, en nous félicitant, Jadin et moi, de notre résolution, lorsque le capitaine courut après nous. Il venait nous recommander par-dessus tout de ne pas oublier de nous munir d'un cuisinier. La recommandation me parut assez étrange pour que je voulusse en avoir l'explication. J'appris alors que, dans l'intérieur de la Sicile, pays sauvage et désolé, où les auberges, quand il y en a, ne sont que des lieux de halte, un cuisinier est une chose de première nécessité. Nous promîmes au capitaine de lui en envoyer un en même temps que notre roba.
Mon premier soin, en rentrant, fut de m'informer à monsieur Martin Zir, maître de l'hôtel de la Vittoria, où je pourrais trouver le cordon-bleu demandé. Monsieur Martin Zir me répondit que cela tombait à merveille, et qu'il avait justement mon affaire sous la main. Au premier abord, cette réponse me satisfit si complètement, que je montai à ma chambre sans insister davantage; mais, arrivé là, je pensai qu'il n'y avait pas de mal à prendre quelques renseignements préalables sur les qualités morales de notre futur compagnon de voyage. En conséquence, j'interrogeai un des serviteurs de l'hôtel, qui me répondit que je pouvais être d'autant plus tranquille sous ce rapport, que c'était son propre cuisinier que me donnait monsieur Martin. Malheureusement cette abnégation, loin de me rassurer de la part de mon hôte, ne fit qu'augmenter mes craintes. Si monsieur Martin était content de son cuisinier, comment s'en défaisait-il en faveur du premier étranger venu? S'il n'en était pas content, si peu difficile que je sois, j'en aimais autant un autre. Je descendis donc chez monsieur Martin, et je lui demandai si je pouvais réellement compter sur la probité et la science de son protégé. Monsieur Martin me répondit en me faisant un éloge pompeux des qualités de Giovanni Cama. C'était, à l'entendre, l'honnêteté en personne, et, ce qui était bien de quelque importance aussi pour l'emploi que je comptais lui confier, l'habileté la plus parfaite. Il avait surtout la réputation du meilleur friteur, qu'on me passe le mot, je n'en connais pas d'autre pour traduire fritatore, non seulement de la capitale, mais du royaume. Plus monsieur Martin enchérissait sur ses éloges, plus mon inquiétude augmentait. Enfin, je me hasardai à lui demander comment, possédant un tel trésor, il consentait à s'en séparer.
– Hélas! me répondit en soupirant monsieur Martin, c'est qu'il a, malheureusement pour moi qui reste à Naples, un défaut qui devient sans importance pour vous qui allez en Sicile.
– Et lequel? m'informai-je avec inquiétude.
– Il est appassionato, me répondit monsieur Martin. J'éclatai de rire.
C'est qu'en passant devant la cuisine, monsieur Martin m'avait fait voir Cama à son fourneau, et Cama, dans toute sa personne, depuis le haut de sa grosse tête jusqu'à l'extrémité de ses longs pieds, était bien l'homme du monde auquel me paraissait convenir le moins une pareille épithète; d'ailleurs, un cuisinier passione,