Le Speronare. Dumas Alexandre

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Le Speronare - Dumas Alexandre

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la pièce de monnaie et que la pièce de monnaie était pour lui.

      Antonio était le ménétrier de l'équipage. Il chantait la tarentelle avec une perfection et un entrain qui ne manquaient jamais leur effet. Parfois nous étions assis, les uns sur le tillac, les autres dans l'entrepont; la conversation languissait, et nous gardions le silence: tout à coup Antonio commençait cet air électrique qui est pour le Napolitain et le Sicilien ce que le ranz des vaches est pour le Suisse. Filippo avançait gravement hors de l'écoutille la moitié de son corps et accompagnait le virtuose en sifflant. Alors Pietro commençait à battre la mesure en balançant sa tête à droite ou à gauche, et en faisant claquer ses pouces comme des castagnettes. Mais à la cinquième ou sixième mesure l'air magique opérait; une agitation visible s'emparait de Pietro, tout son corps se mettait en mouvement comme avaient fait d'abord ses mains; il se soulevait sur un genou, puis sur les deux, puis se redressait tout à fait. Alors, et pendant quelques instants encore, il se balançait de droite à gauche, mais sans quitter la terre; ensuite, comme si le plancher du bâtiment se fût échauffé graduellement, il levait un pied, puis l'autre; et enfin, jetant un de ces petits cris que nous avons indiqués comme l'expression de sa joie, il commençait la fameuse danse nationale par un mouvement lent et uniforme d'abord, mais qui, s'accélérant toujours, pressé par la musique, se terminait par une espèce de gigue effrénée. La tarentelle ne prenait fin que lorsque le danseur épuisé tombait sans force, après un dernier entrechat dans lequel se résumait toute la scène chorégraphique.

      Enfin venaient Sieni, dont je n'ai gardé aucun souvenir, et Gaëtano, que nous vîmes à peine, retenu qu'il fut à terre, pendant tout notre voyage, par une ophthalmie qui se déclara le lendemain de notre arrivée dans le détroit de Messine. Je ne parle pas du mousse; il était tout naturellement ce qu'est partout cette estimable classe de la société, le souffre-douleur de tout l'équipage. La seule différence qu'il y eût entre lui et les autres individus de son espèce, c'est que, vu le bon naturel de ses compagnons, il était de moitié moins battu que s'il se fût trouvé sur un bâtiment génois ou breton.

      Et maintenant nos lecteurs connaissent l'équipage de la Santa Maria di Pie di Gratta aussi bien que nous-même.

      Comme nous l'avons dit, tout l'équipage nous attendait sur le pont, et, amené sur son ancre, était prêt à partir. Je fis un dernier tour dans l'entrepont et dans la cabine pour m'assurer qu'on avait embarqué toutes nos provisions et tous nos effets. Dans l'entrepont, je trouvai Cama joyeusement établi entre les poulets et les canards destinés à notre table, et mettant en ordre sa batterie de cuisine. Dans la cabine, je trouvai nos lits tout couverts, et Milord déjà installé sur celui de son maître. Tout était donc à sa place et à son poste. Le capitaine alors s'approcha de moi et me demanda mes ordres; je lui dis d'attendre cinq minutes.

      Ces cinq minutes devaient être consacrées à donner de mes nouvelles à monsieur le comte de Ludorf. Je pris dans mon album une feuille de mon plus beau papier, et je lui écrivis la lettre suivante:

      «Monsieur le comte,

      Je suis désolé que Votre Excellence n'ait pas jugé à propos de me charger de ses commissions pour Naples; je m'en serais acquitté avec une fidélité qui lui eût été une certitude de la reconnaissance que j'ai gardée de ses bons procédés envers moi.

      Veuillez agréer, monsieur le comte, l'hommage des sentiments bien vifs que je vous ai voués, et dont un jour ou l'autre j'espère vous donner une preuve.

      [Note: Cette preuve s'est fait attendre jusqu'en 1841, époque où j'ai publié la première édition de ce livre; mais, comme on le voit, j'ai rattrapé le temps perdu, et j'espère que M. le comte de Ludorf, qui a pu m'accuser d'oubli, reviendra de son erreur sur mon compte, si par hasard ces lignes ont l'honneur de passer sous ses yeux.]

      ALEX. DUMAS

      Naples, ce 23 août 1835.»

      Pendant que j'écrivais, l'ancre avait été levée, et les rameurs s'étaient mis à babord et à tribord, leurs avirons à la main, et se tenant prêts à partir. Je demandai au capitaine un homme sûr pour remettre ma lettre à la poste; il me désigna un des spectateurs que notre départ avait attirés, et qui était de sa connaissance. Je lui fis passer, par l'entremise d'une longue perche, ma lettre accompagnée de deux carlini, et j'eus la satisfaction de voir aussitôt mon commissionnaire s'éloigner à toutes jambes dans la direction de la poste.

      Lorsqu'il eut disparu, je donnai le signal du départ. Les huit rames que nos hommes tenaient en l'air retombèrent ensemble et battirent l'eau à la fois. Dix minutes après, nous étions hors du port, et un quart d'heure plus tard, nous ouvrions toutes nos petites voiles à un excellent vent de terre qui promettait de nous mettre rapidement hors de la portée de tous les agents napolitains que monsieur le comte de Ludorf pourrait lancer à nos trousses.

      Ce bon vent nous accompagna pendant quinze ou vingt milles à peu près; mais, à la hauteur de Sorrente, il mollit, et bientôt tomba tout à fait, de sorte que nous fûmes obligés de marcher de nouveau à la rame. Cela nous donna le temps de nous apercevoir que la brise de mer nous avait ouvert l'appétit. En conséquence, parfaitement disposés à apprécier les qualités du protégé de monsieur Martin Zir, nous prîmes notre plus belle basse-taille, et nous appelâmes Cama. Personne ne répondit. Inquiets de ce silence, nous envoyâmes Pietro et Giovanni à sa recherche, et cinq minutes après, nous le vîmes apparaître à l'orifice de l'écoutille, pâle comme un spectre, et soutenu sous chaque bras par ceux que nous avions envoyés à sa recherche, et qui l'avaient trouvé étendu sans mouvement entre ses canards et ses poules. Il était évidemment impossible au pauvre diable de se rendre à nos ordres. A peine s'il pouvait se soutenir sur ses jambes, et il tournait les yeux d'une façon lamentable. Pensant que le grand air lui ferait du bien, nous fîmes aussitôt apporter un matelas sur le pont, et on le coucha au pied du mât; c'était très bien pour lui; mais pour nous, cela ne nous avançait pas à grand-chose. Nous nous regardions, Jadin et moi, d'un air assez déconcerté, lorsque Giovanni vint se mettre à nos ordres, s'efforçant de remplacer, pour le moment du moins, notre pauvre appassionato.

      On juge si nous acceptâmes la proposition. Le capitaine, qui n'était pas fier, reprit aussitôt la rame que Giovanni venait d'abandonner. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées, que nous entendîmes les gémissements d'une poule que l'on égorgeait; bientôt nous vîmes la fumée s'échapper par l'écoutille; puis nous entendîmes l'huile qui criait sur le feu. Un quart d'heure après, nous tirions chacun notre part d'un poulet à la provençale, auquel il manquait peut-être bien quelque chose selon la Cuisinière bourgeoise, mais que, grâce à ce susdit appétit qui s'était toujours maintenu en progrès, nous trouvâmes excellent. Dès lors nous fûmes rassurés sur notre avenir; Dieu nous rendait d'une main ce qu'il nous ôtait de l'autre.

      Vers les deux heures, nous nous trouvâmes à la hauteur de l'île de Caprée. Comme en perdant notre temps nous ne perdions pas grand-chose, attendu que, malgré le travail incessant de nos rameurs, nous ne faisions guère plus d'une demi-lieue à l'heure, je proposai à Jadin de descendre à terre pour visiter l'île de Tibère, et de monter jusqu'aux ruines de son palais, que nous apercevions au tiers à peu près de la hauteur du mont Solaro. Jadin accepta de tout coeur, pensant qu'il y aurait quelque beau point de vue à croquer. Nous fîmes part aussitôt de nos intentions au capitaine qui mit le cap sur l'île et, une heure après, nous entrions dans le port.

      CAPRÉE

      Il y a peu de points dans le monde qui offrent autant de souvenirs historiques que Caprée. Ce n'était qu'une île comme toutes les îles, plus riante peut-être, voilà tout, lorsqu'un jour Auguste résolut d'y faire un voyage. Au moment où il y abordait, un vieux chêne dont la sève semblait à tout jamais tarie releva ses branches desséchées et déjà penchées vers la terre, et dans la même journée l'arbre se couvrit de bourgeons

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