Le Speronare. Dumas Alexandre

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Le Speronare - Dumas Alexandre

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un lieu de délices, y demeura quatre ans, et lorsqu'il mourut, légua l'île à Tibère.

      Tibère s'y retira à son tour, comme se retire dans son antre un vieux tigre qui se sent mourir. Là seulement, entouré de vaisseaux qui nuit et jour le gardaient, il se crut à l'abri du poignard et du poison. Sur ces roches où il n'y a plus aujourd'hui que des ruines, s'élevaient alors douze villas impériales, portant les noms des douze grandes divinités de l'Olympe; dans ces villas, dont chacune servait durant un mois de l'année de forteresse à l'empereur, et qui étaient soutenues par des colonnes de marbre dont les chapiteaux dorés soutenaient des frises d'agate, il y avait des bassins de porphyre où étincelaient les poissons argentés du Gange, des pavés de mosaïque dont les dessins étaient formés d'opale, d'émeraudes et de rubis; des bains secrets et profonds, où des peintures lascives éveillaient des désirs terribles en retraçant des voluptés inouïes. Autour de ces villas, aux flancs de ces montagnes nues aujourd'hui, s'élevaient alors deux forêts de cèdres et des bosquets d'orangers où se cachaient de beaux adolescents et de belles jeunes filles, qui, déguisés en faunes et en dryades, en satyres et en bacchantes, chantaient des hymnes à Vénus, tandis que d'invisibles instruments accompagnaient leurs voix amoureuses; et quand le soir était venu, quand une de ces nuits transparentes et étoilées comme l'Orient seul en sait faire pour l'amour, s'était abaissée sur la mer endormie; quand une brise embaumée, soufflant de Sorrente ou de Pompeïa, venait se mêler aux parfums que des enfants, vêtus en amours, brûlaient incessamment sur des trépieds d'or; quand des cris voluptueux, des harmonies mystérieuses, des soupirs étouffés, frémissaient vagues et confus comme si l'île amoureuse tressaillait de plaisir entre les bras d'un dieu marin, un phare immense s'allumait, qui semblait un soleil nocturne. Bientôt, à sa lueur, on voyait sortir de quelque grotte et marcher le long de la grève, entre son astrologue Thrasylle et son médecin Chariclès, un vieillard vêtu de pourpre, au cou raide et penché, au visage silencieux et morne, secouant de temps en temps une forêt de cheveux argentés qui retombaient sur ses larges épaules, ondulant comme la crinière d'un lion. Le vieillard laissait tomber de ses lèvres quelques mots rares et tardifs, tandis que sa main aux gestes efféminés caressait la tête d'un serpent privé qui dormait sur sa poitrine. Ces mots, c'étaient quelques vers grecs qu'il venait de composer, quelques ordres pour des débauches secrètes dans la villa de Jupiter ou de Gérés, quelque sentence de mort qui, le lendemain, allait, sur les ailes d'une galère latine, aborder à Ostie et épouvanter Rome: car ce vieillard, c'était le divin Tibère, le troisième César, l'empereur aux grands yeux fauves, qui, pareils à ceux du chat, du loup et de la hyène, voyaient clair dans l'obscurité.

      Aujourd'hui, de toutes ces magnificences, il ne reste plus que des ruines; mais, plus vivace que la pierre et le marbre, la mémoire du vieil empereur est demeurée tout entière. On dirait, tant son nom est encore dans toutes les bouches, que c'est d'hier qu'il s'est couché dans la tombe parricide que lui avait préparée Caligula, et où le poussa Macron. On dirait qu'à défaut de son corps, on tremble encore devant son ombre, et les habitants de Capri et d'Anacapri, les deux cités de l'île, montrent encore les restes de son palais avec la même terreur qu'ils montreraient un volcan éteint, mais qui, à chaque jour, à chaque heure, à chaque minute, peut se ranimer plus mortel et plus dévorant que jamais.

      Ces deux cités sont situées, Capri, en amphithéâtre en face du port, et Anacapri au haut du mont Solara. Un escalier de cinq ou six cents marches, rude et creusé dans le roc, conduit de la première à la seconde de ces deux villes; mais la fatigue de cette rapide ascension est largement rachetée, il faut le dire, par le panorama splendide que l'oeil embrasse une fois arrivé au sommet de la montagne. En effet, le voyageur, en faisant face à Naples, a d'abord à sa droite Paestum, cette fille voluptueuse de la Grèce, dont les rosés, qui fleurissaient deux fois l'an dans un air mortel à la virginité, allaient se faner au front d'Horace et s'effeuiller sur la table de Mécène; puis Sorrente, où le vent qui passe emporte avec lui la fleur des orangers qu'il disperse au loin sur la mer, puis Pompeia, endormie dans sa cendre, et qu'on réveille comme une vieille ruine d'Egypte, avec ses peintures ardentes, ses urnes lacrymales et ses bandelettes mortuaires; enfin Herculanum, qui surprise un jour par la lave, cria, se tordit et mourut comme Laocoon étouffé aux noeuds de ses serpents. Alors commence Naples, car Torre di Greco, Resina et Portici ne sont, à vrai dire, que des faubourgs; Naples, la ville paresseuse, couchée sur son amphithéâtre de montagnes, et allongeant ses petits pieds jusqu'aux flots tièdes et lascifs de son golfe; Naples, dont Rome, la reine du monde, avait fait sa maison de plaisance, tant alors comme aujourd'hui la nature avait versé autour d'elle tous ses enchantements. Puis, après Naples, l'oeil découvre Pouzzoles et son temple de Sérapis à moitié caché dans l'eau; Cumes et son antre sibyllin, où descendit le pieux Énée; puis le golfe où Caligula jeta, pour surpasser Xerxès, un pont d'une lieue, dont on aperçoit encore les ruines; puis Bauli, d'où partit la galère impériale préparée par Néron et qui devait s'ouvrir sous les pieds d'Agrippine; puis Baïa, si mortelle aux chastes amants; puis enfin Misène, où est enterré le clairon d'Énée, et d'où Pline l'ancien alla mourir, étouffé dans sa litière par les cendres de Stabia.

      Figurez-vous le tableau que nous venons de décrire éclairé par ce phare immense qu'on appelle le Vésuve, et dites-moi s'il y a dans le monde entier quelque chose qui puisse se comparer à un pareil spectacle.

      Au milieu de ces souvenirs antiques surgit sous les pieds un souvenir tout moderne. C'est un épisode de cette épopée gigantesque qui commença en 1789 et qui finit en 1815. Depuis deux ans déjà les Français étaient maîtres du royaume de Naples, depuis quinze jours Murat en était roi, et cependant Caprée appartenait encore aux Anglais. Deux fois son prédécesseur Joseph en avait tenté la conquête, et deux fois la tempête, cette éternelle alliée de l'Angleterre, avait dispersé ses vaisseaux.

      C'était une vue terrible pour Murat que celle de cette île qui lui fermait sa rade comme avec une chaîne de fer; aussi le matin, lorsque le soleil se levait derrière Sorrente, c'était cette île qui attirait tout d'abord ses yeux; et le soir, lorsque le soleil se couchait derrière Procida, c'était encore cette île qui fixait son dernier regard.

      A chaque heure de la journée, Murât interrogeait ceux qui l'entouraient à l'endroit de cette île, et il apprenait sur les précautions prises par Hudson Lowe, son commandant, des choses presque fabuleuses. En effet, Hudson Lowe ne s'était point fié à cette ceinture inabordable de rochers à pic qui l'entoure, et qui suffisait à Tibère; quatre forts nouveaux avaient été ajoutés par lui aux forts qui existaient déjà; il avait fait effacer par la pioche et rompre par la mine les sentiers qui serpentaient autour des précipices, et où les chevriers eux-mêmes n'osaient passer que pieds nus; enfin il accordait une prime d'une guinée à chaque homme qui parvenait, malgré la surveillance des sentinelles, à s'introduire dans l'île par quelque voie qui n'eût point été ouverte encore à d'autres qu'à lui.

      Quant aux forces matérielles de l'île, Hudson Lowe avait à sa disposition deux mille soldats et quarante bouches à feu, qui, en s'enflammant, allaient porter l'alarme dans l'île de Ponza, où les Anglais avaient à l'ancre cinq frégates toujours prêtes à courir où le canon les appelait.

      De pareilles difficultés eussent rebuté tout autre que Murat, mais Murat était l'homme des choses impossibles. Murat avait juré qu'il prendrait Caprée, et quoiqu'il n'eût fait ce serment que depuis trois jours, il croyait déjà avoir manqué à sa parole, lorsque le général Lamarque arriva. Lamarque venait de prendre Gaëte et Maratea, Lamarque venait de livrer onze combats et de soumettre trois provinces, Lamarque était bien l'homme qu'il fallait à Murat; aussi, sans lui rien dire, Murat le conduisit à la fenêtre, lui remit une lunette entre les mains et lui montra l'île.

      Lamarque regarda un instant, vit le drapeau anglais qui flottait sur les forts de San-Salvador et de Saint-Michel, renfonça avec la paume de sa main les quatre tubes de la lunette les uns dans les autres et dit: Oui, je comprends; il faudrait la prendre.

      – Eh bien? reprit Murat.

      – Eh

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