Les Quarante-Cinq — Tome 3. Dumas Alexandre

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Les Quarante-Cinq — Tome 3 - Dumas Alexandre

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l'angle le plus aigu, semblaient une troupe de fantômes gigantesques glissant à fleur d'eau. Le jeune homme, dont le poste était sur son banc de quart, n'avait pu rester à son poste. Vêtu d'une magnifique armure, il avait pris sur la galère la place du premier lieutenant, et, courbé sur le beaupré, son oeil semblait vouloir percer les brumes du fleuve et la profondeur de la nuit. Bientôt, à travers cette double obscurité, il vit apparaître la digue qui s'étendait sombre en travers du fleuve; elle semblait abandonnée et déserte. Seulement il y avait, dans ce pays d'embûches, quelque chose d'effrayant dans cet abandon et cette solitude.

      Cependant on avançait toujours; on était en vue du barrage, à dix encablures à peine, et à chaque seconde on s'en rapprochait davantage, sans qu'un seul qui vive! fût encore venu frapper l'oreille des Français.

      Les matelots ne voyaient dans ce silence qu'une négligence dont ils se réjouissaient; le jeune amiral, plus prévoyant, y devinait quelque ruse dont il s'effrayait.

      Enfin la proue de la galère amirale s'engagea au milieu des agrès des deux bâtiments qui formaient le centre du barrage, et, les poussant devant elle, elle fit fléchir par le milieu toute cette digue flexible dont les compartiments tenaient l'un à l'autre par des chaînes, et qui, cédant sans se rompre, prit, en s'appliquant aux flancs des vaisseaux français la même forme que ses vaisseaux offraient eux-mêmes.

      Tout à coup, et au moment où les porteurs de haches recevaient l'ordre de descendre pour rompre le barrage, une foule de grappins, jetés par des mains invisibles, vinrent se cramponner aux agrès des vaisseaux français.

      Les Flamands prévenaient la manoeuvre des Français et faisaient ce qu'ils allaient faire.

      Joyeuse crut que ses ennemis lui offraient un combat acharné. Il l'accepta. Les grappins lancés de son côté lièrent par des noeuds de fer les bâtiments ennemis aux siens. Puis, saisissant une hache aux mains d'un matelot, il s'élança le premier sur celui des bâtiments qu'il retenait d'une plus sûre étreinte, en criant: A l'abordage! à l'abordage!

      Tout son équipage le suivit, officiers et matelots, en poussant le même cri que lui; mais aucun cri ne répondit au sien, aucune force ne s'opposa à son agression.

      Seulement on vit trois barques chargées d'hommes glissant silencieusement sur le fleuve, comme trois oiseaux de mer attardés.

      Ces barques fuyaient à force de rames, les oiseaux s'éloignaient à tire d'ailes.

      Les assaillants restaient immobiles sur ces bâtiments qu'ils venaient de conquérir sans lutte.

      Il en était de même sur toute la ligne.

      Tout à coup, Joyeuse entendit sous ses pieds un grondement sourd, et une odeur de souffre se répandit dans l'air. Un éclair traversa son esprit; il courut à une écoutille qu'il souleva: les entrailles du bâtiment brûlaient.

      A l'instant, le cri: Aux vaisseaux! aux vaisseaux! retentit sur toute la ligne.

      Chacun remonta plus précipitamment qu'il n'était descendu; Joyeuse, descendu le premier, remonta le dernier.

      Au moment où il atteignait la muraille de sa galère, la flamme faisait éclater le pont du bâtiment qu'il quittait.

      Alors, comme de vingt volcans, s'élancèrent des flammes, chaque barque, chaque sloop, chaque bâtiment était un cratère; la flotte française, d'un port plus considérable, semblait dominer un abîme de feu.

      L'ordre avait été donné de trancher les cordages, de rompre les chaînes, de briser les grappins; les matelots s'étaient élancés dans les agrès avec la rapidité d'hommes convaincus que de cette rapidité dépendait leur salut.

      Mais l'oeuvre était immense; peut-être se fût-on détaché des grappins jetés par les ennemis sur la flotte française, mais il y avait encore ceux jetés par la flotte française sur les bâtiments ennemis.

      Tout à coup vingt détonations se firent entendre; les bâtiments français tremblèrent dans leur membrure, gémirent dans leur profondeur.

      C'étaient les canons qui défendaient la digue, et qui, chargés jusqu'à la gueule et abandonnés par les Anversois, éclataient tout seuls au fur et à mesure que le feu les gagnait, brisant sans intelligence tout ce qui se trouvait dans leur direction, mais brisant.

      Les flammes montaient, comme de gigantesques serpents, le long des mâts, s'enroulaient autour des vergues, puis de leurs langues aiguës, venaient lécher les flancs cuivrés des bâtiments français.

      Joyeuse, avec sa magnifique armure damasquinée d'or, donnant, calme et d'une voix impérieuse, ses ordres au milieu de toutes ces flammes, ressemblait à une de ces fabuleuses salamandres aux millions d'écaillés, qui, à chaque mouvement qu'elles faisaient, secouaient une poussière d'étincelles.

      Mais bientôt les détonations redoublèrent plus fortes et plus foudroyantes; ce n'étaient plus les canons qui tonnaient, c'étaient les saintes-barbes qui prenaient feu, c'étaient les bâtiments eux-mêmes qui éclataient.

      Tant qu il avait espéré rompre les liens mortels qui l'attachaient à ses ennemis, Joyeuse avait lutté; mais il n'y avait plus d'espoir d'y réussir: la flamme avait gagné les vaisseaux français, et à chaque vaisseau ennemi qui sautait, une pluie de feu, pareille à un bouquet d'artifice, retombait sur son pont.

      Seulement, ce feu, c'était le feu grégeois, ce feu implacable, qui s'augmente de ce qui éteint les autres feux, et qui dévore sa proie jusqu'au fond de l'eau.

      Les bâtiments anversois, en éclatant, avaient rompu les digues; mais les bâtiments français, au lieu de continuer leur route, allaient à la dérive tout en flammes eux-mêmes, et entraînant après eux quelques fragments du brûlot rongeur, qui les avait étreints de ses bras de flammes.

      Joyeuse comprit qu'il n'y avait plus de lutte possible; il donna l'ordre de mettre toutes les barques à la mer, et de prendre terre sur la rive gauche.

      L'ordre fut transmis aux autres bâtiments à l'aide des porte-voix; ceux qui ne l'entendirent pas, eurent instinctivement la même idée.

      Tout l'équipage fut embarqué jusqu'au dernier matelot, avant que Joyeuse quittât le pont de sa galère.

      Son sang-froid semblait avoir rendu le sang-froid à tout le monde: chacun de ses marins avait à la main sa hache ou son sabre d'abordage.

      Avant qu'il eût atteint les rives du fleuve, la galère amirale sautait, éclairant d'un côté la silhouette de la ville, et de l'autre l'immense horizon du fleuve qui allait, en s'élargissant toujours, se perdre dans la mer.

      Pendant ce temps, l'artillerie des remparts avait éteint son feu: non pas que le combat eût diminué de rage, mais au contraire parce que Flamands et Français en étant venus aux mains, on ne pouvait plus tirer sur les uns sans tirer sur les autres.

      La cavalerie calviniste avait chargé à son tour, faisant des prodiges; devant le fer de ses cavaliers, elle ouvre; sous les pieds de ses chevaux, elle broie; mais les Flamands blessés éventrent les chevaux avec leurs larges coutelas.

      Malgré cette charge brillante de la cavalerie, un peu de désordre se met dans les colonnes françaises, et elles ne font plus que se maintenir au lieu d'avancer, tandis que des portes de la ville sortent incessamment des bataillons frais qui se ruent sur

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