Fort comme la mort. Guy de Maupassant

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Fort comme la mort - Guy de Maupassant

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se remettait au travail, mais cinq minutes ne s'étaient pas écoulées sans qu'elle lui posât une question pour le ramener adroitement au seul sujet qui les occupât.

      En son coeur maintenant elle sentait naître des craintes. Elle voulait bien être aimée, mais pas trop. Sûre de n'être pas entraînée, elle redoutait de le laisser s'aventurer trop loin, et de le perdre, forcée de le désespérer après avoir paru l'encourager. S'il avait fallu cependant renoncer à cette tendre et marivaudante amitié, à cette causerie qui coulait, roulant des parcelles d'amour comme un ruisseau dont le sable est plein d'or, elle aurait ressenti un gros chagrin, un chagrin pareil à un déchirement.

      Quand elle sortait de chez elle pour se rendre à l'atelier du peintre, une joie l'inondait, vive et chaude, la rendait légère et joyeuse. En posant sa main sur la sonnette de l'hôtel d'Olivier, son coeur battait d'impatience, et le tapis de l'escalier était le plus doux que ses pieds eussent jamais pressé.

      Cependant Bertin devenait sombre, un peu nerveux, souvent irritable.

      Il avait des impatiences aussitôt comprimées, mais fréquentes.

      Un jour, comme elle venait d'entrer, il s'assit à côté d'elle, au lieu de se mettre à peindre, et il lui dit:

      – Madame, vous ne pouvez ignorer maintenant que ce n'est pas une plaisanterie, et que je vous aime follement.

      Troublée par ce début, et voyant venir la crise redoutée, elle essaya de l'arrêter, mais il ne l'écoutait plus. L'émotion débordait de son coeur, et elle dut l'entendre, pâle, tremblante, anxieuse. Il parla longtemps, sans rien demander, avec tendresse, avec tristesse, avec une résignation désolée; et elle se laissa prendre les mains qu'il conserva dans les siennes. Il s'était agenouillé sans qu'elle y prît garde, et avec un regard d'halluciné il la suppliait de ne pas lui faire de mal! Quel mal? Elle ne comprenait pas et n'essayait pas de comprendre, engourdie dans un chagrin cruel de le voir souffrir, et ce chagrin était presque du bonheur. Tout à coup, elle vit des larmes dans ses yeux et fut tellement émue, qu'elle fit: «Oh!» prête à l'embrasser comme on embrasse les enfants qui pleurent. Il répétait d'une voix très douce: «Tenez, tenez, je souffre trop», et tout à coup, gagnée par cette douleur, par la contagion des larmes, elle sanglota, les nerfs affolés, les bras frémissants, prêts à s'ouvrir.

      Quand elle se sentit tout à coup enlacée par lui et baisée passionnément sur les lèvres, elle voulut crier, lutter, le repousser, mais elle se jugea perdue tout de suite, car elle consentait en résistant, elle se donnait en se débattant, elle l'étreignait en criant: «Non, non, je ne veux pas.»

      Elle demeura ensuite bouleversée, la figure sous ses mains, puis tout à coup, elle se leva, ramassa son chapeau tombé sur le tapis, le posa sur sa tête et se sauva, malgré les supplications d'Olivier qui la retenait par sa robe.

      Dès qu'elle fut dans la rue, elle eut envie de s'asseoir au bord du trottoir, tant elle se sentait écrasée, les jambes rompues. Un fiacre passait, elle l'appela et dit au cocher: «Allez doucement, promenez-moi où vous voudrez.» Elle se jeta dans la voiture, referma la portière, se blottit au fond, se sentant seule derrière les glaces relevées, seule pour songer.

      Pendant quelques minutes, elle n'eut dans la tête que le bruit des roues et les secousses des cahots. Elle regardait les maisons, les gens à pied, les autres en fiacre, les omnibus, avec des yeux vides qui ne voyaient rien; elle ne pensait à rien non plus, comme si elle se fût donné du temps, accordé un répit avant d'oser réfléchir à ce qui s'était passé.

      Puis, comme elle avait l'esprit prompt et nullement lâche, elle se dit: «Voilà, je suis une femme perdue.» Et pendant quelques minutes encore, elle demeura sous l'émotion, sous la certitude du malheur irréparable, épouvantée comme un homme tombé d'un toit et qui ne remue point encore, devinant qu'il a les jambes brisées et ne le voulant point constater.

      Mais au lieu de s'affoler sous la douleur qu'elle attendait et dont elle redoutait l'atteinte, son coeur, au sortir de cette catastrophe, restait calme et paisible; il battait lentement, doucement, après cette chute dont son âme était accablée, et ne semblait point prendre part à l'effarement de son esprit.

      Elle répéta, à voix haute, comme pour l'entendre et s'en convaincre: «Voilà, je suis une femme perdue.» Aucun écho de souffrance ne répondit dans sa chair à cette plainte de sa conscience.

      Elle se laissa bercer quelque temps par le mouvement du fiacre, remettant à tout à l'heure les raisonnements qu'elle aurait à faire sur cette situation cruelle. Non, elle ne souffrait pas. Elle avait peur de penser, voilà tout, peur de savoir, de comprendre et de réfléchir; mais, au contraire, il lui semblait sentir dans l'être obscur et impénétrable que crée en nous la lutte incessante de nos penchants et de nos volontés, une invraisemblable quiétude.

      Après une demi-heure, peut-être, de cet étrange repos, comprenant enfin que le désespoir appelé ne viendrait pas, elle secoua cette torpeur et murmura: «C'est drôle, je n'ai presque pas de chagrin.»

      Alors elle commença à se faire des reproches. Une colère s'élevait en elle, contre son aveuglement et sa faiblesse. Comment n'avait-elle pas prévu cela? compris que l'heure de cette lutte devait venir? que cet homme lui plaisait assez pour la rendre lâche? et que dans les coeurs les plus droits le désir souffle parfois comme un coup de vent qui emporte la volonté.

      Mais quand elle se fut durement réprimandée et méprisée, elle se demanda avec terreur ce qui allait arriver.

      Son premier projet fut de rompre avec le peintre et de ne le plus jamais revoir.

      A peine eut-elle pris cette résolution que mille raisons vinrent aussitôt la combattre.

      Comment expliquerait-elle cette brouille? Que dirait-elle à son mari? La vérité soupçonnée ne serait-elle pas chuchotée, puis répandue partout?

      Ne valait-il pas mieux, pour sauver les apparences, jouer vis-à-vis d'Olivier Bertin lui-même l'hypocrite comédie de l'indifférence et de l'oubli, et lui montrer qu'elle avait effacé cette minute de sa mémoire et de sa vie?

      Mais le pourrait-elle? aurait-elle l'audace de paraître ne se rappeler rien, de regarder avec un étonnement indigné en lui disant: «Que me voulez-vous?» l'homme dont vraiment elle avait partagé la rapide et brutale émotion?

      Elle réfléchit longtemps et s'y décida néanmoins, aucune autre solution ne lui paraissant possible.

      Elle irait chez lui le lendemain, avec courage, et lui ferait comprendre aussitôt ce qu'elle voulait, ce qu'elle exigeait de lui. Il fallait que jamais un mot, une allusion, un regard, ne pût lui rappeler cette honte.

      Après avoir souffert, car il souffrirait aussi, il en prendrait assurément son parti, en homme loyal et bien élevé, et demeurerait dans l'avenir ce qu'il avait été jusque-là.

      Dès que cette nouvelle résolution fut arrêtée, elle donna au cocher son adresse, et rentra chez elle, en proie à un abattement profond, à un désir de se coucher, de ne voir personne, de dormir, d'oublier. S'étant enfermée dans sa chambre, elle demeura jusqu'au dîner étendue sur sa chaise longue, engourdie, ne voulant plus occuper son âme de cette pensée pleine de dangers.

      Elle descendit à l'heure précise, étonnée d'être si calme et d'attendre son mari avec sa figure ordinaire. Il parut, portant dans ses bras leur fille; elle lui serra la main et embrassa l'enfant, sans qu'aucune angoisse l'agitât.

      M. de Guilleroy s'informa de ce qu'elle avait fait. Elle répondit avec indifférence, qu'elle avait posé comme tous les jours.

      – Et

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