Paris. Emile Zola

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Paris - Emile Zola

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un coin du vestibule, à l'entrée même du grand salon. De hautes plantes vertes garnissaient ce vestibule, on était là à peu près caché.

      – Ne bougez pas, mon cher abbé. Je vais, si je puis, vous déterrer la princesse. Et vous saurez si la baronne Duvillard est arrivée déjà.

      Ce qui surprenait Pierre, c'était l'hôtel entièrement clos, les fenêtres fermées, les moindres fentes bouchées pour que le jour n'entrât pas, et toutes les pièces flambant de lampes électriques, dans une intensité surnaturelle de lumière. La chaleur était déjà très forte, des senteurs violentes de fleurs et de femmes alourdissaient l'air. Et il semblait à Pierre, aveuglé, étouffé, qu'il entrait dans l'au-delà luxurieux d'un de ces antres de la chair, tel que le Paris du plaisir en réalise le rêve. Maintenant, en se haussant sur la pointe des pieds, il distinguait, par la porte ouverte du salon, les dos des femmes déjà assises, des rangées de nuques blondes ou brunes. Sans doute, les Mauritaines dansaient une première fois. Il ne les voyait pas, mais il pouvait suivre l'ardeur lascive de leur danse, dans le frisson de toutes ces nuques, qui s'agitaient comme sous un grand vent. Puis, ce furent des rires, une tempête de bravos, tout un tumulte pâmé.

      – Impossible de mettre la main sur la princesse, il faut que vous attendiez un peu, revint dire Massot. J'ai rencontré Janzen, et il a promis de me l'amener… Vous ne connaissez pas Janzen?

      Et il se mit à commérer, par métier et par plaisir. La princesse était une de ses bonnes amies. C'était lui qui avait rendu compte de sa première soirée, l'année d'auparavant, lorsqu'elle avait débuté dans cet hôtel, dès son installation à Paris. La vraie vérité sur son compte, il la connaissait, autant qu'on pouvait la connaître. Riche, elle l'était peut-être, car elle dépensait énormément. Mariée, elle avait dû l'être, et à un véritable prince; sans doute même l'était-elle encore, malgré son histoire de veuvage, car il semblait certain que son mari, d'une beauté d'archange, voyageait avec une cantatrice. Mais quant à être une bonne toquée, une folle, cela était hors de discussion, prouvé, éclatant. Très intelligente d'ailleurs, elle avait des sautes continuelles et brusques. Incapable d'un effort prolongé, elle allait d'une curiosité à une autre, sans se fixer jamais. Et c'était ainsi qu'après s'être occupée ardemment de peinture, elle venait de se passionner pour la chimie. A présent, elle se laissait envahir par la poésie.

      – Alors, vous ne connaissez pas Janzen?.. C'est Janzen qui l'a jetée dans la chimie, dans l'étude des explosifs surtout; car, pour elle, vous vous doutez bien que la chimie a l'unique intérêt d'être anarchique… Elle, je la crois vraiment Autrichienne, bien qu'il faille en douter, dès qu'elle affirme une chose. Quant à Janzen, il se dit Russe, mais il doit être Allemand… Oh! l'homme le plus discret, le plus énigmatique, sans logis, sans nom peut-être, un terrible monsieur au passé inconnu, à la vie ignorée. Personnellement, j'ai des preuves qui me font penser qu'il a participé à l'effroyable attentat de Barcelone. En tout cas, voici près d'un an que je le rencontre à Paris, surveillé sans doute par la police. Et rien ne m'ôtera de l'idée qu'il n'a consenti à être l'amant de notre toquée de princesse, que pour dépister les agents. Il affecte de vivre ici dans les fêtes, il y a introduit des gens extraordinaires, des anarchistes de toutes nationalités et de tous poils, tenez! un Raphanel, ce petit homme rond et gai, là-bas, un Français celui-là, dont les compagnons feront bien de se méfier! un Bergaz, un Espagnol, je crois, vague coulissier à la Bourse, dont l'épaisse bouche de jouisseur est si inquiétante! et d'autres, et des aventuriers, et des bandits, venus des quatre coins du monde!.. Ah! les colonies étrangères, quelques beaux noms sans tache, quelques grandes fortunes réelles, et par-dessous quelle tourbe!

      C'était le salon même de Rosemonde, des titres retentissants, de vrais milliardaires, puis, dessous, le plus extravagant mélange des mensonges et des bas-fonds internationaux. Et Pierre songeait à cet internationalisme, à ce cosmopolitisme, au vol d'étrangers qui, de plus en plus dense, s'abat sur Paris. Certainement, il y venait pour en jouir, comme à une ville d'aventures et de joie, et il le pourrissait un peu davantage. Etait-ce donc nécessaire, cette décomposition des grandes cités qui ont gouverné le monde, cet afflux de toutes les passions, de tous les désirs, de tous les assouvissements, ce terreau accumulé, apporté du globe entier, où s'épanouit en beauté et en intelligence la fleur de la civilisation?

      Mais Janzen arrivait, un grand garçon maigre d'une trentaine d'années, très blond, les yeux gris, pâles et durs, la barbe en pointe, les cheveux bouclés et longs, allongeant encore le visage blême, comme noyé de brume. Il parlait assez mal le français, à voix basse, sans un geste. Et il dit que la princesse était introuvable, il venait de la chercher partout. Peut-être, si quelqu'un lui avait déplu, était-elle montée s'enfermer dans sa chambre et se coucher, laissant ses invités s'amuser librement chez elle, à leur guise.

      – Eh! la voici! dit tout d'un coup Massot.

      Rosemonde était là, en effet, dans le vestibule, guettant, comme si elle eût attendu quelqu'un. Petite, mince, plutôt étrange que jolie, avec son visage fin, aux yeux vert de mer, au nez léger et frémissant, à la bouche un peu forte et trop saignante, montrant d'admirables dents, elle avait ce jour-là une robe bleu de ciel pailletée d'argent, des bracelets d'argent, un cercle d'argent dans ses cheveux cendrés, dont la toison pleuvait en boucles, en frisons, en mèches folles, comme envolée sous un continuel coup de vent.

      – Mais tout ce que vous voudrez! monsieur l'abbé, dit-elle à Pierre, dès qu'elle connut le motif de sa démarche. Si on ne vous le prend pas à notre Asile, votre vieillard, envoyez-le-moi donc, je le prends, moi! je le coucherai ici quelque part.

      Elle restait agitée, regardait toujours la porte. Et, quand le prêtre lui demanda si madame la baronne Duvillard était arrivée déjà:

      – Eh! non, cria-t-elle. Vous m'en voyez toute surprise. Elle doit amener ses deux enfants… Hier, Hyacinthe m'a formellement promis de venir.

      Son nouveau caprice était là. Si la passion de la chimie, en elle, laissait place à un goût naissant pour la poésie décadente et symbolique, c'était qu'elle avait, un soir, en causant occultisme avec Hyacinthe, découvert en lui une extraordinaire beauté, la beauté astrale de l'âme voyageuse de Néron. Du moins, disait-elle, les signes étaient certains.

      Brusquement, elle quitta Pierre.

      – Ah! enfin, murmura-t-elle, soulagée, heureuse.

      Et elle se précipita. Hyacinthe entrait avec sa sœur Camille. Mais, dès le seuil, il venait de rencontrer l'ami pour lequel il venait, le jeune lord Elson, un éphèbe languide et pâle, à la chevelure de fille; et ce fut à peine s'il daigna remarquer l'accueil tendre de Rosemonde; car il professait que la femme était une bête impure et basse, salissante pour l'intelligence comme pour le corps. Désolée de cette froideur, elle suivit les deux jeunes gens, elle rentra derrière eux dans la vivante odeur, dans l'aveuglante fournaise du salon.

      Massot avait eu l'obligeance d'arrêter Camille, pour l'amener à Pierre, qui, dès les premiers mots, se désespéra.

      – Comment! mademoiselle, madame votre mère ne vous a pas accompagnée jusqu'ici?

      La jeune fille, vêtue, à son habitude, d'une robe sombre, bleu paon, était nerveuse, les yeux mauvais, la voix sifflante. Et, dans le redressement rageur de sa petite taille, sa difformité s'accusait davantage, l'épaule gauche plus haute que la droite.

      – Non, elle n'a pas pu… Elle avait un essayage chez son couturier. Nous nous sommes attardés à l'Exposition du Lis, elle nous a forcés de la mettre à la porte de Salmon, en nous rendant ici.

      C'était elle qui, habilement, avait fait traîner la visite, au Lis, espérant encore empêcher le rendez-vous de sa mère, rue Matignon. Et sa rage venait de l'aisance avec laquelle celle-ci s'était

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