Paris. Emile Zola

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Paris - Emile Zola страница 16

Paris - Emile Zola

Скачать книгу

hautaine colère contre les infâmes campagnes que menait une certaine presse. Est-ce que les hontes du Panama allaient renaître? Est-ce que la représentation nationale allait se laisser intimider par de nouvelles menaces de délation? C'était la république elle-même que ses adversaires essayaient de noyer sous un flot d'abominations. Non, non! l'heure était venue de se recueillir, de travailler en paix, sans permettre aux affamés de scandales de troubler la paix publique. Et la Chambre, impressionnée, craignant à la longue la lassitude des électeurs, devant ce débordement continu d'ordures, avait ajourné l'interpellation à un mois. Seulement, quoique Vignon eût évité d'intervenir en prenant la parole, tout son groupe avait voté contre le ministère, si bien que la majorité obtenue par celui-ci n'était que le deux voix, une majorité dérisoire.

      – Mais alors, demanda une voix à Massot, ils vont donner leur démission.

      – Oui, le bruit en court. Pourtant, Barroux est bien tenace… En tout cas, s'ils s'obstinent, ils seront par terre avant huit jours, d'autant plus que Sanier, furieux, déclare qu'il va publier demain la liste des noms.

      Et l'on vit passer, en effet, Barroux et Monferrand, qui se hâtaient, l'air affairé et soucieux, suivis de leurs clients inquiets. On disait que tout le cabinet était en train de se réunir, pour aviser et prendre un parti. Et ce fut ensuite Vignon qui reparut, au milieu d'un flot d'amis.

      Lui était radieux, d'une joie qu'il s'efforçait de cacher, calmant sa troupe, ne voulant pas chanter victoire trop tôt; mais les yeux de la bande luisaient, toute une meute à l'heure prochaine de la curée. Et il n'était pas jusqu'à Mège qui ne triomphât. A deux voix près, il avait renversé le ministère. Encore un usé! et il userait celui de Vignon! et il gouvernerait enfin!

      – Diable! murmura le petit Massot, Chaigneux et Dutheil ont des mines de chiens battus. Et, tenez! il n'y a encore que le patron. Regardez-le, est-il beau, ce Fonsègue!.. Bonsoir, je file.

      Il serra la main de son confrère, il ne voulut pas rester, bien que la séance continuât, une nouvelle question d'affaire, très importante, et qui se discutait devant les bancs vides.

      Chaigneux était allé s'accouder près de la grande Minerve, de son air éploré; et jamais détresse besogneuse ne l'avait plié davantage, sous l'angoisse continue de sa malchance. Dutheil, lui, pérorait quand même au centre d'un groupe, affectait une insouciance moqueuse; mais un tic nerveux plissait son nez, tirait sa bouche, toute sa face de joli homme suait la peur. Et il n'y avait réellement que Fonsègue tranquille et brave, toujours le même, dans sa petite taille remuante, avec ses yeux étincelants d'esprit, voilés à peine d'une ombre de malaise.

      Pierre s'était levé, pour renouveler sa demande. Mais Fonsègue le prévint, lui dit avec vivacité:

      – Non, non, monsieur l'abbé, je vous répète que je refuse de prendre sur moi une telle infraction à nos règlements. Il y a eu rapport, et il y a chose jugée. Comment voulez-vous que je puisse passer outre?

      – Monsieur, dit douloureusement le prêtre, il s'agit d'un vieillard qui a faim, qui a froid et qui va mourir, si l'on ne vient pas à son secours.

      D'un geste désespéré, le directeur du Globe sembla prendre les murs à témoin qu'il n'y pouvait rien. Sans doute craignait-il quelque mauvaise histoire pour son journal, où il avait abusé de l'Œig; uvre des Invalides du travail, comme arme électorale. Peut-être aussi la terreur secrète où la séance venait de le jeter, lui durcissait-elle le cœur.

      – Je ne puis rien, je ne puis rien… Mais, naturellement, je ne demande pas mieux que vous me fassiez forcer la main par ces dames du comité. Vous avez déjà madame la baronne Duvillard, ayez-en d'autres.

      Résolu à lutter jusqu'au bout, Pierre vit là une suprême tentative.

      – Je connais madame la comtesse de Quinsac, je puis aller la voir tout de suite.

      – C'est cela! excellent, la comtesse de Quinsac! Prenez une voiture et allez voir aussi madame la princesse de Harth. Elle se remue beaucoup, elle devient très influente… Ayez l'approbation de ces dames, retournez chez la baronne à sept heures, obtenez d'elle une lettre qui me couvre, et venez alors me trouver au journal. A neuf heures, votre homme couchera à l'Asile.

      Il y mettait, maintenant, une sorte de rondeur joyeuse, n'ayant plus l'air de douter du succès, du moment qu'il ne risquait plus de se compromettre. Le prêtre fut repris d'un grand espoir.

      – Ah! monsieur, je vous remercie, c'est une œuvre de salut que vous allez faire.

      – Mais vous pensez bien que je ne demande pas mieux. Si nous pouvions, d'un mot, guérir la misère, empêcher la faim et la soif… Dépêchez-vous, vous n'avez pas une minute à perdre.

      Ils se serrèrent la main, et Pierre se hâta de sortir. Ce n'était point chose facile, les groupes avaient grandi, les colères et les angoisses de la séance refluaient là, en un tumulte trouble, de même qu'une pierre jetée au milieu d'une mare remue la vase du fond, fait remonter à la surface les décompositions cachées. Il dut jouer des coudes, s'ouvrir un passage au travers de cette cohue, de la lâcheté frissonnante des uns, de l'audace insolente des autres, des tares salissantes du plus grand nombre, dans l'inévitable contagion du milieu. Mais il emportait un nouvel espoir, et il lui semblait que, s'il sauvait ce jour-là une vie, s'il faisait un heureux, ce serait le commencement du rachat, un peu de pardon sur les sottises et sur les fautes de ce monde politique, égoïste et dévorant.

      Dans le vestibule, un dernier incident arrêta Pierre une minute encore. Il y régnait une émotion, à la suite d'une querelle entre un homme et un huissier, qui l'avait empêché d'entrer, après avoir constaté que la carte qu'il présentait était une carte ancienne et dont on avait gratté la date. L'homme, d'abord brutal, n'avait pas insisté, comme saisi d'une timidité soudaine. Et Pierre eut la surprise de reconnaître, dans cet homme mal vêtu, Salvat, l'ouvrier mécanicien qu'il avait vu partir le matin en quête de travail. Cette fois, c'était bien lui, grand, maigre, ravagé, avec ses yeux de flamme et de rêve, incendiant sa face blême de meurt-de-faim. Il n'avait plus son sac à outils, son veston en loques était boutonné, gonflé sur le flanc gauche par une grosseur, sans doute quelque morceau de pain caché là. Et, repoussé par les huissiers, il se remit en marche, il prit le pont de la Concorde, lentement, au hasard, de l'air d'un homme qui ne sait où il va.

      IV

      Dans le vieux salon fané, un salon Louis XVI aux boiseries grises, madame la comtesse de Quinsac était assise près de la cheminée, à sa place habituelle. Elle ressemblait singulièrement à son fils, la figure longue et noble, le menton un peu sévère, avec de beaux yeux encore, sous la neigé des cheveux fins, coiffée à la mode surannée de sa jeunesse. Et, dans sa froideur hautaine, elle savait être aimable, d'une bonne grâce parfaite.

      Elle reprit après un long silence, avec un petit geste de la main, en s'adressant au marquis de Morigny, assis à l'autre coin de la cheminée, où il occupait le même fauteuil depuis tant d'années:

      – Ah! mon ami, vous avez bien raison, le bon Dieu nous a oubliés dans une abominable époque.

      – Oui, nous avons passé à côté du bonheur, dit-il lentement, et c'est votre faute, c'est sans doute la mienne aussi.

      Elle le fit taire d'un nouveau geste, avec un triste sourire. Et le silence retomba, pas un bruit ne venait de la rue, dans ce sombre rez-de-chaussée, au fond de la cour d'un vieil hôtel, situé rue Saint-Dominique, presque à l'angle de la rue de Bourgogne.

      Le marquis était un vieillard de soixante-quinze ans, de neuf ans plus âgé que la comtesse. Petit et

Скачать книгу