Paris. Emile Zola
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Il s'interrompit, il indiqua d'un mouvement de tête Dutheil, l'air fiévreux et souriant quand même, parmi un groupe qui venait de se former autour des deux ministres.
– Tenez! ce jeune homme là-bas, le joli brun qui a une barbe si triomphante.
– Je le connais, dit Pierre.
– Ah! vous connaissez Dutheil. Eh bien! en voilà un qui a sûrement touché. Mais c'est un oiseau. Il nous est arrivé d'Angoulême pour mener la plus aimable des existences, et il n'a pas plus de conscience ni de scrupules que les gentils pinsons de son pays, toujours en fête d'amour. Ah! pour celui-là, l'argent de Hunter a été comme une manne qui lui était due, et il ne s'est pas même dit qu'il se salissait les doigts. Soyez sûr qu'il s'étonne qu'on puisse donner à ça la moindre importance.
De nouveau, il désigna un député, dans le même groupe, un homme d'environ cinquante ans, malpropre, l'air éploré, d'une hauteur de perche, et la taille un peu courbée par le poids de sa tête, qu'il avait longue et chevaline. Ses cheveux jaunâtres, rares et plats, ses moustaches tombantes, toute sa face noyée, éperdue, exprimait une continuelle détresse.
– Et Chaigneux, le connaissez-vous? Non… Regardez-le, et demandez-vous s'il n'est pas tout naturel aussi que celui-ci ait touché… Il est débarqué d'Arras. Il avait là-bas une étude d'avoué. Lorsque sa circonscription l'a envoyé ici, il s'est laissé griser par la politique, il a tout vendu pour venir faire fortune à Paris, où il s'est installé avec sa femme et ses trois filles. Alors, vous vous imaginez son désarroi au milieu de ces quatre femmes, des femmes terribles, toujours dans les chiffons, les courses, les visites à recevoir et à rendre, sans compter la chasse aux épouseurs qui fuient. C'est la malchance acharnée, l'échec quotidien du pauvre homme médiocre, qui a cru que sa situation de député allait lui faciliter les affaires, et qui s'y noie… Et vous ne voulez pas que Chaigneux ait touché, lui qui est toujours en souffrance d'un billet de cinq cents francs! J'admets qu'il ne fût pas un malhonnête homme. Il l'est devenu, voilà tout.
Massot était lancé, il continua ses portraits, la série qu'il avait un instant rêvé d'écrire, sous le titre de «Députés à vendre». Les naïfs tombés dans la cuve, les exaspérés d'ambition, les âmes basses cédant à la tentation des tiroirs ouverts, les brasseurs d'affaires se grisant et perdant pied, à remuer de gros chiffres. Mais il reconnaissait volontiers qu'ils étaient relativement peu nombreux et que ces quelques brebis galeuses se retrouvaient dans tous les parlements du monde. Le nom de Sanier revint encore, il n'y avait que Sanier pour faire de nos Chambres des cavernes de voleurs.
Et Pierre, surtout, s'intéressait à la tourmente que la menace d'une crise ministérielle soulevait devant lui. Autour de Barroux et de Monferrand, il n'y avait pas que les Dutheil, que les Chaigneux, pâles de sentir le sol trembler, se demandant s'ils n'iraient pas coucher le soir à Mazas. Tous leurs clients étaient là, tous ceux qui tenaient d'eux l'influence, les places, et qui allaient s'effondrer, disparaître dans leur chute. Aussi fallait-il voir l'anxiété des regards, l'attente livide des figures, au milieu des conversations chuchotantes, des renseignements et des commérages qui couraient. Puis, dans le groupe d'à côté, autour de Vignon très calme, souriant, c'était l'autre clientèle, celle qui attendait de monter à l'assaut du pouvoir, pour tenir enfin l'influence, les places. Les yeux y luisaient de convoitise, on y lisait une joie encore à l'état d'espérance, une surprise heureuse de l'occasion brusque qui se présentait. Aux questions trop directes de ses amis, Vignon évitait de répondre, affirmait seulement qu'il n'interviendrait pas. Et son plan était évidemment de laisser Mège interpeller, renverser le ministère, car il ne le craignait pas, et il n'aurait ensuite, croyait-il, qu'à ramasser les portefeuilles tombés.
– Ah! Monferrand, disait le petit Massot, en voilà un gaillard qui prend le vent! Je l'ai connu anticlérical, mangeant du prêtre, monsieur l'abbé, si vous me permettez de m'exprimer ainsi; et ce n'est pas pour vous être agréable, mais je crois pouvoir vous annoncer qu'il s'est réconcilié avec Dieu… Du moins, on m'a conté que monseigneur Martha, un grand convertisseur, ne le quitte plus. Cela fait plaisir, par les temps nouveaux d'aujourd'hui, lorsque la science a fait banqueroute et que, de tous côtés, dans les arts, dans les lettres, dans la société elle-même, la religion refleurit en un délicieux mysticisme.
Il se moquait, comme toujours; mais il avait dit cela d'un air si aimable, que le prêtre dut s'incliner. D'ailleurs, un grand mouvement s'était produit, des voix annonçaient que Mège montait à la tribune; et ce fut une hâte générale, tous les députés rentrèrent dans la salle des séances, ne laissant que les curieux et quelques journalistes dans la salle des Pas perdus.
– C'est étonnant, reprit Massot, que Fonsègue ne soit pas arrivé. Ça l'intéresse pourtant, ce qui se passe. Mais il est si malin, qu'il y a toujours une raison, quand il ne fait pas ce qu'un autre ferait… Est-ce que vous le connaissez?
Et, sur la réponse négative de Pierre:
– Une tête et une vraie puissance, celui-là!.. Oh! j'en parle librement, je n'ai guère la bosse du respect, et mes patrons, n'est-ce pas? c'est encore les pantins que je connais le mieux et que je démonte le plus volontiers… Fonsègue est, lui aussi, désigné clairement dans l'article de Sanier. Il est, d'ailleurs, le client ordinaire de Duvillard. Qu'il ait touché, cela ne fait aucun doute, car il touche dans tout. Seulement, il est toujours couvert, il touche pour des raisons avouables, la publicité, les commissions permises. Et, si j'ai cru le voir troublé tout à l'heure, s'il tarde à être là comme pour établir un alibi moral, c'est donc qu'il aurait commis la première imprudence de sa vie.
Il continua, il raconta tout Fonsègue, un Corrézien encore, qui s'était mortellement fâché avec Monferrand à la suite d'histoires inconnues, un ancien avocat de Tulle venu à Paris pour le conquérir, et qui l'avait réellement conquis, grâce au grand journal du matin, le Globe, dont il était le fondateur et le directeur. Maintenant, il occupait, avenue du Bois de Boulogne, un luxueux hôtel, et pas une entreprise ne se lançait, sans qu'il s'y taillât royalement sa part. Il avait le génie des affaires, il se servait de son journal comme d'une force incalculable, pour régner en maître sur le marché. Mais quel esprit de conduite, quelle longue et adroite patience, avant d'arriver à son solide renom d'homme grave, gouvernant avec autorité le plus vertueux, le plus respecté des journaux! Ne croyant au fond ni à Dieu ni à Diable, il avait fait de ce journal le soutien de l'ordre, de la propriété et de la famille, républicain conservateur depuis qu'il y avait intérêt à l'être, mais resté religieux, d'un spiritualisme qui rassurait la bourgeoisie. Et, dans sa puissance acceptée, saluée, il avait une main au fond de tous les sacs.
– Hein? monsieur l'abbé, voyez où mène la presse. Voilà Sanier et Fonsègue, comparez-les un peu. En somme, ce sont des compères, ils ont chacun une arme, et ils s'en servent. Mais quelle différence dans les moyens et dans les résultats! La feuille du premier est vraiment un égout, qui le roule,