Paris. Emile Zola

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Paris - Emile Zola

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ne saurait être qu'anarchiste.

      Un rire courut autour de la table. On le gâtait beaucoup, on le trouvait très drôle. Son père surtout s'amusait à l'idée d'avoir, lui! un fils anarchiste; et le général, dans ses heures de rancune, parlait de chambarder une société assez bête pour se laisser mener par quatre polissons. Seul, le juge d'instruction, qui était en train de se faire une spécialité des affaires anarchistes, lui tint tête, défendit la civilisation menacée, donna des détails terrifiants sur ce qu'il appelait l'armée de la dévastation et du massacre. Mais les autres convives continuaient de sourire, en mangeant d'un pâté de foies de canard vraiment délicieux, que passait le maître d'hôtel. Il y avait tant de misère, il fallait tout comprendre, les choses finiraient par s'arranger. Le baron lui-même déclara d'un air conciliant:

      – C'est certain, on pourrait faire quelque chose. Quoi? personne ne le sait au juste. Les revendications sages, oh! je les accepte d'avance. Par exemple, améliorer le sort de l'ouvrier, créer de bonnes œuvres, tenez! comme notre Asile des Invalides du travail, dont nous avons raison d'être fiers. Mais il ne faut pas qu'on nous demande l'impossible.

      Au dessert, il se fit un moment de brusque silence, comme si, dans le papotage des conversations, sous l'étourdissement du copieux déjeuner, la préoccupation, la détresse de chacun serrait de nouveau les cœurs, reparaissait sur les faces effarées. Et l'on vit renaître l'inconscience inquiète de Dutheil, menacé de délation, la colère anxieuse du baron, se demandant comment il allait pouvoir contenter Silviane. Cette fille était sa tare, à lui, si solide, si puissant, le mal secret qui finirait peut-être par le ronger et le détruire. Et l'on vit surtout passer l'affreux drame sur les visages de la baronne, de Camille et de Gérard, cette rivalité haineuse de la mère et de la fille, se disputant l'homme qu'elles aimaient. Les lames de vermeil pelaient délicatement les fruits, il y avait des grappes de raisin dorées, d'une admirable fraîcheur, et des sucreries, des gâteaux défilèrent, une infinité de friandises, où s'attardaient complaisamment les appétits repus.

      Puis, comme on servait les rince-bouches, un valet vint se pencher à l'oreille de la baronne, qui répondit à demi-voix:

      – Eh bien! faites-le entrer au salon. Je vais l'y retrouver.

      Et, plus haut, aux convives:

      – C'est monsieur l'abbé Froment qui est là et qui insiste pour être reçu. Il ne nous gênera pas, je crois que vous le connaissez tous. Oh! un véritable saint, pour lequel j'ai beaucoup de sympathie!

      On s'oublia quelques minutes encore autour de la table, et l'on quitta enfin la salle à manger, tout odorante des mets, des vins, des fruits et des roses, toute chaude des grosses bûches qui étaient tombées en braise, dans la gaieté un peu en déroute des cristaux et de l'argenterie, sous le jour pâle et fin éclairant la débandade du couvert.

      Au milieu du petit salon, bleu et argent, Pierre était resté debout. Il regrettait maintenant d'avoir insisté, en voyant, sur une table, le plateau où le café et les liqueurs étaient servis. Puis, son embarras augmenta, lorsque les convives entrèrent un peu bruyamment, les yeux brillants et les joues roses. Mais sa flamme de charité s'était rallumée en lui si ardente, qu'il vainquit cette gêne. Et il ne lui resta que le sourd malaise d'apporter l'effroyable matinée de misère qu'il avait vécue, tant de noir et de froid, tant de saleté et de faim, dans cette richesse si claire, si tiède, si parfumée, débordante d'inutile et de superflu, au milieu de ces gens qui semblaient très gais d'avoir bien déjeuné.

      Tout de suite, la baronne s'avança avec Gérard, car c'était par celui-ci, dont il connaissait la mère, que le prêtre avait été présenté aux Duvillard, à l'époque de la fameuse conversion. Et, comme il s'excusait de se présenter à cette heure:

      – Mais vous êtes toujours le bienvenu, monsieur l'abbé… Vous permettez que je m'occupe de mes hôtes, je suis à vous dans un instant.

      Elle retourna près du plateau, pour servir le café et les liqueurs, aidée de sa fille. Gérard demeura, et justement il entretint Pierre de l'Asile des Invalides du travail, où tous deux s'étaient rencontrés récemment, à l'occasion d'une cérémonie, la pose de la première pierre d'un nouveau pavillon, que l'on bâtissait grâce au don superbe de cent mille francs, fait à l'œuvre par le baron Duvillard. L'œuvre ne comptait encore que quatre pavillons, et le projet primitif en prévoyait douze, sur le vaste terrain donné par la Ville, dans la presqu'île de Gennevilliers; de sorte que la souscription restait ouverte et qu'il se menait un grand bruit de cet effort charitable, réponse retentissante et péremptoire aux mauvais esprits qui accusaient la bourgeoisie repue de ne rien faire pour les travailleurs. La vérité était qu'une magnifique chapelle, érigée au milieu du terrain, avait absorbé les deux tiers des fonds réunis. Des dames patronnesses, prises dans tous les mondes, madame la baronne Duvillard, madame la comtesse de Quinsac, madame la princesse Rosemonde de Harth, vingt autres, avaient la charge de faire vivre l'œuvre, à l'aide de quêtes et de ventes de charité. Mais, surtout, le succès était venu de l'heureuse idée d'avoir débarrassé ces dames des gros soucis de l'organisation, en choisissant pour administrateur général le rédacteur en chef du Globe, le député Fonsègue, un brasseur d'affaires prodigieux. Et le Globe faisait une propagande continue, répondait aux attaques des révolutionnaires par l'inépuisable charité des classes dirigeantes; et, lors des dernières élections, l'œuvre avait ainsi servi d'arme électorale triomphante.

      Camille se promenait, une petite tasse fumante à la main.

      – Monsieur l'abbé, prenez-vous du café?

      – Non, merci, mademoiselle.

      – Un petit verre de chartreuse alors?

      – Non, merci.

      Et, tout le monde étant servi, la baronne revint, pour demander aimablement:

      – Voyons, monsieur l'abbé, que désirez-vous de moi?

      Pierre commença presque à voix basse, la gorge serrée, envahi d'une émotion qui lui faisait battre le cœur.

      – Je viens, madame, m'adresser à votre grande bonté. J'ai vu, ce matin, dans une affreuse maison de la rue des Saules, derrière Montmartre, un spectacle qui m'a bouleversé l'âme… Vous n'avez point idée d'une pareille maison de misère et de souffrance, les familles sans feu, sans pain, les hommes réduits au chômage, les mères n'ayant plus de lait pour leurs nourrissons, les enfants à peine vêtus, toussant et grelottant… Et, parmi tant d'horreurs, j'ai vu la pire, la plus abominable, un vieil ouvrier terrassé par l'âge, mourant de faim, tombé sur un tas de loques, dans un réduit dont un chien ne voudrait pas.

      Il tâchait d'y mettre le plus de discrétion possible, épouvanté des mots qu'il disait, des choses qu'il racontait, dans ce milieu de grand luxe et de jouissance, devant ces heureux comblés des joies de ce monde; car il sentait bien qu'il détonnait d'une façon discourtoise. Quelle étrange idée d'être venu à l'heure où l'on finit de déjeuner, lorsque l'arome du café brûlant caresse les digestions ravies! Pourtant, il continuait, il finissait même par élever la voix, cédant à la révolte qui le soulevait peu à peu, allant jusqu'au bout de son récit terrible, nommant Laveuve, précisant l'injuste abandon, demandant au nom de la pitié humaine aide et secours. Et tous les convives s'étaient approchés pour l'écouter, il voyait devant lui le baron, et le général, et Dutheil, et Amadieu, qui buvaient à petites gorgées leur café, silencieux, sans un geste.

      – Enfin, madame, conclut-il, j'ai pensé qu'on ne pouvait pas laisser une heure de plus ce vieil homme dans cette effroyable position, et que, dès ce soir, vous auriez la grande bonté de le faire admettre à l'Asile des Invalides du travail, où sa place me semble marquée tout naturellement.

      Des

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