L'Assommoir. Emile Zola
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу L'Assommoir - Emile Zola страница 13
Tous deux avaient fini par se rendre une foule de services, à l'hôtel Boncoeur. Coupeau allait lui chercher son lait, se chargeait de ses commissions, portait ses paquets de linge; souvent, le soir, comme il revenait du travail le premier, il promenait les enfants, sur le boulevard extérieur. Gervaise, pour lui rendre ses politesses, montait dans l'étroit cabinet où il couchait, sous les toits; et elle visitait ses vêtements, mettant des boutons aux cottes, reprisant les vestes de toile. Une grande familiarité s'établissait entre eux. Elle ne s'ennuyait pas, quand il était là, amusée des chansons qu'il apportait, de cette continuelle blague des faubourgs de Paris, toute nouvelle encore pour elle. Lui, à se frotter toujours contre ses jupes, s'allumait de plus en plus. Il était pincé, et ferme! Ça finissait parle gêner. Il riait toujours, mais l'estomac si mal à l'aise, si serré, qu'il ne trouvait plus ça drôle. Les bêtises continuaient, il ne pouvait la rencontrer sans lui crier: « Quand est-ce? » Elle savait ce qu'il voulait dire, et elle lui promettait la chose pour la semaine des quatre jeudis. Alors, il la taquinait, se rendait chez elle avec ses pantoufles à la main, comme pour emménager. Elle en plaisantait, passait très bien sa journée sans une rougeur dans les continuelles allusions polissonnes, au milieu desquelles il la faisait vivre. Pourvu qu'il ne fût pas brutal, elle lui tolérait tout. Elle se fâcha seulement un jour où, voulant lui prendre un baiser de force, il lui avait arraché des cheveux.
Vers les derniers jours de juin, Coupeau perdit sa gaieté. Il devenait tout chose. Gervaise, inquiète de certains regards, se barricadait la nuit. Puis, après une bouderie qui avait duré du dimanche au mardi, tout d'un coup, un mardi soir, il vint frapper chez elle, vers onze heures. Elle ne voulait pas lui ouvrir; mais il avait la voix si douce et si tremblante, qu'elle finit par retirer la commode poussée contre la porte. Quand il fut entré, elle le crut malade, tant il lui parut pâle, les yeux rougis, le visage marbré. Et il restait debout, bégayant, hochant la tête. Non, non, il n'était pas malade. Il pleurait depuis deux heures, en haut, dans sa chambre; il pleurait comme un enfant, en mordant son oreiller, pour ne pas être entendu des voisins. Voilà trois nuits qu'il ne dormait plus. Ça ne pouvait pas continuer comme ça.
– Écoutez, madame Gervaise, dit-il la gorge serrée, sur le point d'être repris par les larmes, il faut en finir, n'est-ce pas?.. Nous allons nous marier ensemble. Moi, je veux bien, je suis décidé.
Gervaise montrait une grande surprise. Elle était très grave.
– Oh! monsieur Coupeau, murmura-t-elle, qu'est-ce que vous allez chercher là! Je ne vous ai jamais demandé cette chose, vous le savez bien… Ça ne me convenait pas, voilà tout… Oh! non, non, c'est sérieux, maintenant; réfléchissez, je vous en prie. Mais il continuait à hocher la tète, d'un air de résolution inébranlable. C'était tout réfléchi. Il était descendu, parce qu'il avait besoin de passer une bonne nuit. Elle n'allait pas le laisser remonter pleurer, peut-être! Dès qu'elle aurait dit oui, il ne la tourmenterait plus, elle pourrait se coucher tranquille. Il voulait simplement lui entendre dire oui. On causerait le lendemain.
– Bien sûr, je ne dirai pas oui comme ça, repris Gervaise. Je ne tiens pas à ce que, plus tard, vous m'accusiez de vous avoir poussé à faire une bêtise… Voyez-vous, monsieur Coupeau, vous avez tort de vous entêter. Vous ignorez vous-même ce que vous éprouvez pour moi. Si vous ne me rencontriez pas de huit jours, ça vous passerait, je parie. Les hommes, souvent, se marient pour une nuit, la première, et puis les nuits se suivent, les jours s'allongent, toute la vie, et ils sont joliment embêtés… Asseyez-vous là, je veux bien causer tout de suite.
Alors, jusqu'à une heure du matin, dans la chambre noire, à la clarté fumeuse d'une chandelle qu'ils oubliaient de moucher, ils discutèrent leur mariage, baissant la voix, afin de ne pas réveiller les deux enfants, Claude et Étienne, qui dormaient avec leur petit souffle, la tête sur le même oreiller. Et Gervaise revenait toujours à eux, les montrait à Coupeau; c'était là une drôle de dot qu'elle lui apportait, elle ne pouvait vraiment pas l'encombrer de deux mioches. Puis, elle était prise de honte pour lui. Qu'est-ce qu'on dirait dans le quartier? On l'avait connue avec son amant, on savait son histoire; ce ne serait guère propre, quand on les verrait s'épouser, au bout de deux mois à peine. A toutes ces bonnes raisons, Coupeau répondait par des haussements d'épaules. Il se moquait bien du quartier! Il ne mettait pas son nez dans les affaires des autres; il aurait eu trop peur de le salir, d'abord! Eh bien! oui, elle avait eu Lantier avant lui. Où était le mal? Elle ne faisait pas la vie, elle n'amènerait pas des hommes dans son ménage, comme tant de femmes, et des plus riches. Quant aux enfants, ils grandiraient, on les élèverait, parbleu! Jamais il ne trouverait une femme aussi courageuse, aussi bonne, remplie de plus de qualités. D'ailleurs, ce n'était pas tout ça, elle aurait pu rouler sur les trottoirs, être laide, fainéante, dégoûtante, avoir une séquelle d'enfants crottés, ça n'aurait pas compté à ses yeux: il la voulait.
– Oui, je vous veux, répétait-il, en tapant son poing sur son genou d'un martèlement continu. Vous entendez bien, je vous veux… Il n'y a rien à dire à ça, je pense?
Gervaise, peu à peu, s'attendrissait. Une lâcheté du coeur et des sens la prenait, au milieu de ce désir brutal dont elle se sentait enveloppée. Elle ne hasardait plus que des objections timides, les mains tombées sur ses jupes, la face noyée de douceur. Du dehors, par la fenêtre entr'ouverte, la belle nuit de juin envoyait des souffles chauds, qui effaraient la chandelle, dont la haute mèche rougeâtre charbonnait; dans le grand silence du quartier endormi, on entendait seulement les sanglots d'enfant d'un ivrogne, couché sur le dos, au milieu du boulevard; tandis que, très loin, au fond de quelque restaurant, un violon jouait un quadrille canaille à quelque noce attardée, une petite musique cristalline, nette et déliée comme une phrase d'harmonica. Coupeau, voyant la jeune femme à bout d'arguments, silencieuse et vaguement souriante, avait saisi ses mains, l'attirait vers lui. Elle était dans une de ces heures d'abandon dont elle se méfiait tant, gagnée, trop émue pour rien refuser et faire de la peine à quelqu'un. Mais le zingueur ne comprit pas qu'elle se donnait; il se contenta de lui serrer les poignets à les broyer, pour prendre possession d'elle; et ils eurent tous les deux un soupir, à cette légère douleur, dans laquelle se satisfaisait un peu de leur tendresse.
– Vous dites oui, n'est-ce pas? demanda-t-il.
– Comme vous me tourmentez! murmura-t-elle. Vous le voulez? eh bien, oui… Mon Dieu, nous faisons là une grande folie, peut-être.
Il s'était levé, l'avait empoignée par la taille, lui appliquait un rude baiser sur la figure, au hasard. Puis, comme cette caresse faisait un gros bruit, il s'inquiéta le premier, regardant Claude et Étienne, marchant à pas de loup, baissant la voix.
– Chut! soyons sages, dit-il, il ne faut pas réveiller les gosses…
A demain.
Et il remonta à sa chambre. Gervaise, toute tremblante, resta près d'une heure assise au bord de son lit, sans songer à se déshabiller. Elle était touchée, elle trouvait Coupeau très-honnête; car elle avait bien cru un moment que c'était fini, qu'il allait coucher là. L'ivrogne, en bas, sous la fenêtre, avait une plainte plus rauque de bête perdue. Au loin, le violon à la ronde canaille se taisait.
Les jours suivants, Coupeau voulut décider Gervaise à monter un soir chez sa soeur, rue de la Goutte-d'Or. Mais la jeune femme, très timide, montrait un grand effroi de cette visite aux Lorilleux. Elle remarquait parfaitement que le zingueur avait une peur sourde du ménage. Sans doute il ne dépendait pas de sa soeur, qui n'était même pas l'aînée. Maman Coupeau donnerait son consentement des deux mains, car jamais elle ne contrariait son fils. Seulement, dans la famille,