L'Assommoir. Emile Zola

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L'Assommoir - Emile Zola

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se tournant, se baissant, élargissant les bras, en hâte, avec des regards obliques sur les mariés et sur les témoins. Les mariés, devant l'autel, très-embarrassés, ne sachant pas quand il fallait s'agenouiller, se lever, s'asseoir, attendaient un geste du clerc. Les témoins, pour être convenables, se tenaient debout tout le temps; tandis que maman Coupeau, reprise par les larmes, pleurait dans le livre de messe qu'elle avait emprunté à une voisine. Cependant, midi avait sonné, la dernière messe était dite, l'église s'emplissait du piétinement des sacristains, du vacarme des chaises remises en place. On devait préparer le maître-autel pour quelque fête, car on entendait le marteau des tapissiers clouant des tentures. Et, au fond de la chapelle perdue, dans la poussière d'un coup de balai donné par le bedeau, le prêtre à l'air maussade promenait vivement ses mains sèches sur les têtes inclinées de Gervaise et de Coupeau, et semblait les unir au milieu d'un déménagement, pendant une absence du bon Dieu, entre deux messes sérieuses. Quand la noce eut de nouveau signé sur un registre, à la sacristie, et qu'elle se retrouva en plein soleil, sous le porche, elle resta un instant là, ahurie, essoufflée d'avoir été menée au galop.

      – Voilà! dit Coupeau, avec un rire gêné.

      Il se dandinait, il ne trouvait rien là de rigolo. Pourtant, il ajouta:

      – Ah bien! ça ne traîne pas. Ils vous envoient ça en quatre mouvements… C'est comme chez les dentistes: on n'a pas le temps de crier ouf! ils marient sans douleur.

      – Oui, oui, de la belle ouvrage, murmura Lorilleux en ricanant. Ça se bâcle en cinq minutes et ça tient bon toute la vie… Ah! ce pauvre Cadet-Cassis, va!

      Et les quatre témoins donnèrent des tapes sur les épaules du zingueur qui faisait le gros dos. Pendant ce temps, Gervaise embrassait maman Coupeau, souriante, les yeux humides pourtant. Elle répondait aux paroles entrecoupées de la vieille femme:

      – N'ayez pas peur, je ferai mon possible. Si ça tournait mal, ça ne serait pas de ma faute. Non, bien sûr, j'ai trop envie d'être heureuse… Enfin, c'est fait, n'est-ce pas? C'est à lui et à moi de nous entendre et d'y mettre du nôtre.

      Alors, on alla droit au Moulin-d'Argent. Coupeau avait pris le bras de sa femme. Ils marchaient vite, riant, comme emportés, à deux cents pas devant les autres, sans voir les maisons, ni les passants, ni les voitures. Les bruits assourdissants du faubourg sonnaient des cloches à leurs oreilles. Quand ils arrivèrent chez le marchand de vin, Coupeau commanda tout de suite deux litres, du pain et des tranches de jambon, dans le petit cabinet vitré du rez-de-chaussée, sans assiettes ni nappe, simplement pour casser une croûte. Puis, voyant Boche et Bibi-la-Grillade montrer un appétit sérieux, il fit venir un troisième litre et un morceau de brie. Maman Coupeau n'avait pas faim, était trop suffoquée pour manger. Gervaise, qui mourait de soif, buvait de grands verres d'eau à peine rougie.

      – Ça me regarde, dit Coupeau, en passant immédiatement au comptoir, où il paya quatre francs cinq sous.

      Cependant, il était une heure, les invités arrivaient. Madame Fauconnier, une femme grasse, belle encore, parut la première; elle avait une robe écrue, à fleurs imprimées, avec une cravate rose et un bonnet très chargé de fleurs. Ensuite vinrent ensemble mademoiselle Remanjou, toute fluette dans l'éternelle robe noire qu'elle semblait garder même pour se coucher, et le ménage Gaudron, le mari, d'une lourdeur de brute, faisant craquer sa veste brune au moindre geste, la femme, énorme, étalant son ventre de femme enceinte, dont sa jupe, d'un violet cru, élargissait encore la rondeur. Coupeau expliqua qu'il ne faudrait pas attendre Mes-Bottes; le camarade devait retrouver la noce sur la route de Saint-Denis.

      – Ah bien! s'écria madame Lerat en entrant, nous allons avoir une jolie saucée! Ça va être drôle!

      Et elle appela la société sur la porte du marchand de vin, pour voir les nuages, un orage d'un noir d'encre qui montait rapidement au sud de Paris. Madame Lerat, l'aînée des Coupeau, était une grande femme, sèche, masculine, parlant du nez, fagotée dans une robe puce trop large, dont les longs effilés la faisaient ressembler à un caniche maigre sortant de l'eau. Elle jouait avec son ombrelle comme avec un bâton. Quand elle eut embrassé Gervaise, elle reprit:

      – Vous n'avez pas idée, on reçoit un soufflet dans la rue… On dirait qu'on vous jette du feu à la figure.

      Tout le monde déclara alors sentir l'orage depuis longtemps. Quand on était sorti de l'église, M. Madinier avait bien vu ce dont il retournait. Lorilleux racontait que ses cors l'avaient empêché de dormir; à partir de trois heures du matin. D'ailleurs, ça ne pouvait pas finir autrement; voilà trois jours qu'il faisait vraiment trop chaud.

      – Oh! ça va peut-être couler, répétait Coupeau, debout à la porte, interrogeant le ciel d'un regard inquiet. On n'attend plus que ma soeur, on pourrait tout de même partir, si elle arrivait.

      Madame Lorilleux, en effet, était en retard. Madame Lerat venait de passer chez elle, pour la prendre; mais, comme elle l'avait trouvée en train de mettre son corset, elles s'étaient disputées toutes les deux. La grande veuve ajouta à l'oreille de son frère:

      – Je l'ai plantée là. Elle est d'une humeur!.. Tu verras quelle tête!

      Et la noce dut patienter un quart d'heure encore, piétinant dans la boutique du marchand de vin, coudoyée, bousculée, au milieu des hommes qui entraient boire un canon sur le comptoir. Par moments, Boche, ou madame Fauconnier ou Bibi-la-Grillade, se détachaient, s'avançaient au bord du trottoir, les yeux en l'air. Ça ne coulait pas du tout; le jour baissait, des souffles de vent, rasant le sol, enlevaient de petits tourbillons de poussière blanche. Au premier coup de tonnerre, mademoiselle Remanjou se signa. Tous les regards se portaient avec anxiété sur l'oeil-de-boeuf, au-dessus de la glace: il était déjà deux heures moins vingt.

      – Allez-y! cria Coupeau. Voilà les anges qui pleurent.

      Une rafale de pluie balayait la chaussée, où des femmes fuyaient, en tenant leurs jupes à deux mains. Et ce fut sous cette première ondée que madame Lorilleux arriva enfin, essoufflée, furibonde, se battant sur le seuil avec son parapluie, qui ne voulait pas se fermer.

      – A-t-on jamais vu! bégayait-elle. Ça m'a pris juste à la porte. J'avais envie de remonter et de me déshabiller. J'aurais rudement bien fait… Ah! elle est jolie, la noce! Je le disais, je voulais tout renvoyer à samedi prochain. Et il pleut parce qu'on ne m'a pas écoutée! Tant mieux! tant mieux que le ciel crève!

      Coupeau essaya de la calmer. Mais elle l'envoya coucher. Ce ne serait pas lui qui payerait sa robe, si elle était perdue. Elle avait une robe de soie noire, dans laquelle elle étouffait; le corsage, trop étroit, tirait sur les boutonnières, la coupait aux épaules; et la jupe, taillée en fourreau, lui serrait si fort les cuisses, qu'elle devait marcher à tout petits pas. Pourtant, les dames de la société la regardaient, les lèvres pincées, l'air ému de sa toilette. Elle ne parut même pas voir Gervaise, assise à côté de maman Coupeau. Elle appela Lorilleux, lui demanda son mouchoir; puis, dans un coin de la boutique, soigneusement, elle essuya une à une les gouttes de pluie roulées sur la soie.

      Cependant, l'ondée avait brusquement cessé. Le jour baissait encore, il faisait presque nuit, une nuit livide traversée par de larges éclairs. Bibi-la-Grillade répétait en riant qu'il allait tomber des curés, bien sûr. Alors, l'orage éclata avec une extrême violence. Pendant une demi-heure, l'eau tomba à seaux, la foudre gronda sans relâche. Les hommes, debout devant la porte, contemplaient le voile gris de l'averse, les ruisseaux grossis, la poussière d'eau volante montant du clapotement des flaques. Les femmes s'étaient assises, effrayées, les mains aux yeux. On ne causait plus, la gorge un peu serrée. Une plaisanterie risquée sur le tonnerre par Boche, disant que saint Pierre éternuait là-haut, ne fit sourire personne. Mais, quand la foudre

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