OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert

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OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4 - Gustave Flaubert

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va se marier! est-ce possible!»

      Et un tremblement nerveux la saisit.

      «Pourquoi cela? est-ce que je l’aime?»

      Puis, tout à coup:

      «Mais oui, je l’aime!.. je l’aime!..»

      Il lui semblait descendre dans quelque chose de profond, qui n’en finissait plus. La pendule sonna trois heures. Elle écouta les vibrations du timbre mourir. Et elle restait au bord de son fauteuil, les prunelles fixes, et souriant toujours.

      Le même après-midi, au même moment, Frédéric et Mlle Louise se promenaient dans le jardin que M. Roque possédait au bout de l’île. La vieille Catherine les surveillait de loin; ils marchaient côte à côte, et Frédéric disait:

      «Vous souvenez-vous quand je vous emmenais dans la campagne?

      – Comme vous étiez bon pour moi! répondit-elle. Vous m’aidiez à faire des gâteaux avec du sable, à remplir mon arrosoir, à me balancer sur l’escarpolette!

      – Toutes vos poupées, qui avaient des noms de reines ou de marquises, que sont-elles devenues?

      – Ma foi, je n’en sais rien!

      – Et votre roquet Moricaud?

      – Il s’est noyé, le pauvre chéri!

      – Et le Don Quichotte, dont nous colorions ensemble les gravures?

      – Je l’ai encore!»

      Il lui rappela le jour de sa première communion et comme elle était gentille aux vêpres, avec son voile blanc et son grand cierge, pendant qu’elles défilaient toutes autour du chœur et que la cloche tintait.

      Ces souvenirs, sans doute, avaient peu de charme pour Mlle Roque; elle ne trouva rien à répondre, et une minute après:

      «Méchant! qui ne m’a pas donné une seule fois de ses nouvelles!»

      Frédéric objecta ses nombreux travaux.

      «Qu’est-ce donc que vous faites?»

      Il fut embarrassé de la question, puis dit qu’il étudiait la politique.

      «Ah!»

      Et, sans en demander davantage:

      «Cela vous occupe, mais moi!..»

      Alors, elle lui conta l’aridité de son existence, n’ayant personne à voir, pas le moindre plaisir, la moindre distraction! Elle désirait monter à cheval.

      «Le vicaire prétend que c’est inconvenant pour une jeune fille; est-ce bête, les convenances! Autrefois, on me laissait faire tout ce que je voulais; à présent, rien!

      – Votre père vous aime pourtant!

      – Oui, mais…»

      Et elle poussa un soupir qui signifiait: «Cela ne suffit pas à mon bonheur.»

      Puis, il y eut un silence. Ils n’entendaient que le craquement du sable sous leurs pieds avec le murmure de la chute d’eau; car la Seine, au-dessus de Nogent, est coupée en deux bras. Celui qui fait tourner les moulins dégorge en cet endroit la surabondance de ses ondes, pour rejoindre plus bas le cours naturel du fleuve; et, lorsqu’on vient des ponts, on aperçoit, à droite sur l’autre berge, un talus de gazon que domine une maison blanche. A gauche, dans la prairie, des peupliers s’étendent, et l’horizon, en face, est borné par une courbe de la rivière; elle était plate comme un miroir; de grands insectes patinaient sur l’eau tranquille. Des touffes de roseaux et des joncs la bordent inégalement; toutes sortes de plantes venues là s’épanouissaient en boutons d’or, laissaient pendre des grappes jaunes, dressaient des quenouilles de fleurs amarantes, faisaient au hasard des fusées vertes. Dans une anse du rivage, des nymphéas s’étalaient; et un rang de vieux saules cachant des pièges à loup était, de ce côté de l’île, toute la défense du jardin.

      En deçà, dans l’intérieur, quatre murs à chaperon d’ardoises enfermaient le potager, où les carrés de terre, labourés nouvellement, formaient des plaques brunes. Les cloches des melons brillaient à la file sur leur couche étroite; les artichauts, les haricots, les épinards, les carottes et les tomates alternaient jusqu’à un plan d’asperges, qui semblait un petit bois de plumes.

      Tout ce terrain avait été, sous le Directoire, ce qu’on appelait une folie. Les arbres, depuis lors, avaient démesurément grandi. De la clématite embarrassait les charmilles, les allées étaient couvertes de mousse, partout les ronces foisonnaient. Des tronçons de statue émiettaient leur plâtre sous les herbes. On se prenait en marchant dans quelques débris d’ouvrage en fil de fer. Il ne restait plus du pavillon que deux chambres au rez-de-chaussée avec des lambeaux de papier bleu. Devant la façade s’allongeait une treille à l’italienne, où, sur des piliers en brique, un grillage de bâtons supportait une vigne.

      Ils vinrent là-dessus tous les deux, et, comme la lumière tombait par les trous inégaux de la verdure, Frédéric, en parlant à Louise de côté, observait l’ombre des feuilles sur son visage.

      Elle avait dans ses cheveux rouges, à son chignon, une aiguille terminée par une boule de verre imitant l’émeraude; et elle portait, malgré son deuil (tant son mauvais goût était naïf), des pantoufles en paille garnies de satin rose, curiosité vulgaire, achetées sans doute dans quelque foire.

      Il s’en aperçut et l’en complimenta ironiquement.

      «Ne vous moquez pas de moi!» reprit-elle.

      Puis, le considérant tout entier, depuis son chapeau de feutre gris jusqu’à ses chaussettes de soie:

      «Comme vous êtes coquet!»

      Ensuite, elle le pria de lui indiquer des ouvrages à lire. Il en nomma plusieurs, et elle dit:

      «Oh! comme vous êtes savant!»

      Toute petite, elle s’était prise d’un de ces amours d’enfant qui ont à la fois la pureté d’une religion et la violence d’un besoin. Il avait été son camarade, son frère, son maître, avait amusé son esprit, fait battre son cœur et versé involontairement jusqu’au fond d’elle-même une ivresse latente et continue. Puis il l’avait quittée en pleine crise tragique, sa mère à peine morte, les deux désespoirs se confondant. L’absence l’avait idéalisé dans son souvenir; il revenait avec une sorte d’auréole, et elle se livrait ingénument au bonheur de le voir.

      Pour la première fois de sa vie, Frédéric se sentait aimé; et ce plaisir nouveau, qui n’excédait pas l’ordre des sentiments agréables, lui causait comme un gonflement intime; si bien qu’il écarta les deux bras, en se renversant la tête.

      Un gros nuage passait alors sur le ciel.

      «Il va du côté de Paris, dit Louise; vous voudriez le suivre, n’est-ce pas?

      – Moi! pourquoi?

      – Qui sait?»

      Et, le fouillant d’un regard aigu:

      «Peut-être que vous avez là-bas… (elle chercha le mot)

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