OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4. Gustave Flaubert

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OEuvres complètes de Gustave Flaubert, tome 4 - Gustave Flaubert

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moins d’un an, il s’était fait dans la jeune fille une transformation extraordinaire qui étonnait Frédéric. Après une minute de silence, il ajouta:

      «Nous devrions nous tutoyer comme autrefois; voulez-vous?

      – Non.

      – Pourquoi?

      – Parce que!»

      Il insistait.

      Elle répondit en baissant la tête:

      «Je n’ose pas!»

      Ils étaient arrivés au bout du jardin, sur la grève du Livon. Frédéric, par gaminerie, se mit à faire des ricochets avec un caillou. Elle lui ordonna de s’asseoir. Il obéit; puis, en regardant la chute d’eau:

      «C’est comme le Niagara!»

      Il vint à parler des contrées lointaines et de grands voyages. L’idée d’en faire la charmait. Elle n’aurait eu peur de rien, ni des tempêtes, ni des lions.

      Assis, l’un près de l’autre, ils ramassaient devant eux des poignées de sable, puis les faisaient couler de leurs mains tout en causant; – et le vent chaud qui arrivait des plaines leur apportait par bouffées des senteurs de lavande, avec le parfum du goudron s’échappant d’une barque derrière l’écluse. Le soleil frappait la cascade; les blocs verdâtres du petit mur où l’eau coulait apparaissaient comme sous une gaze d’argent se déroulant toujours. Une longue barre d’écume rejaillissait au pied en cadence. Cela formait ensuite des bouillonnements, des tourbillons, mille courants opposés, et qui finissaient par se confondre en une seule nappe limpide.

      Louise murmura qu’elle enviait l’existence des poissons.

      «Ce doit être si doux de se rouler là dedans, à son aise, de se sentir caressé partout.»

      Et elle frémissait, avec des mouvements d’une câlinerie sensuelle.

      Mais une voix cria:

      «Où es-tu?

      – Votre bonne vous appelle, dit Frédéric.

      – Bien! bien!»

      Louise ne se dérangeait pas.

      «Elle va se fâcher, reprit-il.

      – Cela m’est égal! et d’ailleurs… Mlle Roque faisant comprendre, par un geste, qu’elle la tenait à sa discrétion.

      Elle se leva pourtant, puis se plaignit de mal de tête. Et, comme ils passaient devant un vaste hangar qui contenait des bourrées:

      «Si nous nous mettions dessous, à l’égaud

      Il feignit de ne pas comprendre ce mot de patois et même la taquina sur son accent. Peu à peu, les coins de sa bouche se pincèrent, elle mordait ses lèvres; elle s’écarta pour bouder.

      Frédéric la rejoignit, jura qu’il n’avait pas voulu lui faire de mal et qu’il l’aimait beaucoup.

      «Est-ce vrai?» s’écria-t-elle, en le regardant avec un sourire qui éclairait tout son visage, un peu semé de taches de son.

      Il ne résista pas à cette bravoure de sentiment, à la fraîcheur de sa jeunesse, et il reprit:

      «Pourquoi te mentirais-je?.. tu en doutes… hein?» en lui passant le bras gauche autour de la taille.

      Un cri, suave comme un roucoulement, jaillit de sa gorge; sa tête se renversa, elle défaillait, il la soutint. Et les scrupules de sa probité furent inutiles; devant cette vierge qui s’offrait, une peur l’avait saisi. Il l’aida ensuite à faire quelques pas doucement. Ses caresses de langage avaient cessé, et, ne voulant plus dire que des choses insignifiantes, il lui parlait des personnes de la société nogentaise.

      Tout à coup elle le repoussa, et, d’un ton amer:

      «Tu n’aurais pas le courage de m’emmener!»

      Il resta immobile avec un grand air d’ébahissement. Elle éclata en sanglots, et s’enfonçant la tête dans sa poitrine:

      «Est-ce que je peux vivre sans toi!»

      Il tâchait de la calmer. Elle lui mit ses deux mains sur les épaules pour le mieux voir en face, et, dardant contre les siennes ses prunelles vertes, d’une humidité presque féroce:

      «Veux-tu être mon mari?

      – Mais… répliqua Frédéric, cherchant quelque réponse. Sans doute… Je ne demande pas mieux.»

      A ce moment la casquette de M. Roque apparut derrière un lilas.

      Il emmena son «jeune ami» pendant deux jours faire un petit voyage aux environs, dans ses propriétés; et Frédéric, lorsqu’il revint, trouva chez sa mère trois lettres.

      La première était un billet de M. Dambreuse l’invitant à dîner pour le mardi précédent. A propos de quoi cette politesse? On lui avait donc pardonné son incartade?

      La seconde était de Rosanette. Elle le remerciait d’avoir risqué sa vie pour elle; Frédéric ne comprit pas d’abord ce qu’elle voulait dire; enfin, après beaucoup d’ambages, elle implorait de lui, en invoquant son amitié, se fiant à sa délicatesse, à deux genoux, disait-elle, vu la nécessité pressante et comme on demande du pain, un petit secours de cinq cents francs. Il se décida tout de suite à les fournir.

      La troisième lettre, venant de Deslauriers, parlait de la subrogation et était longue, obscure. L’avocat n’avait pris encore aucun parti. Il l’engageait à ne pas se déranger: «C’est inutile que tu reviennes!» appuyant même là-dessus avec une insistance bizarre.

      Frédéric se perdit dans toutes sortes de conjectures, et il eut envie de s’en retourner là-bas; cette prétention au gouvernement de sa conduite le révoltait.

      D’ailleurs, la nostalgie du boulevard commençait à le prendre; et puis sa mère le pressait tellement, M. Roque tournait si bien autour de lui et Mlle Louise l’aimait si fort, qu’il ne pouvait rester plus longtemps sans se déclarer. Il avait besoin de réfléchir et jugerait mieux les choses dans l’éloignement.

      Pour motiver son voyage, Frédéric inventa une histoire, et il partit en disant à tout le monde et croyant lui-même qu’il reviendrait bientôt.

      VI

      Son retour à Paris ne lui causa point de plaisir; c’était le soir, à la fin du mois d’août, le boulevard semblait vide, les passants se succédaient avec des mines refrognées, çà et là une chaudière d’asphalte fumait, beaucoup de maisons avaient leurs persiennes entièrement closes; il arriva chez lui; de la poussière couvrait les tentures; et, en dînant tout seul, Frédéric fut pris par un étrange sentiment d’abandon; alors il songea à Mlle Roque.

      L’idée de se marier ne lui paraissait plus exorbitante. Ils voyageraient, ils iraient en Italie, en Orient! Et il l’apercevait debout sur un monticule, contemplant un paysage, ou bien appuyée à son bras dans une galerie florentine, s’arrêtant devant les tableaux. Quelle joie ce serait que de voir ce bon petit être s’épanouir aux splendeurs de l’art et de la nature!

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