Sous la neige. Edith Wharton

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Sous la neige - Edith Wharton

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style="font-size:15px;">      Je mis le livre dans ma poche, et nous revînmes à notre mutisme habituel. Mais, comme nous commencions à gravir la longue côte qui va de Corbury Flats à Starkfield, j'aperçus dans le crépuscule le visage de Frome tourné de mon côté.

      – Il y a dans ce livre des choses dont je n'avais pas entendu parler jusqu'ici…

      Le propos m'étonna moins que l'accent dont il fut prononcé: évidemment, Frome était surpris et tant soit peu vexé de son ignorance.

      – Ces questions vous intéressent donc? – lui demandai-je.

      – Elles m'intéressaient autrefois…

      – Il y a quelques nouveautés dans ce livre… On a fait récemment des découvertes importantes dans cet ordre de recherches.

      J'attendais une phrase qui ne vint pas, et je repris:

      – Si vous voulez parcourir ce livre, je serai heureux de vous le prêter.

      Ethan Frome hésita. J'eus l'impression qu'il faisait effort pour secouer son inertie et me répondre.

      – Merci. J'accepte, – dit-il simplement.

      Je comptais qu'il s'ensuivrait quelques familiarités entre nous. La modestie de Frome et sa franchise m'assuraient que sa curiosité avait certainement pour cause l'intérêt réel jadis porté par lui à ces sujets-là. Ces préoccupations et ces connaissances, chez un homme de sa condition, rendaient le contraste encore plus poignant entre sa situation matérielle et ses besoins intimes et, puisque cet incident m'avait permis de satisfaire ses goûts secrets, j'espérais qu'il se déciderait à parler. Mais il y avait dans son passé ou dans sa vie présente quelque chose qui l'empêchait de se livrer. A notre rencontre suivante, il ne fit même pas allusion au livre et notre rapprochement semblait destiné à n'avoir pas de lendemain.

      Depuis plus d'une semaine déjà, Frome me conduisait à Corbury Flats, quand, un matin, à mon réveil, je vis qu'il neigeait abondamment. La hauteur des vagues blanches massées contre la palissade du jardin et le long du mur de l'église témoignait que la tempête avait duré toute la nuit: là-bas, en rase campagne, les couches de neige amoncelées par le vent devaient être plus épaisses encore.

      Je songeai aussitôt que mon train était assurément bloqué. Or, ce jour-là, ma présence était indispensable à l'usine dans le courant de l'après-midi. Je décidai donc, que si Frome venait, je me ferais conduire par lui jusqu'aux Flats. Une fois là, j'attendrais mon train jusqu'à ce qu'il se décidât à paraître.

      D'ailleurs je n'avais pas le moindre doute que Frome ne vînt. Je le connaissais assez bien pour savoir à quoi m'en tenir: il était un de ces hommes que nulle difficulté ne saurait détourner de leur tâche. En effet, à l'heure habituelle, je vis venir son traîneau glissant sur la neige: telle une apparition de théâtre qui traverse la scène derrière un léger voile de gaze…

      Inutile avec lui de manifester étonnement ou reconnaissance. Je ne pus cependant retenir un mouvement de surprise quand je le vis engager son cheval dans la direction opposée à la route de Corbury.

      – La voie est obstruée au-dessous des Flats par un train de marchandises, – m'expliqua-t-il. – La neige bloque le convoi.

      – Mais alors où me conduisez-vous?

      – Directement, et par le plus court, à Corbury Junction! – me répondit-il, m'indiquant du fouet la School House Hill.

      – A Corbury Junction? par cette bourrasque?… mais… il y a bien douze milles!

      – Le cheval les fera, si vous lui en donnez le temps. Vous avez dit que vous aviez du travail à l'usine cette après-midi: je vous y mène.

      Il prononça ces paroles avec tant de simplicité que je lui répondis sur le même ton:

      – Vous me rendez le plus grand service.

      – Bah! ce n'est rien…

      La route bifurqua en face de l'église. Nous prîmes un sentier à gauche, qui descendait au milieu des sapins. Il avait neigé si fort que les branches, courbées sous leur fardeau blanc, faisaient corps avec le tronc des arbres. Souvent, le dimanche, j'étais venu me promener de ce côté et l'on m'avait montré la scierie de Frome, qui se dessinait entre les fûts dénudées, presque qu bas de la colline.

      Le vieux bâtiment solitaire semblait agoniser. Sa roue paresseuse se reflétait vaguement dans l'eau noirâtre qui bouillonnait alentour en remous bruns. Sous le poids de la neige, ses hangars fléchissaient.

      Pas une seule fois Frome ne tourna la tête pendant la descente. Nous commençâmes à gravir la côte suivante, toujours en silence. Après quelques centaines de mètres, lorsque nous eûmes rejoint la grande route, nous rencontrâmes un champ de pommiers grêles. Les arbres se tordaient à mi-pente de la colline, sur un terrain rocheux où des crêtes d'ardoise perçaient la neige par endroits. Au delà de ce verger s'étendaient un champ ou deux qui confondaient leurs limites sous le grand tapis blanc. Un peu plus loin, dans l'immensité monotone du ciel et de la terre, surgissait l'une de ces fermes de la Nouvelle-Angleterre qui semblent élargir la solitude du paysage…

      – Voilà ma maison, – me dit Frome, – en faisant un mouvement de son coude estropié.

      J'étais tellement accablé par la désolation de la scène que je ne sus que lui répondre. Il ne neigeait plus. Sur la pente, à nos pieds, se dressait la ferme, qu'un pâle rayon de soleil éclairait dans toute sa laideur. Une vigne vierge desséchée pendait au-dessus de la porte, et les murs de bois, sous la peinture écaillée, semblaient grelotter dans le vent.

      – La maison était plus importante du temps de mon père! – continua Frome. – Mais j'ai dû abattre l'L, tout récemment.

      Et, se servant du bout de sa rêne gauche comme d'un fouet, il ramena sur le chemin le vieux cheval qui s'apprêtait à franchir la barrière brisée.

      Je découvris alors que l'aspect abandonné et minable de la demeure était dû surtout à l'absence de ce corps de logis que nous nommons, dans la Nouvelle-Angleterre, une L. Cette L est un appentis réservé au bûcher et à l'étable, généralement relié en équerre au bâtiment principal de la ferme, avec lequel il communique par la chambre à provisions et le magasin à outils.

      Est-ce par le symbole qu'elle présente, par l'image qu'elle évoque de la vie humaine liée au sol, par ce fait qu'elle détient les sources essentielles de l'existence, – la chaleur et la nourriture, – est-ce plutôt par la pensée consolante qu'elle suggère en nous montrant, sous ce dur climat, la possibilité pour les habitants d'accomplir leurs tâches matinales sans affronter les intempéries, – je ne saurais exactement le dire, mais sûrement cette L, encore plus que la maison elle-même, figure le centre, le foyer, de toute ferme dans la Nouvelle-Angleterre. Et c'était peut-être cette association d'idées, maintes fois renouvelée durant mes promenades aux environs de Starkfield, qui me faisait distinguer un accent d'amertume dans les paroles de Frome et voir dans cette maison amoindrie l'image même de son pauvre corps ruiné.

      – Nous sommes bien isolés maintenant, ici! – ajouta-t-il. – Mais, avant la construction du chemin de fer, on passait beaucoup par chez nous pour aller aux Flats.

      Il réveilla d'un nouveau coup de guide le cheval qui s'endormait. Puis, comme si la vue de sa maison m'avait mis trop avant dans sa confidence pour qu'il s'obstinât plus longtemps à demeurer

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