Germaine. About Edmond
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La délicatesse de Mme Chermidy était si chatouilleuse, que don Diego ne put jamais lui donner une bagatelle. La première chose qu'elle accepta de lui, après un an d'intimité, fut une inscription de quarante mille francs de rente. Elle était grosse d'un fils qui naquit en novembre 1850. Maintenant, monsieur le duc, nous sommes au coeur de la question.
Mme Chermidy a fait ses couches au village de la Bretèche-Saint-Nom, derrière Saint-Germain. J'étais là. Don Diego, ignorant nos lois et croyant que tout est permis aux personnes de sa condition, voulait reconnaître l'enfant. Les aînés de la famille Villanera sont marquis de los Montes de Hierro. Je lui expliquai l'axiome de droit: Is pater est, et je lui prouvai que son fils devait s'appeler Chermidy ou ne pas s'appeler du tout. Le commandant avait traversé Paris au mois de janvier, juste à point pour sauver les apparences. Nous délibérions auprès du lit de l'accouchée. Elle s'écria que son mari la tuerait infailliblement si elle essayait de lui imposer cette paternité légale. Le comte ajouta que le marquis de los Montes de Hierro ne consentirait jamais à signer Chermidy. Bref, je déclarai l'enfant à la mairie sous le nom de Gomez, né de parents inconnus.
Le jeune père, heureux et malheureux à la fois, a fait part de cet événement à la vénérable comtesse. Elle a voulu voir l'enfant, elle se l'est fait apporter, et on l'élève auprès d'elle, dans son hôtel du faubourg Saint-Honoré. Il a deux ans; il vient bien, et il ressemble déjà aux vingt-quatre générations des Villanera. Don Diego adore son fils; il ne se console pas de voir en lui un enfant sans nom, et, qui pis est, adultérin. Mme Chermidy serait femme à remuer des montagnes pour assurer à son héritier le nom et la fortune des Villanera. Mais la plus à plaindre est la pauvre douairière. Elle prévoit que don Diego ne se mariera pas, de peur de déshériter son fils bien-aimé; qu'il dénaturera sa fortune pour la lui rendre en main propre; qu'il vendra les terres de la famille, et que de ce beau nom et de ces grands domaines, il ne restera rien au bout de cinquante ans.
Dans cette extrémité, Mme Chermidy a trouvé un trait de génie. Elle a dit à don Diego: «Mariez-vous. Cherchez une femme dans la première noblesse de France, et obtenez que, par l'acte du mariage, elle reconnaisse votre enfant comme sien. A cette condition, le petit Gomez sera votre fils légitime, noble de père et de mère, héritier de tous vos biens d'Espagne. Ne songez pas à moi: je m'immole.»
Le comte a soumis ce projet à sa mère; elle signera des deux mains. La noble femme a perdu ses illusions sur Mme Chermidy, qui coûte plus de quatre millions à don Diego, et qui parle de se retirer dans une chaumière pour pleurer son bonheur en pensant à son fils! M. de Villanera est dupe de cette fausse résignation. Il croirait commettre un crime en abandonnant une héroïne de l'amour maternel. Enfin, pour imposer silence à ses scrupules, Mme Chermidy lui a soufflé quatre mots à l'oreille: «Mariez-vous pour quelque temps. Le docteur vous cherchera une femme parmi ses malades.» J'ai pensé à Mlle de La Tour d'Embleuse, et je me suis ouvert à vous, monsieur le duc. Ce mariage, si étrange qu'il paraisse à première vue, et quoiqu'il vous donne un petit-fils qui n'est pas de votre sang, assure à Mlle Germaine une fin douce et une prolongation d'existence; il sauve la vie à Mme la duchesse, et enfin….
–Il me donne cinquante mille livres de rente, n'est-ce pas? Eh bien, cher docteur, je vous remercie. Dites à M. de Villanera que je suis son serviteur. Ma fille est peut-être à enterrer, mais elle n'est pas à vendre.
–Monsieur le duc, c'est un marché que je vous propose, mais si je le croyais indigne d'un galant homme, je ne m'en mêlerais pas, croyez-le bien.
–Parbleu! docteur, chacun entend l'honneur à sa manière. Nous avons l'honneur du soldat, l'honneur du boutiquier, et l'honneur du gentilhomme, qui ne me permet pas d'être le grand-père du petit Chermidy. Ah! M. de Villanera prétend légitimer ses bâtards! C'est du Louis XIV tout pur; mais nous sommes alliés à la famille de Saint-Simon! Cinquante mille francs de rente! j'en ai eu cent vingt mille, monsieur, sans avoir jamais rien fait, ni bien, ni mal. Je ne me dérangerai pas des traditions de mes ancêtres pour en gagner cinquante!
–Veuillez remarquer, monsieur le duc, que la famille de Villanera est digne de s'allier à la vôtre. Le monde n'aura rien à dire.
–Il ne manquerait plus que de m'offrir un gendre roturier! J'avoue qu'en toute autre circonstance don Diego Gomez de Villanera serait bien mon fait. Il est né, et j'ai entendu louer sa famille et sa personne. Mais que diable! je ne veux pas qu'on dise: Mlle de La Tour d'Embleuse avait un fils de deux ans le jour de son mariage!
–On ne dira rien; on ne saura rien. La reconnaissance sera secrète; et quand on en parlerait? Ni la loi, ni la société ne font de différence entre un enfant légitimé et un enfant légitime.
–Voyez-vous Germaine à Saint-Thomas d'Aquin, devant le maître autel, sous le poêle, avec M. de Villanera à sa droite, Mme Chermidy à sa gauche, un bambin de deux ans sur les bras, et le croque-mort par derrière? C'est tout simplement abominable, mon pauvre docteur. N'en parlons plus. Est-ce bien compliqué ces cérémonies de reconnaissance?
–Il n'y a point de cérémonie. Une phrase dans l'acte de mariage, et l'état de l'enfant est en règle.
–Cette phrase-là est de trop. N'en parlons plus. Pas un mot à la duchesse; vous me le promettez?
–Je vous le promets.
–Quoi! vraiment, elle est si mal, cette pauvre duchesse? Mais elle trotte comme à quinze ans!
–L'état de Mme la duchesse est sérieux.
–Et vous croyez, en bonne foi, qu'on la guérirait avec des rentes?
–Je répondrais de sa vie, si j'obtenais de vous….
–Vous n'obtiendrez rien du tout. Ah! je suis de la vieille roche, moi! Et voyez si j'ai du mérite à vous refuser! nous n'avons peut-être pas dix louis à la maison. Foi de gentilhomme, si quelqu'un mourait ici, je ne sais pas où l'on trouverait de quoi l'enterrer. Tant pis! tant pis! noblesse oblige! Le duc de La Tour d'Embleuse ne prend pas les petits garçons en sevrage; et surtout le petit garçon de Mme Chermidy! Je finirai plutôt sur la paille. Docteur, je suis content que vous m'ayez mis à l'épreuve, et je ne vous en veux pas. On ne se connaît jamais bien soi-même, et je n'étais pas trop sûr de la figure que je ferais en présence de cinquante mille francs de rente. Vous avez tâté le pouls à mon honneur, et il se porte bien, Dieu merci!… M. de Villanera offrait-il le capital, ou seulement la rente?
–A votre choix, monsieur le duc.
–Et j'ai choisi la misère, ô gué! Mais quand je vous disais que la Fortune était une capricieuse! Je la connais de longue date; nous avons été tantôt bien, tantôt mal ensemble. La voilà qui me fait des avances, mais nenni! Adieu, cher docteur!»
M. Le Bris se leva