Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
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— Lui promîtes-vous de revenir bientôt ?
— Je ne sais ce que je lui dis, je ne puis m’en rappeler un seul mot. Votre mère vint aussi ajouter à mon supplice par son amitié. Ah ! combien j’étais malheureux ! et j’en remerciais le ciel. Ma seule consolation était ma propre misère ; mais celle de Maria, elle m’était insupportable ! Je m’en arrachai, je partis, et… Il s’arrêta.
— Est-ce tout, monsieur ? dit Elinor qui, tout en le plaignant, s’impatientait de ce qu’il ne partît pas.
— Oui, tout, si vous voulez. Mais ne désirez-vous pas savoir comment j’ai pu devenir plus coupable et plus malheureux encore ? En peu de mots : je rencontrai le colonel ; je fus blessé, mais non pas mortellement. Pendant que j’étais dans ma chambre, livré à mes tristes réflexions, ne voyant devant moi que l’indigence la plus entière, un de mes amis me parla des bonnes dispositions de miss Sophie Grey pour moi ; il m’assura que sa belle fortune de 50 000 liv. sterling serait à moi dès que je voudrais dire un mot. Ma blessure m’avait un peu calmé. J’avais réfléchi sur ma situation ; je ne pouvais la faire partager à Maria ; je ne l’aurais pas même voulu, non plus que sa famille. Il fallait donc tâcher de l’oublier, et de m’en faire oublier. J’allais jusqu’à trouver de la générosité dans tout ce que je faisais pour y parvenir. Je laissai faire mon ami. Dès que je fus rétabli, il me mena chez miss Sophie Grey. Elle voulait se marier, et avec un homme à la mode, avec un élégant ; c’était tout ce qu’elle demandait. Moi, je ne voulais que son argent ; et nous fûmes bientôt d’accord. Maria, pensais-je, n’entendra plus parler de moi que pour apprendre que je suis marié ; sa fierté s’indignera, elle me détestera, puis elle m’oubliera, et je serai seul malheureux ; mais au moins j’aurai les distractions et les jouissances de la fortune… ; lorsqu’une lettre de Maria, datée de Londres, m’apprend qu’elle y est, qu’elle m’aime encore avec la même tendresse, et n’a pas même l’ombre d’un doute. Non, tout ce que j’éprouvai ne peut être exprimé ! Sans aucune métaphore, chaque ligne, chaque mot de ce billet fut pour moi un coup de poignard. Savoir Maria si près de moi ; être sûr que j’en étais aimé ! ah ! je n’avais pas non plus l’ombre d’un doute. Son cœur, ses opinions, son ame m’étaient trop bien connus et m’étaient encore trop chers. Mon amour, qui était à peine assoupi, se ranima avec plus de force : et j’étais engagé avec une autre ! et quelle autre, bon dieu ! D’un côté, frivolité, insensibilité, coquetterie, jalousie ; de l’autre, grandeur d’ame, tendresse inépuisable, sensibilité profonde, confiance illimitée, esprit supérieur. Dieu ! qu’ai-je laissé échapper, et qu’ai-je trouvé en échange ! Mais Maria méritait mieux qu’un dissipateur, qu’un libertin. Elle m’aurait corrigé de tout ; je serais devenu digne d’elle. À présent, quel encouragement, quel exemple ai-je pour devenir vertueux ? Ô rage ! ô désespoir ! Il se leva et se promena violemment le poing serré sur son front.
Le cœur d’Elinor avait éprouvé plusieurs fluctuations pendant cet extraordinaire entretien. Elle était actuellement touchée, attendrie sur le sort de cet homme, que la nature avait créé pour le bonheur et qui l’avait rejeté loin de lui. Mais elle crut qu’elle devait lui cacher sa compassion. – Tout ce que vous venez de dire là est de trop, M. Willoughby ; je n’ai pas de temps à perdre, vous le savez, lui dit-elle. Je vous prie donc de résumer ce que vous sentez en votre conscience, qu’il est nécessaire que j’apprenne, et rien de plus. (Il se rassit.)
— J’ai fini dans deux minutes, reprit-il. Le billet de Maria me rendit donc le plus infortuné des hommes, en me prouvant son amour et en réveillant tout le mien. Je m’étais persuadé qu’elle m’avait oublié ; j’espérais même apprendre bientôt qu’elle était bien mariée. Je ne voyais plus devant elle et moi que malheur et désespoir. Mais que pouvais-je faire ? Tout était arrangé pour mon mariage ; le contrat passé, les dispenses obtenues, le jour fixé. La retraite était impossible. Tout ce qui me restait à faire était de vous éviter toutes deux ; d’essayer de réparer un peu mes torts en les augmentant, et de prendre plus de peine pour me faire haïr que je n’en avais pris pour me faire aimer. Je ne répondis point au billet de Maria ; je ne parus point chez elle. Cependant un jour où je vous avais vues sortir toutes les trois de la maison, je me décidai d’y porter ma carte pour agir plus naturellement.
— Vous nous aviez vues ! où ? comment ?
— Tous les jours, et, souvent plus d’une fois par jour, je voyais au moins l’une de vous. Vous seriez surprise si je vous disais tous les moyens que j’employais pour cela, et combien de fois j’ai failli être découvert par les beaux yeux de Maria, qui me cherchaient sans cesse : mon refuge était une boutique, une allée ; mais me passer de voir Maria, non, c’était impossible ! Et cependant j’aurais fui au bout du monde pour qu’elle ne me vît pas ; il ne fallait pas moins que mon étude continuelle pour l’empêcher. Je n’eus garde de me trouver au bal de sir Georges, et le matin suivant je reçus un second billet de Maria. Non, vous ne pouvez vous faire une idée de sa bonté, de sa tendresse ! si affectionnée, si franche, si confiante ! Ah ! comme je me détestais moi-même, comme vous me détesteriez plus encore si vous l’aviez lu !
— Je l’ai lu, monsieur ; Maria ne m’a rien caché.
— Vous avez donc vu aussi cette infâme, cette détestable lettre qu’elle ne doit jamais me pardonner, non jamais jusqu’à ce qu’elle sache… J’en reviens à la sienne ; j’essayais d’y répondre, je ne le pus, mon courage m’abandonna. Mademoiselle Dashwood, ne me refusez pas votre pitié ; avec la tête et le cœur pleins de votre sœur, à qui je pensais sans cesse, je devais faire ma cour à une autre femme, paraître empressé, paraître heureux ! Ce ne fut pas tout encore. Vous vous rappelez cette maudite assemblée où nous nous rencontrâmes ? non, l’agonie n’est rien auprès de ce que je souffrais. D’un côté, Maria, belle comme tous les anges, appelant son Willoughby, me tendant la main, me demandant une explication avec son regard enchanteur attaché sur moi ; de l’autre côté, Sophie jalouse comme le diable, regardant tout avec une audacieuse curiosité, m’appelant d’un ton impératif. J’étais en enfer, et je m’échappai aussitôt qu’il me fût possible, mais non pas sans avoir vu la pâleur de la mort sur le visage céleste de Maria. Ce fut le dernier regard que je jetai sur elle ; je ne l’ai plus revue que dans ma pensée, où toujours elle se présente ainsi. Non, Elinor, quand vous l’avez vue mourante, elle n’a pu vous faire plus d’impression ; mais vous me jurez qu’elle est mieux, qu’elle est hors de danger.
— Je l’espère.
— Et votre pauvre mère qui l’idolâtre, elle ne lui aurait pas survécu non plus. Adieu, je pars : dites-moi seulement que je vous suis moins odieux, que vous le direz à Maria.
— Et cette lettre, monsieur, qui faillit aussi lui ôter la vie, cette lettre que vous eûtes la barbarie de lui envoyer en réponse à sa dernière, comment pouvez-vous la justifier ?
— Par un seul mot que je répugnais à dire… Elle n’est pas de moi. Qu’est-ce que vous pensez du style de ma femme ? n’est-il pas délicat, tendre ? n’est-il pas… ?
— De votre femme ! C’était votre écriture.
— Oui, j’eus l’indigne faiblesse de la copier. Il faut en finir, me dit-elle, avec Maria ou avec moi : choisissez. Le choix ne m’était plus permis ; sa fortune était nécessaire à mon honneur, à mes engagemens : et voilà où une indigne prodigalité m’avait conduit ! Pour éviter une rupture il fallut en passer par où elle voulait ; copier sous ses yeux cette lettre où je rougissais de mettre mon nom ; me séparer des billets, de la boucle de cheveux de Maria. Le porte-feuille qui les renfermait