Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн ОÑтин
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Elle alla auprès de sa sœur. Celle-ci venait de se réveiller d’un doux et long sommeil, qui confirma toutes ses espérances, Elinor s’assit à côté d’elle en silence. Son cœur était plein. Le passé, le présent, l’avenir, la visite de Willoughby, l’attente de sa mère, tout ensemble lui donnait une telle agitation, que son pouls était sûrement plus élevé que celui de la malade, et qu’elle craignait de se trahir si elle avait dit un seul mot. Heureusement que cette crainte ne fut pas longue. À peine une demi-heure s’était écoulée depuis le départ de Willoughby, que le roulement d’un autre carrosse lui annonça l’arrivée des voyageurs. Elle vola au bas de l’escalier, heureuse de revoir sa mère et de pouvoir la rassurer. Elle arriva à la porte de la maison au moment où madame Dashwood y entrait ; elle la reçut dans ses bras, et sa première parole, en serrant cette bonne mère sur son cœur, fut celle-ci : Elle est sauvée ! elle est bien, aussi bien qu’elle puisse être. Madame Dashwood s’était sentie si émue en approchant de la maison, qu’elle avait cru que c’était un pressentiment qu’elle ne retrouverait plus sa fille chérie. Le passage subit de cette affreuse crainte à l’heureuse nouvelle qu’elle était hors de danger, fut trop rapide pour ses sens ; elle tomba dans une demi-faiblesse sur l’épaule d’Elinor. Elle et leur ami la soutinrent et la portèrent jusqu’au salon. Là, assis à côté de sa fille aînée, elle retrouva ses sens ; mais incapable de parler, elle versa des torrens de larmes, embrassa plusieurs fois son Elinor, se tournait par intervalles vers le colonel Brandon, pressait sa main avec un regard qui lui disait son bonheur, sa reconnaissance, et sa certitude qu’il partageait tout ce qu’elle éprouvait. Ah ! sans doute il le partageait ! Il ne parlait pas non plus, il ne l’aurait pas pu ; mais tout en lui exprimait la joie la plus vive.
Dès que madame Dashwood put se soutenir, son premier désir fut de revoir Maria. Elinor demanda seulement la permission de l’annoncer sans autre préparation. Maria était assez bien pour n’en avoir pas besoin ; et, deux minutes après, la plus tendre des mères était assise sur le lit de son enfant bien aimée, rendue plus chère encore par son absence, son malheur et son danger. Elinor jouissait avec délices de leur bonheur mutuel ; mais en bonne et sévère garde, elle conjura Maria de se calmer, et sa mère de ne pas trop exciter sa sensibilité. Madame Dashwood pouvait être calme et prudente, quand il s’agissait de la vie de l’une de ses enfans, et Maria, contente de savoir sa mère auprès d’elle, se sentant elle-même trop faible pour parler, se soumit au silence prescrit par ses bonnes gardes. Madame Dashwood voulut absolument passer cette nuit à côté d’elle ; et Elinor, qui ne s’était pas couchée les deux dernières nuits, consentit à obéir à sa maman et à se mettre au lit. Elle s’y reposa physiquement, mais ne dormit point ; ses esprits étaient trop agités. Willoughby, le pauvre Willoughby ! comme elle se permettait de l’appeler, était constamment présent à sa pensée ; elle n’aurait pas voulu, pour le monde, avoir refusé d’entendre sa demi-justification. Tantôt elle se blâmait de l’avoir jugé trop sévèrement, et quelquefois s’accusait d’être à présent trop indulgente. Mais sa promesse de le justifier auprès de Maria, était invariablement pénible. Elle redoutait le moment où Maria apprendrait qu’il était moins coupable, et craignait que peut-être cet amour si passionné ne se ranimât avec plus de force. Elle doutait du moins qu’après cette explication, sa sœur pût jamais être heureuse avec un autre homme, et se surprenait alors à désirer que Willoughby redevînt libre… Mais elle se rappelait aussi le bon, l’excellent colonel Brandon, et sentait ses souffrances plus que celles de son rival. La main de Maria devait être sa récompense. Elle savait, à n’en pas douter, qu’il serait pour elle le meilleur et le plus tendre des maris, et désirait alors tout autre chose que la mort de madame Willoughby.
Au moment où le colonel était arrivé à Barton-Chaumière, il avait trouvé madame Dasbwood prête à partir. Elle ne pouvait supporter plus long-temps son inquiétude, et s’était décidée d’aller à Cleveland avec sa femme de chambre. Elle n’attendait que l’arrivée de madame Carrey, une de ses connaissances d’Exceter, qui voulait bien se charger d’Emma pendant son absence, sa mère n’osant pas la mener avec elle à cause de la contagion. Mais l’arrivée du colonel et la lettre d’Elinor, en redoublant ses alarmes, la déterminèrent à partir tout de suite. Elle laissa Emma à sa femme de chambre de confiance, qui devait la remettre le lendemain à madame Carrey, et se mit en route avec le colonel. La bonne madame Jennings fut enchantée de la trouver là à son lever, et la combla de soins et d’amitiés. Elle voulait lui conter tous les détails de la maladie de Maria, s’interrompait pour la conjurer d’aller se coucher, pour recommander à Betty d’en avoir soin, etc. etc. etc.
Maria continua de jour en jour à se trouver mieux, et avec sa santé revint aussi graduellement la brillante gaieté de madame Dashwood, et tout le feu de son imagination. Elle disait et répétait souvent qu’elle était à présent la plus heureuse femme qu’il y eût au monde. Elinor ne put s’empêcher d’être intérieurement un peu surprise que sa mère ne regrettât point Edward, et ne parût pas même se le rappeler. Elinor lui avait écrit tout ce qui s’était passé, sans même lui cacher son chagrin de la perte de cet ami, dont elle se croyait si sûre ; mais elle en parlait avec la raison et la mesure qu’elle mettait à tout, et madame Dashwood la prit au pied de la lettre, et jugea qu’elle n’était pas très affligée d’un événement dont elle parlait avec autant de calme. La maladie de sa fille favorite vint ensuite l’occuper exclusivement. Tout autre malheur ne lui parut rien auprès de celui de la perdre, et d’avoir à se reprocher d’en être la cause, en ayant encouragé son malheureux attachement pour Willoughby. Aussi le bonheur de son rétablissement effaçait toute autre pensée. Elle avait de plus un grand sujet de joie, dont Elinor ne se doutait pas, et qu’elle lui apprit au premier moment où elles se trouvèrent en tête à tête.
— Enfin nous voilà seules, mon Elinor, et je puis vous parler de mon bonheur ! Le colonel Brandon aime Maria, il me l’a dit lui-même.
Elinor garda le silence. Elle éprouvait à la fois plaisir et peine. Elle n’était pas surprise de la chose qu’elle savait depuis long-temps ; mais elle l’était du moment que le colonel avait choisi pour cet aveu.
— Si je ne savais pas, chère Elinor, que nous voyons rarement de même, je m’étonnerais du calme avec lequel vous m’écoutez. Quant à moi, cet attachement me transporte de joie ! Le plus grand bonheur que j’aurais pu désirer dans ma famille, c’eût été que le colonel Brandon épousât l’une de mes filles. Je crois par conséquent, qu’avec ce digne homme Maria sera la plus heureuse des femmes. Je désire votre bonheur autant que le sien, mon Elinor ; mais le colonel lui convient beaucoup plus qu’à vous.
Elinor fut sur le point de demander raison à sa mère de cette singulière façon de penser. La différence d’âge était plus grande ; leurs caractères, leurs sentimens n’avaient aucun rapport. Mais elle-même était charmée que madame Dashwood ne vît pas ces obstacles ; elle