Les cahiers du Capitaine Coignet. Jean-Roch Coignet

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Les cahiers du Capitaine Coignet - Jean-Roch Coignet

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dans l'obscurité. Je remettais mes sabots, et je prêtais l'oreille. Je m'acheminais du côté des jeunes bois, en rencontrant des ronces qui me faisaient ruisseler le sang dans mes sabots; je pleurais, car mes cous-de-pied étaient fendus jusqu'aux nerfs.

      Souvent je rencontrais des loups sur mon passage, avec des prunelles qui brillaient comme des chandelles, mais le courage ne m'a jamais abandonné.

      Enfin, retrouvant mes six bœufs, je faisais le signe de croix. Combien j'étais heureux! Je ramenais mes déserteurs vers mes trois voitures qui étaient chargées de moulée, et là j'attendais mon maître pour les atteler et partir sur le port. De là, je revenais au pâturage; le maître me laissait là le soir. Je recevais ma miche et toujours les deux œufs cuits avec des poireaux et de l'huile de chènevis. Et tous les jours la même chose pendant trois ans; la marmite était renversée sous la maie[9]. Mais le plus pénible, c'était la vermine qui s'était emparée de moi.

      Ne pouvant plus tenir, malgré toutes les instances possibles, je quittai le village. Je reviens sur mon lancé[10] pour voir si l'on me reconnaîtrait, mais personne ne pensait à l'enfant perdu. Cela faisait quatre ans d'absence; je n'étais plus reconnaissable.

      J'arrive le dimanche; je vais voir ces belles fontaines[11] qui coulent auprès du jardin de mon père. Je me mets à pleurer, mais étant plus fort que l'adversité, je prends mon parti. Je me débarbouille dans cette eau limpide, au lieu où naguère je me promenais avec mes frères et ma sœur.

      Enfin, la messe sonne. Je m'approche près de l'église, mon petit mouchoir à la main, car j'avais le cœur bien gros. Mais je tiens bon; je vais à la messe; je me mets à genoux. Je fais ma petite prière, regardant en dessous. Personne ne faisait attention à moi. Cependant j'entends une femme qui dit: «Voilà un petit Morvandiau qui prie le bon Dieu de bon cœur.» J'étais si bien déguisé que personne ne me reconnut; mais moi ce n'était pas la même chose. Je ne parle à personne; la messe finie, je sors de l'église. J'avais bien vu mon père qui chantait au lutrin; il ne se doutait pas qu'il y avait près de lui un de ses enfants qu'il avait abandonné.

      J'avais fait trois lieues, et j'avais grand besoin de manger à ma sortie de la messe. Je me dirige chez ma sœur du premier lit, qui tenait une auberge; je lui demande à manger.

      «Que veux-tu, mon garçon, à dîner?

      —Madame, une demi-bouteille et un peu de viande et du pain, s'il vous plaît.»

      On me sert un morceau de ragoût, je mange comme un ogre; je me mets dans un coin pour voir tout le monde qui venait des campagnes faire comme moi. Enfin, mon dîner fini, je demande: «Combien vous dois-je, madame?—Quinze sous, mon garçon.—Les voilà, madame.—Tu es du Morvan, mon petit?—Oui, madame. Je viens pour tâcher de trouver une place.»

      Elle appelle son mari. «Granger, dit-elle, voilà un petit garçon qui demande à se louer.—Quel âge as-tu?—Douze ans, monsieur.—De quel pays es-tu?—De Menou.—Ah, tu es du Morvan.—Oui, monsieur.—Sais-tu battre à la grange?—Oui, monsieur.—As-tu déjà servi?—Quatre ans, monsieur.—Combien veux-tu gagner par an?—Monsieur, dans mon pays, on gagne du grain et de l'argent.—Eh bien! si tu veux, tu resteras ici, tu seras garçon d'écurie; tous les profits seront pour toi. Tu es accoutumé à coucher à la paille?—Oui, monsieur.—Si je suis content de toi, je te donnerai un louis par an.—Ça suffit, je reste. Alors, je ne paye pas mon dîner.—Non, me dit-il; je vais te mettre à la besogne.»

      Il me mène dans son jardin, que je connaissais avant lui, et où j'avais fait toutes mes petites fredaines d'enfant. J'étais l'enfant le plus turbulent de l'endroit; aussi mes camarades me couraient à coups de pierres, ils m'appelaient le poil rouge; j'étais toujours le plus fort, ne craignant pas les coups; notre belle-mère nous y avait accoutumés[12].

      Mon beau-frère me mène donc dans son jardin, me donne une bêche. Je travaille un quart d'heure; il me dit: «Ça suffit, c'est bien. On ne travaille pas le dimanche.—Eh bien! dit ma sœur, que va-t-il faire?—Il servira à la table; viens chercher du vin à la cave.»

      Je prends un panier de bouteilles, et je sers tout le monde. Je courais comme un perdreau.

      Le soir, on me donne du pain et du fromage. À dix heures, mon beau-frère me mène à la grange pour me coucher et me dit: «Il faut se lever du matin pour battre la fournée, et puis nettoyer l'écurie bien propre.—Soyez tranquille, tout cela sera fait.»

      Je dis à mon maître bonsoir, et je me fourre dans la paille. Jugez si j'ai pleuré! Je puis dire que si l'on m'avait regardé, l'on m'aurait vu les yeux rouges comme un lapin, tellement j'étais chagrin en me voyant chez ma sœur et surtout son domestique, et à la porte de mon père.

      Je n'eus pas de peine à me réveiller. Comme je n'avais qu'à sortir de mon trou et secouer mes oreilles, je me mets à battre le blé pour faire la fournée à huit heures. Je passe à l'écurie et je mets tout en ordre, et à neuf heures je vois paraître mon maître. «Eh bien, Jean, comment va la besogne?—Mais, monsieur, pas mal.—Voyons la grange. Ce que tu as fait, dit-il, c'est bien travaillé. Ces bottes de paille sont bien faites.—Mais, monsieur, à Menou je battais tout l'hiver.—Allons, mon garçon, viens déjeuner.»

      Enfin, le cœur gros, je vais chez cette sœur que ma mère avait élevée comme son enfant. J'ôte mon chapeau. «Ma femme, dit-il, voilà un petit garçon qui travaille bien, il faut lui donner à déjeuner.»

      On me donne du pain et du fromage et un verre de vin. Mon beau-frère dit: «Il faut lui faire de la soupe.—Eh bien! demain; je me suis levée trop tard.»

      Le lendemain, je me mis à l'ouvrage, et à l'heure je fus manger. Ah! pour le coup, je trouvai une soupe à l'oignon et du fromage, et mon verre de vin. «Ne sois pas honteux, mon garçon, dit-il. Tu vas aller au jardin bêcher.—Oui, monsieur.»

      À neuf heures, ma bêche sur l'épaule, je me mis à la besogne. Quelle fut ma surprise! je vois mon père qui arrosait ses choux. Il me regarde; j'ôte mon chapeau, le cœur bien gros, mais je tiens ferme. Il me parle: «Tu es donc chez mon gendre?—Oui, monsieur. Ah! c'est votre gendre!—Oui, mon garçon. D'où es-tu?—Du Morvan.—De quel endroit?—De Menou. Je servais au village des Bardins.—Ah! je connais tous ces pays. Connais-tu le village des Coignet.—Oui, oui, monsieur.—Eh bien! il a été bâti par mes ancêtres.—Ça se peut, monsieur.—Tu as vu de belles forêts qui appartiennent à Mme de Damas?—Je les connais toutes, car j'ai gardé les bœufs de mon maître pendant trois ans; je couchais toutes les nuits sous les beaux chênes dans l'été.—Ah! bien, mon garçon, tu seras mieux chez ma fille.—Ça se peut.—Comment te nommes-tu?—Jean.—Et ton père?—On le nomme dans le pays l'Amoureux. Je ne sais si c'est son véritable nom.—A-t-il beaucoup d'enfants?—Nous sommes quatre.—Que fait-il, ton père?—Il va dans les bois; il y a beaucoup de gibier par là; on n'y voit que des cerfs et des biches, et du chevreuil. Et des loups, c'en est plein; ils m'ont fait bien peur des fois. Oh! j'avais trop de peine, et je suis parti.—C'est bien, mon garçon, travaille! tu es bien chez mon gendre.»

      Enfin, il me vient des voyageurs dans deux voitures; je mets les chevaux à l'écurie, et le lendemain je reçois un franc pour boire. Combien j'étais content! On me fit descendre à la cave pour rincer des bouteilles, et je m'en acquittais bien, car on me les faisait remplir. Alors le petit garçon d'écurie était propre à tout; aussi on me faisait trotter ferme: Jean par-ci! Jean par-là! Je servais à table. C'était ensuite la cave, l'écurie, la grange, le jardin. Je voyais mon père, et je disais: «Bonjour, monsieur Coignet. (Je ne pouvais pas oublier ce nom, il était trop bien gravé dans mon cœur.)

      —Bonjour,

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