Les cahiers du Capitaine Coignet. Jean-Roch Coignet

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Les cahiers du Capitaine Coignet - Jean-Roch Coignet

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Huzé. Celui-ci était aimable, spirituel et poli; M. Potier était petit et laid. Je me disais: «Si je pouvais être chez M. Huzé!» Pas du tout, c'est chez M. Potier que l'heureux sort m'attendait.

      Je pars donc de Nangis le vendredi pour Coulommiers; j'arrive à trois heures dans une grande cour, à cheval, comme un pacha à trois queues, monté sur mon joli bidet. Voilà madame qui paraît. «Eh bien, mon garçon, et votre maître ne vient pas ce soir?—Non, madame, il ne viendra que demain.—Que l'on mette le cheval à l'écurie! venez avec moi.»

      Comme je marchais à côté de madame, me voilà assailli par quatre grosses filles de la maison qui se mettent à crier: «Ah! le voilà! le petit Morvandiau!»

      Combien ce nom me faisait de peine! Mon petit chapeau à la main, je suivais madame. «Allons, dit-elle, laissez cet enfant, allez à votre ouvrage. Venez, mon petit!»

      Comme elle était belle, Mme Potier! car c'était bien la femme du petit que je redoutais. Je ne l'appris que le lendemain. Quelle surprise pour moi de voir une si belle femme et un si vilain mari! «Allons, continue-t-elle, il faut manger un morceau et boire un coup, car on ne soupe qu'à sept heures.»

      Et voilà madame qui me fait parler de notre voyage, et je lui dis: «Madame, tous les chevaux sont vendus.—Êtes-vous content de votre maître?—Oh! madame, je suis enchanté.—Ah! c'est très bien ce que vous dites là. Aussi mon mari m'a écrit que vous étiez un bon sujet.—Je vous remercie, madame.»

      Le soir, à sept heures, on soupe (c'était le vendredi). Je vois une table servie comme pour un grand repas, tout en argenterie, timbales d'argent, deux paniers de bouteilles. On me fait appeler pour me mettre à table. Quelle est ma surprise de voir douze domestiques: garde-moulin, charretiers, laboureur, fille de laiterie, femme de chambre, boulangère et femme de peine. Le tout formait dix-huit. Les six autres étaient à Paris avec des chariots qui menaient les farines pour les boulangers de Paris; ils faisaient le voyage toutes les semaines (il y a quinze lieues de Coulommiers à Paris). Il y avait sur cette table deux plats de matelote; je croyais que l'on donnait un repas en ma faveur.

      On me fait mettre à côté d'un grand gaillard, et madame lui recommande de me servir. Il me donne un morceau de carpe; j'en étais honteux de voir mon assiette pleine de poisson; j'aurais pu en faire deux repas. Il s'aperçut que je mangeais peu; il mit un morceau de pain dans sa poche, et me le présente à l'écurie en me disant: «Vous n'avez pas mangé, vous êtes trop timide.»

      Comme je l'ai dévoré à mon aise, du pain blanc comme la neige!

      À neuf heures il vient une grosse fille faire mon lit dans l'écurie. J'étais bien couché: un lit de plumes, un matelas, des draps bien blancs. Je me trouvais heureux.

      Le matin, mon grand camarade me mène à la salle à manger pour déjeuner, avec ma demi-bouteille et du fromage. Dieu! quel fromage[16]! comme de la crème! et du pain de Gonesse, avec le vin du pays. Je lui demandai ce que je ferais. «Il faut attendre que madame soit levée, elle vous le dira.—Eh bien, je vais panser mon bidet et le faire boire, et nettoyer l'écurie.»

      Je pétillais du désir de travailler. Le garçon d'écurie était parti à la ville; je profite de cette occasion pour nettoyer toutes les écuries. Madame arrive et me trouve habit bas, le balai à la main: «Qui vous a dit de faire cela?—Personne, madame.—Eh bien, ce n'est pas votre ouvrage, venez avec moi. Chacun fait son ouvrage dans notre maison; mais vous avez bien fait. Quand mon mari sera venu, il vous dira ce que vous devrez faire. Allons au jardin, prenez ce panier, nous rapporterons des légumes. Savez-vous bêcher?—Oui, madame.—Ah! tant mieux. Je vous ferai travailler quelquefois dans notre jardin, car chez nous chacun fait son ouvrage, personne ne s'en dérange.»

      Je rentre à la maison, et vais visiter les moulins à Chamois. De retour à la maison, quelle est ma surprise de voir mes deux maîtres qui cherchaient madame! «Te voilà, mon ami», dit Mme Potier à son vilain mari, car c'était bien celui auquel je désirais le moins appartenir (et c'était l'homme par excellence, tant par le cœur que par la fortune). M. Huzé salue et se retire. On me fait venir: «Ma femme, dit mon maître, voilà un enfant que je t'amène de la Bourgogne; c'est un bon sujet, je te le recommande; je te conterai son histoire plus tard.»

      Et moi qui étais là, bien timide!

      «Eh bien, dit-il, vous êtes-vous ennuyé, mon garçon? Allons voir nos chevaux!» Et le voilà à me faire voir toutes les écuries, les moulins. Et les domestiques de saluer leur maître; ce n'était pas un maître, c'était un père pour tout le monde; jamais il ne lui échappait une expression déplacée. Il me dit: «Demain, nous monterons à cheval pour vous faire voir mes laboureurs et mes terres. Il faut que vous soyez à même de connaître tous les morceaux qui m'appartiennent.»

      Je me disais: «Que va-t-il faire de moi?»

      Il parle à ses laboureurs et à ses autres ouvriers toujours avec un ton affable. Puis il dit: «Allons voir mes prés! (Et toujours il me parlait avec bonté.) Faites attention à tout ce que je vous montre, et les limites, car je pourrai vous envoyer faire une tournée quelquefois pour voir mes laboureurs et mes autres ouvriers, pour me rendre compte de ce qui est fait.—Soyez tranquille, je rendrai un fidèle compte de tout ce que vous me direz.—Il faut que je vous mette au fait de tout. Vous prendrez toujours votre bidet, car les routes sont longues.»

      Nous fûmes bien trois heures dehors. «Allons, me dit-il, rentrons à la maison! demain nous irons ailleurs.»

      Enfin il me mit au courant de tous les détails de la manutention du dehors. Huit jours se passent ainsi en tournées de part et d'autre; le neuvième jour, il vient un orage épouvantable. Voilà les eaux qui inondent la maison, arrivent de toutes parts; tout le monde était bloqué. Il se trouvait encore des chevaux à l'écurie. Ni maître ni garde-moulin ne pouvaient sortir, et moi de courir d'une écurie à l'autre, car l'eau montait à vue d'œil. Enfin, je barbotais comme un canard, les chevaux en avaient au-dessus des jarrets, mais l'eau n'a pas pénétré dans la maison.

      Il y avait trois étables où les porcs couraient grand risque d'être noyés, vu qu'ils étaient sous voûte. M. Potier me fait venir et me donne une pince du moulin, et me dit: «Tâchez de délivrer les cochons.—Soyez tranquille, je vais de suite.» Et me voilà dans l'eau. Je ne croyais pas pouvoir arriver, mais enfin parvenu à la première porte, je fais une percée et l'eau m'aide à ouvrir. Voilà mes six gaillards sortis, et nageant comme des canards. Je vais en faire autant aux deux autres étables; mes dix-huit cochons étaient sauvés. Et tout le monde de la maison de me regarder par les croisées.

      M. Potier, qui ne me perdait pas de vue, me guidait: «La petite porte de la cour est-elle fermée?—Non, monsieur.—Les cochons vont sortir, ils suivront le cours de l'eau!»

      Je me suis mis à traverser la cour, dans l'eau qui était maîtresse de mes forces; je n'arrive pas assez à temps. Voilà un des cochons qui enfile la porte, et suit le courant. M. Potier qui s'aperçoit que j'ai un déserteur de parti, court à l'angle de sa maison, me crie: «Prenez votre bidet et tâchez de gagner le devant.» Je cours à l'écurie, mets le bridon à mon bidet, et fais jaillir l'eau pour rattraper mon déserteur. M. Potier me crie: «Doucement! appuyez à droite.»

      Ses paroles se perdent. Je prends trop à gauche; je me plonge dans un trou où l'on avait amorti de la chaux. Du même bond, mon cheval me sort du trou. Je ne voyais plus. Comme je tenais mon cheval ferme de la main droite, je m'essuyai la figure et poursuivis ma bête, qui filait dans les prés. Enfin, en luttant contre l'eau, je gagne le devant de mon cochon; lorsqu'il eut le nez tourné du côté de la maison, il revient comme je le désirais. Arrivé dans la cour, je lâche mon bidet, bien transi de

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