Les cahiers du Capitaine Coignet. Jean-Roch Coignet

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Les cahiers du Capitaine Coignet - Jean-Roch Coignet

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de la guerre. Celui-ci fit appeler M. Potier pour lui proposer une commande de deux cents chevaux pour le train d'artillerie: «Voilà le prix et les tailles. À quelle époque pouvez-vous les fournir?—Monsieur, je peux les livrer dans deux mois.—Je vous fais observer que l'on est sévère pour les recevoir; les chevaux qui ne sont pas reçus sont pour votre compte.—C'est juste, vous m'en donnerez avis.—Ils seront reçus à l'École militaire. Vous savez l'âge: quatre à cinq ans, et point de chevaux entiers. Pouvez-vous faire les avances?—Oui, monsieur.—D'où les tirez-vous?—De Normandie et du Bas-Rhin.—Ah! c'est cela; c'est de bonne race.»

      M. Potier arrive à Coulommiers enchanté, et trouve ses vingt chevaux dans le meilleur état possible: «Ils ne sont pas reconnaissables; il faut les mener à la foire de Nangis; nous pourrons les vendre. Ils sont pour rien, on peut gagner moitié dessus. Tenez-les prêts pour demain et en route à six heures; ça presse, il faut partir pour la Normandie, j'ai un marché de passé avec le ministre de la guerre.»

      La foire de Nangis était si bonne que les chevaux furent vendus. M. Potier dit: «J'ai doublé mon prix.» Quatre jours après il partit pour Caen en Normandie, où il trouva une partie de son emplette; il les envoie à la maison, et nous partons pour Colmar, où il fit de bonnes affaires qu'il finit à Strasbourg complètement. M. Huzé fut chargé de ramener tous les chevaux. Mon maître part pour Paris et rend compte au ministre que dans quinze jours ses chevaux seraient arrivés. «Eh bien! dit le ministre, faites-les diriger sur Paris, vous épargnerez de grands frais. Donnez de suite vos ordres pour qu'ils arrivent; vous avez mis beaucoup d'exactitude. Vous me donnerez avis, ne perdez pas de temps!»

      M. Potier prend la diligence, fait diriger les deux cents chevaux sur Paris, en écrivant à son épouse de me faire partir pour Saint-Denis avec une voiture de son, ses chevaux devant rester quatre jours pour se rafraîchir. J'eus le bonheur d'arriver à Saint-Denis le premier, et tout fut prêt; les quatre jours furent suffisants pour re-ferrer tous les chevaux, et arriver à l'École militaire comme si nos chevaux sortaient d'une boîte, tant ils étaient frais. La voiture de son fut bien payée: tous les chevaux furent reçus. Devant les officiers d'artillerie, des inspecteurs, un général, on fut quatre heures à faire trotter, mais le pourboire fut nul pour moi. Je fus bien désappointé de ce contre-temps. Monsieur me dit: «Vous ne perdrez rien, je vous ferai cadeau d'une montre.» Aussi il m'en donna une belle, et deux cents francs pour les chevaux des représentants et deux louis pour le beau cheval. Quel bonheur pour moi! En arrivant, je donne tout mon argent à madame, et le dimanche suivant elle me fit cadeau de six cravates. Monsieur dit: «Mes deux voyages me valent trente mille francs.» Il avait de plus placé cinq cents sacs de farine.

      Nous reprîmes nos travaux habituels. Je devins fort et intelligent. Je montais les chevaux les plus fougueux, je les rendais dociles. Je repris aussi la charrue; je fis présent à mon maître laboureur d'une blouse bien brodée au collet; il était content. À seize ans, je portais un sac comme un homme; à dix-huit ans, je portais le sac de trois cent vingt-cinq; je ne rebutais à rien; mais l'état de domestique commençait à devenir pour moi un fardeau pesant. Ma tête se portait vers l'état militaire; je voyais souvent de beaux militaires avec de grands sabres et de beaux plumets; ma petite tête travaillait toute la nuit. Enfin je finis par me le reprocher, moi qui étais si heureux! Ces militaires m'avaient tourné la tête, je les maudissais; l'amour du travail avait repris ses droits, et je n'y pensais plus.

      Les fermiers arrivaient de toutes parts pour livrer les blés vendus à M.

       Potier. Chaque fermier avait un échantillon de son blé à la maison.

       «Jean, disait mon maître, allez chercher dix sacs.» Que de sacs de mille

       francs sortaient de son cabinet! Cela dura jusqu'à Noël.

      Je finis une grosse pile de cent sacs dans deux mois. Puis, monsieur dit à son épouse: «Fais tes invitations pour aujourd'hui en huit. Je pars pour Paris. Je prends le cabriolet; nous irons voir nos enfants, et Jean emportera des sacs vides, car il m'est dû beaucoup. Nous serons de retour samedi. À dimanche ton grand repas.—Il faut m'apporter de la marée, dit madame, et ce que tu voudras pour me faire deux plats, et des huîtres.—Ça suffit, madame.»

      Les recettes se trouvaient toutes faites le jeudi et employées à des placements considérables. «C'est, dit mon maître, que vous me portez bonheur. Voilà un voyage complet. Faisons nos emplettes, nous partirons demain matin.»

      Nous arrivons à cinq heures. Quelle joie pour madame de nous voir arriver de bonne heure! Le lendemain, à cinq heures, cabriolets et carrioles arrivaient de tous les côtés, je ne savais auquel entendre: «Jean, allez à la ville chercher M. et Mme Brodart et sa demoiselle!… Jean, repartez de suite chercher mon gendre et ma fille!» Et je faisais ronfler la voiture, toujours au galop. «Jean, il faut servir à table!» Et le pauvre Jean se multipliait.

      La soirée fut magnifique, et ma part de friandises fut mise de côté par madame. À onze heures, on me dit de me tenir prêt pour reconduire tout le monde. À minuit je commence: je fis trois voyages qui me valurent dix-huit francs. Mon maître et madame me firent appeler pour me rafraîchir. «Prenez un bon verre de vin de votre pays et un morceau de brioche; nous sommes contents de vous!—Ah! j'ai mis sa petite part de côté», dit madame.

      Le lendemain, je reçus mes petites provisions que je partage avec mes camarades, et je repris le boisseau avec le garde-moulin, pour ensacher de la farine pour Paris, pendant huit jours. Enfin j'étais de tous les métiers.

      Madame me prie de donner tous mes soins à son jardin. Je lui fis d'abord un joli berceau au fond, en face de la porte, et je tirai au cordeau deux belles plates-bandes. Je creusai l'allée de quatre pouces pour relever mes deux plates-bandes; et je remplaçais la terre enlevée avec du sable. Mon maître et madame viennent me voir. «Eh bien, Jean, dit monsieur, vous nous allez donc faire une route dans notre jardin.—Non, monsieur, mais une belle allée.—Vous ne pouvez pas faire cela tout seul, je vais faire venir le jardinier.—Monsieur, le plus difficile est fait.—Comment l'entendez-vous?—Voyez mes trois lignes faites, mes piquets plantés; voilà le milieu de mon allée.—Vous avez donc pris tous les cordeaux de mes charretiers?—Je ne pouvais pas tirer ma ligne sans cela.—C'est juste.—Mon dernier piquet, vers le berceau, c'est pour faire une corbeille pour madame.—Ah! c'est bien pensé, Jean. Vous avez une bonne idée de me faire une jolie corbeille.—Il me faut du buis pour faire une belle allée, et beaucoup de sable, et des planches pour faire des bancs dans le berceau de madame.—Et pour votre maître, que faites-vous?—Le maître reste à côté de madame.—À la bonne heure! Mais, Jean, où prendrez-vous le sable?—Monsieur, je l'ai trouvé.—Et où?—Sous le petit pont près de l'abreuvoir. Je l'ai visité tout à l'heure; j'en ai trouvé trois pieds de hauteur.—Il faudra le faire tirer.—Non, monsieur, on le chargera sous le pont cet été; vous savez que toute la fausse rivière est à sec, et nous sortirons par l'abreuvoir.—C'est cela!—Il nous en faut bien vingt tombereaux; vous savez que l'allée a huit pieds de large.—Ma femme, dit mon maître, fais venir ton jardinier, car Jean va nous faire une route dans notre jardin.—Je prie madame de faire venir du buis et des rosiers pour planter le long de l'allée.»

      Le jardinier arrive le soir, et madame le mène de suite au jardin, disant: «Jean, venez faire voir votre ouvrage?»

      Le jardinier fut surpris. «Eh bien! dit-elle, que dites-vous de la folie de Jean?—Mais, madame, c'est superbe pour le tracé. Vous pourrez vous promener quatre de front, et, comme vous avez des enfants, ils ne gâteront pas votre jardin.—C'est vrai, dit-elle. Eh bien! il faut venir demain, car il se tuerait, il a mis cela dans sa tête pour me faire plaisir.—Madame, il a du goût; il s'y est bien pris. Nous vous ferons un beau jardin; il nous faut quarante rosiers à hautes tiges et du bois pour l'allée et la corbeille. Il faut quinze jours pour mettre votre jardin en état. Le sable est à votre portée.—Surtout ne laissez pas

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