Les cahiers du Capitaine Coignet. Jean-Roch Coignet

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Les cahiers du Capitaine Coignet - Jean-Roch Coignet

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beau! ce cheval, dit-on.—Ils sont tous de même, messieurs, dit M. Potier. Si vous voulez, mon jeune garçon vous les montera tous.»

      Ils se consultent tous ensemble et s'arrêtent devant un cheval qui avait eu peur.

      Ils me firent appeler:

      «Jeune homme, dit le représentant qui me connaissait de Coulommiers, faites voir ce cheval à ces messieurs; montez-le!»

      Je le fais trotter sur tous les sens, et au galop encore une fois. Je reviens le présenter. On dit: «C'est bien monter; il est hardi, votre jeune homme.» M. Potier leur dit: «C'est lui qui a dressé le beau cheval de Mgr le président; personne ne pouvait le monter, il a fallu le mener en plaine et il l'a rendu docile comme un mouton.» Le président dit à un officier: «Donnez un louis à ce jeune homme pour le cheval qu'il m'a dressé et cent francs pour ceux-ci; il faut l'encourager.»

      L'officier dit aux gardes: «Vous voyez ce garçon comme il manœuvre un cheval.» Je fus bien récompensé par tout le monde; les militaires me pressaient les mains en disant: «C'est un plaisir de vous voir à cheval.—Ah! je les fais obéir, je corrige les mutins et flatte les dociles; il faut qu'ils plient sous moi.»

      Enfin, M. Potier livre ses vingt chevaux qui furent tous acceptés, avec les couvertures, sur un mémoire à part, et tous les frais de voyage à leur compte. «Sans cela, leur dit M. Potier, je serais en perte.» On lui répond: «Vous êtes connu, les remontes que vous avez fournies ne laissent rien à désirer.—Je vous remercie, dit M. Potier.—Vous ferez trois mémoires: on vous fera trois mandats que vous toucherez au Trésor; ils seront signés par le trésorier du Gouvernement et seront payés à vue. Maintenant, je vous nomme pour recevoir six cents chevaux qui arrivent d'Allemagne; taille de chasseurs et hussards. Cela vous convient-il? Il vous faut de huit à dix jours pour les recevoir. Vos appointements seront de trois francs par cheval, y compris votre garçon, qui les montera tous; et surtout soyez sévère avec les Allemands; vous recevrez des ordres aussitôt l'arrivée.—Vous pouvez compter sur moi.—Les officiers seront là pour recevoir leurs chevaux.»

      M. Potier finit ses affaires et nous partîmes pour Coulommiers où monsieur fut bien fêté à son arrivée de ce voyage de trois mois; toutes les affaires de la maison étaient comme monsieur le désirait. «Eh bien! mon ami, es-tu content de ton voyage?» dit Mme Potier.—Je suis enchanté de ces messieurs. Tout s'est passé pour le mieux du monde. Jean s'est surpassé d'adresse; il s'est fait remarquer de tout le monde; de plus, il est invité à venir avec moi pour recevoir six cents chevaux de remonte pour la cavalerie et c'est lui qui est nommé pour les monter; tous ces messieurs l'ont compris dans les émoluments qui me sont alloués. Tu peux lui faire ton cadeau, il le mérite. Il a soufflé le pion aux grenadiers du Directoire pour manier un cheval.»

      Madame me mène le dimanche à la ville et me fait cadeau d'un habillement complet: «Vous enverrez tout cela à mon mari avec la facture acquittée.»

      Combien je fus flatté de ce procédé! M. Potier me présente le paquet: «Voilà le cadeau que vous avez mérité! Il faut lui faire faire son habillement de suite. Demain nous reprendrons nos travaux au moulin; il nous faut deux cents sacs de farine pour Paris.»

      Toute la semaine fut employée au moulin; le dimanche nous passâmes nos chevaux en revue; monsieur et madame furent dîner en ville. Et moi de régaler tous les domestiques de nos voyages, racontant tout ce que j'avais vu à Paris. Le soir, je fus chercher mes maîtres sans leur permission. Ils furent contents de cette attention et je les ramenai à minuit. Le lendemain, je reçus mes habillements; tout était complet.

      «Allons, Jean! il faut voir si tout cela va bien!» Ils me mènent dans leur chambre et président à ma toilette, disant: «On ne vous reconnaîtra plus!… Tenez, ajoute madame, voilà des cravates et des mouchoirs de poche. Je vous ai acheté une malle pour mettre toutes vos affaires.—Monsieur et madame, je suis confus de toutes vos bontés.»

      Le dimanche je m'habille et parais devant tout le monde de la maison, comme si je sortais d'une boîte. Tous mes camarades de me toiser de la tête aux pieds, et tout le monde de me faire des compliments. Je les remerciai par une poignée de main, et je fus rempli d'attention pour tous.

      Les années se passaient dans une servitude douce, quoique pénible, car je me multipliais, je veillais à tous les intérêts de la maison. Des souvenirs s'étaient glissés dans ma tête, je pensais à mes frères, à ma sœur, et surtout aux deux disparus de la maison à un âge si tendre, je n'étais pas maître de retenir des larmes sur le sort de ces deux pauvres innocents; je me disais: «Que sont-ils devenus? Les a-t-elle détruits, cette mauvaise femme?» Cette idée me poursuivait partout, je voulais aller m'en assurer, et je n'osais en demander la permission, par crainte de perdre ma place. Ma présence était nécessaire à la maison, il fallut patienter et me résigner à attendre tout du sort. Les années se passaient sans ne pouvoir rien apprendre de leurs nouvelles; ma gaîté s'en ressentait, je n'avais personne à qui je pouvais conter mes peines.

      Je me fortifiai dans l'agriculture où je devins très fort, et je fus reconnu tel; à vingt et un ans, je pouvais me passer de maître pour mener la charrue, et conduire un chariot à huit chevaux.

      Les ordres arrivèrent de Paris et il fallut partir de suite pour nous rendre à l'École militaire, où nous trouvâmes un général et les officiers de hussards et de chasseurs. Mon maître fut reçu par le général pour passer les chevaux en revue; on lui remet sa nomination d'inspecteur de la remonte. Le lendemain, les chevaux étaient amenés dans le Champ de Mars, au nombre de cinquante chevaux. J'avais acheté une culotte de peau de daim et une ceinture large pour me soutenir les reins; cela me coûtait trente francs.

      Mon maître se promenait avec le général qui me fit appeler: «C'est vous, me dit-il, qui êtes désigné pour monter ces chevaux, nous allons voir cela. Je suis difficile.—Soyez tranquille, général, lui dit M. Potier, il connaît son affaire.—Eh bien, à cheval! les chevaux de chasseurs les premiers!—Laissez-le faire, vous serez content de lui: il est timide.—Eh bien! laissons-le, commençons par la droite, et ainsi de suite.»

      Je monte le premier; personne n'eut le temps de me voir monter. Ce cheval veut faire quelques écarts; je lui allonge deux coups de cravache sous le poitrail, et lui fais faire une pirouette sous lui, et le rends docile. Je le mène au trot, je reviens au galop; je recommence au pas, c'est la marche essentielle pour la cavalerie… Je mets pied à terre, je dis à l'officier: «Marquez ce cheval numéro 1; il est bon.» Je dis au vétérinaire: «Voyez la bouche de tous les chevaux, et surtout les dents, je les visiterai après.»

      Je continue, je fais trois lots et les fais marquer par le capitaine de chasseurs. Arrivé au trentième, je demande un verre de vin que le général me fait apporter, disant: «Je vous laisse faire, jeune homme! Dites-moi, pourquoi ces trois lots?—Le premier pour vos officiers, le deuxième pour vos chasseurs, et le troisième, réformé.—Comment réformé?—Eh bien! général, je vais me faire comprendre. Les quatre chevaux du troisième lot sont des chevaux refaits qui ne peuvent être acceptés sans une visite des experts. Voilà la sévérité que j'y mets. Cela vous regarde. Maintenant faut-il que je continue de faire mon devoir?—Oui, je vous approuve: sévère et juste.»

      Je continuai toute la journée… J'avais monté cinquante chevaux; six du premier lot et quatre du second étaient mauvais; il en restait quarante pour les chasseurs. Lorsque les officiers connurent mon opération, ils me prirent la main: «Vous savez faire votre devoir, nous ne serons pas trompés.—Vous avez, dis-je, six chevaux parfaits, ils peuvent monter des officiers.»

      Le général me fit venir près de lui, il était près de M. Potier avec son aide de camp: «Vous avez bien opéré, je vous ai suivi de l'œil, je

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