Les cahiers du Capitaine Coignet. Jean-Roch Coignet

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Les cahiers du Capitaine Coignet - Jean-Roch Coignet

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mon ami, me disent monsieur et madame, venez vous changer.» Ils me mènent dans leur belle chambre où un bon feu était allumé, et les voilà à me déshabiller tout nu comme je suis venu au monde. «Buvez, disent-ils, ce verre de vin chaud!»

      Les voilà qui m'essuient comme leur propre enfant, et m'enveloppent dans un drap. M. Potier dit à son épouse: «Ma chère amie, si tu lui donnais une de mes chemises neuves, il pourrait bien l'essayer.—Tu as raison, ce pauvre petit n'en a que deux.—Eh bien! il faut lui donner la demi-douzaine. Tiens! il faut lui payer sa bonne action: je vais lui faire cadeau du pantalon et du gilet rond que tu m'as fait faire; il sera habillé tout à neuf.—Bien, mon ami, tu me fais plaisir.»

      M. Potier me dit: «Vous gagnerez dix-huit francs par mois et les profits: trois francs par cheval.—Monsieur et madame, combien je vous remercie!—Si vous vous étiez noyé en sauvant notre cochon! Vous avez mérité cette récompense.»

      Je me vois habillé comme le maître de la maison. Dieu! que j'étais fier!

       Je n'étais plus le petit Morvandiau.

      Comme ils se prêtaient à m'habiller, je dis: «Mais, monsieur, il ne faut pas m'habiller. Et les chevaux! et les cochons! Il faut je retourne à mon poste, mes habits seraient perdus.—Tu as raison, mon enfant.»

      Ils vont chercher des vêtements à leur neveu et me voilà en petite tenue. Je me trouvais seul, le garçon d'écurie était à la ville et les garde-moulins ne voulaient pas se mettre les pieds à l'eau. On me donne un grand verre de vin de Bourgogne bien sucré, et je me remets à l'eau. Je donne le foin aux chevaux. Je bloque mes dix-huit cochons dans une écurie qui était vide. Pour cela je prends une grande perche et poursuis tous mes gaillards devant moi, et finis par être le maître. Je peux dire que j'ai barboté deux heures ce jour-là. Le soir, l'eau avait disparu et les charretiers arrivent de toutes parts. Et moi de rentrer à la maison, de changer de tout et de me coucher de suite. Le vin sucré me fit dormir; le lendemain je n'y pensais plus.

      Monsieur et madame me firent demander de venir et m'emmenèrent dans leur chambre; ils m'habillèrent tout à neuf. Après le déjeuner, M. Potier dit au garçon d'écurie: «Selle nos bidets!» Et nous voilà partis pour voir des gros fermiers et acheter des blés. Mon maître fit des affaires pour dix mille francs, et nous fûmes traités en amis. Sans doute que M. Potier avait parlé à ces gros fermiers; on me fit beaucoup d'amitiés, et je fus mis à table près de mon maître.

      Il faut dire que j'étais bien décrassé. J'avais l'air d'un secrétaire. S'ils avaient su que je ne savais pas la première lettre de l'alphabet!… mais les habits de M. Potier me servaient de garantie auprès de ces messieurs. Et dame! après dîner, nous partîmes au galop, nous arrivâmes à sept heures, et on me fit changer de place à table. Je vois mon couvert près de M. Potier, à sa gauche, et madame à sa droite. Et le premier garde-moulin près de madame, qui servait nos maîtres les premiers. Il faut dire que monsieur et madame étaient toujours au bout de la table; on pouvait dire que c'était une table de famille. Jamais on ne disait toi à personne, toujours vous. Le dimanche, monsieur demandait: «Qui veut de l'argent[17]?»

      Tous les domestiques étant réunis, M. Potier leur dit: «Je nomme ce jeune homme pour vous transmettre mes ordres. Je lui confie les clés du foin et de l'avoine, c'est lui qui fera la distribution à tous les attelages.»

      Tout le monde me regarde, et moi qui ne savais rien du tout de cet arrangement, j'étais tout confus, je n'osais lever la tête. Enfin mon maître me dit: «Vous allez venir avec moi à la ville.» J'étais content d'être hors de table.

      M. Potier me donne des clés et me dit: «Partons! nous allons voir des greniers de blé considérables. Eh bien! êtes-vous content de moi? Ma femme aura soin de vous.—Monsieur, je ferai tout mon possible pour que vous soyez content de moi.»

      Aussi, je me multipliais: le soir, le dernier couché; le matin, le premier levé.

      Le lendemain, la sonnette m'appelle pour me donner l'ordre que je transmis à tous les domestiques. Le plus grand me dit: «Monsieur, que dites-vous?—Je ne suis pas monsieur, je suis votre bon camarade, dites-le à tout le monde. Je suis aux gages comme vous; je ferai mon service; je n'abuserai jamais de la confiance de monsieur et de madame, j'ai besoin de vos conseils.—Comme je suis le plus ancien de la maison, vous pouvez compter sur moi», dit-il.

      Je peux dire que tout le monde me fit bonne mine. Comme c'était moi qui faisais la distribution du son, de l'avoine et du foin, on me faisait la cour pour avoir la bonne mesure. M. Potier me grondait quand il trouvait du son dans les auges. «Mes chevaux sont trop gras, je vais y veiller pour que cela n'arrive plus; il ne faut pas leur faire la ration aussi forte.—Donnez-moi la mesure du son et de l'avoine, je m'y conformerai; ils prennent des corbeilles et vont au moulin les remplir. Maintenant ils n'y mettront pas les pieds, toutes les distributions seront à leur place.—C'est très bien», dit mon maître.

      Voilà tous les charretiers et laboureurs rentrés; se voyant servir, ils me disent: «On nous fait donc notre part?—Vous m'avez fait gronder, c'est monsieur qui a mesuré le son et l'avoine, et m'a dit: ne tolérez personne, je veillerai à tout cela, soyez-en sûr.»

      Le lendemain, il arrive deux gros fermiers qui déjeunent. M. Potier me sonne et dit: «Passez dans mon cabinet. Vous m'apporterez dix sacs.»

      Je les apporte. Dieu! que de piles d'écus dans ces sacs! Je reste chapeau à la main: «Jean, dit-il, faites seller nos bidets et nous partirons avec ces messieurs.» Madame me dit: «Habillez-vous proprement. Voilà un mouchoir et une cravate. Elle a la bonté de m'arranger.» «Allez, mon petit garçon, vous voilà propre!»

      Comme j'étais fier! je présentai le cheval à mon maître, et je tins l'étrier. (Cela l'a flatté beaucoup devant ces messieurs, car il me l'a dit depuis.) Les voilà tous trois à cheval. Je suivais en arrière, plongé dans mes petites réflexions. Arrivés à une belle ferme, on met nos chevaux à l'écurie, et moi je me tiens dans la cour à voir ces belles meules de blé et de foin; un domestique vient me chercher pour me faire mettre à table. Je refusai, disant: «Je vous remercie.» Le maître de la maison me prend par le bras et dit à mon maître: «Faites-le mettre à table près de vous.»

      Je n'étais pas à mon aise; enfin je mangeai du premier plat servi, et je me levai de table. «Où allez-vous? me dit le maître de la maison.—M. Potier m'a permis de me retirer.—C'est différent.»

      J'étais flatté de me voir à une table servie comme celle-là. Je me la rappelle toujours. Mme la fermière, après le dîner, m'invite à voir sa laiterie. Je n'ai jamais rien vu de si propre: des robinets partout. «Tous les quinze jours, me dit-elle, je vends une voiture de fromages. J'ai quatre-vingts vaches!»

      Elle me ramène au réfectoire pour me faire voir sa batterie de cuisine; tout était reluisant de propreté. La table, les bancs, tout était ciré. Ne sachant que dire à cette aimable dame, je lui dis: «Je conterai tout ce que j'ai vu à Mme Potier.—Nous y allons trois fois l'hiver dîner et passer la soirée. Comme l'on est bien reçu chez M. et Mme Potier!»

      Ces messieurs arrivent. Je me retire. M. Potier me fait signe et me met vingt-quatre sous dans la main. «Vous donnerez cela au garçon d'écurie: faites brider, nous partirons.»

      On amène nos deux bidets, la belle fermière dit à M. Potier: «Le bidet de votre domestique est charmant, il me conviendrait. Si mon mari était galant, il me l'achèterait, car le mien est bien vieux.—Eh bien! voyons cela, dit celui-ci, veux-tu l'essayer? Fais mettre ta selle, et monte-le. Tu verras comme il va.»

      On apporte la selle

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