Les compagnons de Jéhu. Alexandre Dumas
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Читать онлайн книгу Les compagnons de Jéhu - Alexandre Dumas страница 12
— Pardon, monsieur, dit Alfred de Barjols à Roland, vous n'êtes pas de la diligence, j'espère?
— Non, monsieur, je suis de la chaise de poste; mais, soyez tranquille, je ne pars pas.
— Ni moi, dit l'Anglais; dételez les chevaux, je reste.
— Moi, je pars, dit avec un soupir le jeune homme brun, auquel Roland avait donné le titre de général; tu sais qu'il le faut, mon ami, et que ma présence est absolument nécessaire là-bas. Mais je te jure bien que je ne te quitterais point ainsi si je pouvais faire autrement…
Et, en disant ces mots, sa voix trahissait une émotion dont son timbre, ordinairement ferme et métallique, ne paraissait pas susceptible.
Tout au contraire, Roland paraissait au comble de la joie; on eût dit que cette nature de lutte s'épanouissait à l'approche du danger qu'il n'avait peut-être pas fait naître, mais que du moins il n'avait point cherché à éviter.
— Bon! général, dit-il, nous devions nous quitter à Lyon, puisque vous avez eu la bonté de m'accorder un congé d'un mois pour aller à Bourg, dans ma famille. C'est une soixantaine de lieues de moins que nous faisons ensemble, voilà tout. Je vous retrouverai à Paris. Seulement, vous savez, si vous avez besoin d'un homme dévoué et qui ne boude pas, songez à moi.
— Sois tranquille, Roland, fit le général.
Puis, regardant attentivement les deux adversaires:
— Avant tout, Roland, dit-il à son compagnon avec un indéfinissable accent de tendresse, ne te fais pas tuer; mais, si la chose est possible, ne tue pas non plus ton adversaire. Ce jeune homme, à tout prendre, est un homme de coeur, et je veux avoir un jour pour moi tous les gens de coeur.
— On fera de son mieux, général, soyez tranquille.
En ce moment, lhôte parut sur le seuil de la porte.
— La chaise de poste pour Paris est attelée, dit-il.
Le général prit son chapeau et sa canne déposés sur une chaise; mais, au contraire, Roland affecta de le suivre nu-tête, pour que l'on vît bien qu'il ne comptait point partir avec son compagnon.
Aussi Alfred de Barjols ne fit-il aucune opposition à sa sortie. D'ailleurs, il était facile de voir que son adversaire était plutôt de ceux qui cherchent les querelles que de ceux qui les évitent. Celui-ci accompagna le général jusqu'à la voiture, où le général monta.
— C'est égal, dit ce dernier en s'asseyant, cela me fait gros coeur de te laisser seul ici, Roland, sans un ami pour te servir de témoin.
— Bon! ne vous inquiétez point de cela, général; on ne manque jamais de témoin: il y a et il y aura toujours des gens curieux de savoir comment un homme en tue un autre.
— Au revoir, Roland; tu entends bien, je ne te dis pas adieu, je te dis au revoir!
— Oui, mon cher général, répondit le jeune homme d'une voix presque attendrie, j'entends bien, et je vous remercie.
— Promets-moi de me donner de tes nouvelles aussitôt l'affaire terminée, ou de me faire écrire par quelqu'un, si tu ne pouvais m'écrire toi-même.
— Oh! n'ayez crainte, général; avant quatre jours, vous aurez une lettre de moi, répondit Roland.
Puis, avec un accent de profonde amertume:
— Ne vous êtes-vous pas aperçu, dit-il, qu'il y a sur moi une fatalité qui ne veut pas que je meure?
— Roland! fit le général d'un ton sévère, encore!
— Rien, rien, dit le jeune homme en secouant la tête, et en donnant à ses traits l'apparence d'une insouciante gaieté, qui devait être l'expression habituelle de son visage avant que lui fût arrivé le malheur inconnu qui, si jeune, paraissait lui faire désirer la mort.
— Bien. À propos, tâche de savoir une chose.
— Laquelle, général?
— C'est comment il se fait qu'au moment où nous sommes en guerre avec l'Angleterre, un Anglais se promène en France, aussi libre et aussi tranquille que s'il était chez lui.
— Bon: je le saurai.
— Comment cela?
— Je l'ignore; mais quand je vous promets de le savoir, je le saurai, dussé-je le lui demander, à lui.
— Mauvaise tête! ne va pas te faire une autre affaire de ce côté- là.
— Dans tous les cas, comme c'est un ennemi, ce ne serait plus un duel, ce serait un combat.
— Allons, encore une fois, au revoir et embrasse-moi.
Roland se jeta avec un mouvement de reconnaissance passionnée au cou de celui qui venait de lui donner cette permission.
— Oh! général! s'écria-t-il, que je serais heureux… si je n'étais pas si malheureux!
Le général le regarda avec une affection profonde.
— Un jour, tu me conteras ton malheur, n'est-ce pas, Roland? dit- il.
Roland éclata de ce rire douloureux qui, deux ou trois fois déjà, s'était fait jour entre ses lèvres.
— Oh! par ma foi, non, dit-il, vous en ririez trop.
Le général le regarda comme il eût regardé un fou.
— Enfin, dit-il, il faut prendre les gens comme ils sont.
— Surtout lorsqu'ils ne sont pas ce qu'ils paraissent être.
— Tu me prends pour OEdipe, et tu me poses des énigmes, Roland.
— Ah! si vous devinez celle-là, général, je vous salue roi de Thèbes. Mais, avec toutes mes folies, j'oublie que chacune de vos minutes est précieuse et que je vous retiens ici inutilement.
— Tu as raison. As-tu des commissions pour Paris?
— Trois, mes amitiés à Bourrienne, mes respects à votre frère
Lucien, et mes plus tendres hommages à madame Bonaparte.
— Il sera fait comme tu le désires.
— Où vous retrouverai-je, à Paris?
— Dans ma maison de la rue de la
Victoire, et peut-être…
—
— Peut-être…
— Qui sait? peut-être au Luxembourg!
Puis, se rejetant en arrière, comme s'il regrettait d'en avoir tant dit,