Romans et contes. Theophile Gautier

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Romans et contes - Theophile Gautier страница 8

Автор:
Серия:
Издательство:
Romans et contes - Theophile Gautier

Скачать книгу

Dieu lui-même, au fond de son infini, n’a pour se distraire de l’ennui des éternités que le plaisir d’entendre battre pour lui le cœur d’une pauvre petite créature périssable sur un chétif globe, perdu dans l’immensité. Prascovie n’était pas plus sévère que Dieu, et le comte Olaf n’eût pu blâmer cette délicate volupté d’âme.

      «Votre récit, que j’ai écouté attentivement, dit le docteur à Octave, me prouve que tout espoir de votre part serait chimérique. Jamais la comtesse ne partagera votre amour.

      —Vous voyez-bien, monsieur Cherbonneau, que j’avais raison de ne pas chercher à retenir ma vie qui s’en va.

      —J’ai dit qu’il n’y avait pas d’espoir avec les moyens ordinaires, continua le docteur; mais il existe des puissances occultes que méconnaît la science moderne, et dont la tradition s’est conservée dans ces pays étranges nommés barbares par une civilisation ignorante. Là, aux premiers jours du monde, le genre humain, en contact immédiat avec les forces vives de la nature, savait des secrets qu’on croit perdus, et que n’ont point emportés dans leurs migrations les tribus qui, plus tard, ont formé les peuples. Ces secrets furent transmis d’abord d’initié à initié, dans les profondeurs mystérieuses des temples, écrits ensuite en idiomes sacrés incompréhensibles au vulgaire, sculptés en panneaux d’hiéroglyphes le long des parois cryptiques d’Ellora; vous trouverez encore sur les croupes du mont Mérou, d’où s’échappe le Gange, au bas de l’escalier de marbre blanc de Bénarès la ville sainte, au fond des pagodes en ruines de Ceylan, quelques brahmes centenaires épelant des manuscrits inconnus, quelques yoghis occupés à redire l’ineffable monosyllabe om sans s’apercevoir que les oiseaux du ciel nichent dans leur chevelure; quelques fakirs dont les épaules portent les cicatrices des crochets de fer de Jaggernat, qui les possèdent ces arcanes perdus et en obtiennent des résultats merveilleux lorsqu’ils daignent s’en servir.—Notre Europe, tout absorbée par les intérêts matériels, ne se doute pas du degré de spiritualisme où sont arrivés les pénitents de l’Inde: des jeûnes absolus, des contemplations effrayantes de fixité, des postures impossibles gardées pendant des années entières, atténuent si bien leurs corps, que vous diriez, à les voir accroupis sous un soleil de plomb, entre des brasiers ardents, laissant leurs ongles grandis leur percer la paume des mains, des momies égyptiennes retirées de leur caisse et ployées en des attitudes de singe; leur enveloppe humaine n’est plus qu’une chrysalide, que l’âme, papillon immortel, peut quitter ou reprendre à volonté. Tandis que leur maigre dépouille reste là, inerte, horrible à voir, comme une larve nocturne surprise par le jour, leur esprit, libre de tous liens, s’élance, sur les ailes de l’hallucination, à des hauteurs incalculables, dans les mondes surnaturels. Ils ont des visions et des rêves étranges; ils suivent d’extase en extase les ondulations que font les âges disparus sur l’océan de l’éternité; ils parcourent l’infini en tous sens, assistent à la création des univers, à la genèse des dieux et à leurs métamorphoses; la mémoire leur revient des sciences englouties par les cataclysmes plutoniens et diluviens, des rapports oubliés de l’homme et des éléments. Dans cet état bizarre, ils marmottent des mots appartenant à des langues qu’aucun peuple ne parle plus depuis des milliers d’années sur la surface du globe, ils retrouvent le verbe primordial, le verbe qui a fait jaillir la lumière des antiques ténèbres: on les prend pour des fous; ce sont presque des dieux!»

      Ce préambule singulier surexcitait au dernier point l’attention d’Octave, qui, ne sachant où M. Balthazar Cherbonneau voulait en venir, fixait sur lui des yeux étonnés et petillants d’interrogations: il ne devinait pas quel rapport pouvaient offrir les pénitents de l’Inde avec son amour pour la comtesse Prascovie Labinska.

      Le docteur, devinant la pensée d’Octave, lui fit un signe de main comme pour prévenir ses questions, et lui dit: «Patience, mon cher malade; vous allez comprendre tout à l’heure que je ne me livre pas à une digression inutile.—Las d’avoir interrogé avec le scalpel, sur le marbre des amphithéâtres, des cadavres qui ne me répondaient pas et ne me laissaient voir que la mort quand je cherchais la vie, je formai le projet—un projet aussi hardi que celui de Prométhée escaladant le ciel pour y ravir le feu—d’atteindre et de surprendre l’âme, de l’analyser et de la disséquer pour ainsi dire; j’abandonnai l’effet pour la cause, et pris en dédain profond la science matérialiste dont le néant m’était prouvé. Agir sur ces formes vagues, sur ces assemblages fortuits de molécules aussitôt dissous, me semblait la fonction d’un empirisme grossier. J’essayai par le magnétisme de relâcher les liens qui enchaînent l’esprit à son enveloppe; j’eus bientôt dépassé Mesmer, Deslon, Maxwel, Puységur, Deleuze et les plus habiles, dans des expériences vraiment prodigieuses, mais qui ne me contentaient pas encore: catalepsie, somnambulisme, vue à distance, lucidité extatique, je produisis à volonté tous ces effets inexplicables pour la foule, simples et compréhensibles pour moi.—Je remontai plus haut: des ravissements de Cardan et de saint Thomas d’Aquin je passai aux crises nerveuses des Pythies; je découvris les arcanes des Époptes grecs et des Nebiim hébreux; je m’initiai rétrospectivement aux mystères de Trophonius et d’Esculape, reconnaissant toujours dans les merveilles qu’on en raconte une concentration ou une expansion de l’âme provoquée soit par le geste, soit par le regard, soit par la parole, soit par la volonté ou tout autre agent inconnu.—Je refis un à un tous les miracles d’Apollonius de Thyane.—Pourtant mon rêve scientifique n’était pas accompli; l’âme m’échappait toujours; je la pressentais, je l’entendais, j’avais de l’action sur elle; j’engourdissais ou j’excitais ses facultés; mais entre elle et moi il y avait un voile de chair que je pouvais écarter sans qu’elle s’envolât; j’étais comme l’oiseleur qui tient un oiseau sous un filet qu’il n’ose relever, de peur de voir sa proie ailée se perdre dans le ciel.

      «Je partis pour l’Inde, espérant trouver le mot de l’énigme dans ce pays de l’antique sagesse. J’appris le sanscrit et le prâcrit, les idiomes savants et vulgaires: je pus converser avec les pandits et les brahmes. Je traversai les jungles où rauque le tigre aplati sur ses pattes; je longeai les étangs sacrés qu’écaille le dos des crocodiles; je franchis des forêts impénétrables barricadées de lianes, faisant envoler des nuées de chauves-souris et de singes, me trouvant face à face avec l’éléphant au détour du sentier frayé par les bêtes fauves pour arriver à la cabane de quelque yoghi célèbre en communication avec les Mounis, et je m’assis des jours entiers près de lui, partageant sa peau de gazelle, pour noter les vagues incantations que murmurait l’extase sur ses lèvres noires et fendillées. Je saisis de la sorte des mots tout-puissants, des formules évocatrices, des syllabes du Verbe créateur.

      «J’étudiai les sculptures symboliques dans les chambres intérieures des pagodes que n’a vues nul œil profane et où une robe de brahme me permettait de pénétrer; je lus bien des mystères cosmogoniques, bien des légendes de civilisations disparues; je découvris le sens des emblèmes que tiennent dans leurs mains multiples ces dieux hybrides et touffus comme la nature de l’Inde; je méditai sur le cercle de Brahma, le lotus de Wishnou, le cobra capello de Shiva, le dieu bleu. Ganésa, déroulant sa trompe de pachyderme et clignant ses petits yeux frangés de longs cils, semblait sourire à mes efforts et encourager mes recherches. Toutes ces figures monstrueuses me disaient dans leur langue de pierre: «Nous ne sommes que des formes, c’est l’esprit qui agite la masse.»

      «Un prêtre du temple de Tirounamalay, à qui je fis part de l’idée qui me préoccupait, m’indiqua, comme parvenu au plus haut degré de sublimité, un pénitent qui habitait une des grottes de l’île d’Éléphanta. Je le trouvai, adossé au mur de la caverne, enveloppé d’un bout de sparterie, les genoux au menton, les doigts croisés sur les jambes, dans un état d’immobilité absolue; ses prunelles retournées ne laissaient voir que le blanc, ses lèvres bridaient sur ses dents déchaussées; sa peau, tannée par une incroyable maigreur, adhérait aux pommettes; ses cheveux, rejetés en arrière, pendaient par mèches roides comme des filaments de plantes du sourcil

Скачать книгу