L'américaine. Jules Claretie

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       Table des matières

      En juillet, à Trouville, par un beau temps clair, sous le ciel d'un bleu doux, légèrement ouaté de nuages blancs, devant la mer plate et verte aux bords vaseux dentelés d'écume blanche, le docteur Fargeas, le savant névrologiste, causait à l'ombre d'un grand parasol planté dans le sable fin. Il causait, tout en regardant de ses profonds yeux noirs des barques filer à l'horizon, un vapeur passer avec sa blanche fumée droite, et, en amateur d'art qu'il était, comparant aux marines accrochées à Paris, dans son cabinet, la côte violacée qui se montrait au fond, très loin, plaquée de tons rosés ou jaunes, vers le cap de la Hève, là-bas.

      Il se laissait aller, le docteur, à ces lents bavardages des jours de repos, assis entre un homme de trente-cinq ans environ, à l'air militaire, le marquis de Solis, retour du Tonkin et descendu l'avant-veille aux Roches Noires, et un jeune homme coiffé du petit chapeau paillasson à large ruban qui, dans un tonneau d'osier, les jambes croisées, battait sa bottine gauche du bout de son ombrelle de toile écrue. Joli garçon, ce M. de Bernière, un peu cousin du marquis de Solis; mais aussi spirituellement flâneur, railleur, décadent ou pessimiste, selon la mode, que Georges de Solis était—avec dix années de plus sur les épaules—enthousiaste, crédule, courant la mode à la conquête de quelque vérité scientifique, et que Fargeas lui-même, restait ardent et alerte, sous ses longs cheveux gris, encadrant son visage maigre.

      Ils s'étaient, après le déjeuner, rencontrés et assis machinalement sur la plage, dans le far niente délicieux de la vie des eaux, le docteur descendant de sa villa, bâtie dans le nid de verdure de la côte de Grâce, Bernière et M. de Solis sortant du même hôtel où ils se retrouvaient sans s'y être donné rendez-vous.

      Fargeas avait jadis soigné la marquise de Solis et donnait, de temps à autre, des conseils hygiéniques à M. de Bernière qui ne les suivait pas. Un ami de tous ses clients, le bon docteur. Et appliquant à ces faux malades, simplement anémiés ou rendus dyspepsiques par la vie de Paris, une méthode curative à lui: la causerie, le laisser-passer, le haussement d'épaules et le: «Bah! ce n'est rien! Vous en verrez toujours la fin!»

      —Eh bien! docteur, et vos malades? lui demandait justement Bernière, en continuant à frapper de son ombrelle sa cheville qui faisait saillie sous le caoutchouc de la bottine.

      —Mes malades? Tous bien portants!

      Et le docteur ajouta, en riant:

      —Je les visite si peu!

      —Vous seul avez le droit de parler ainsi, de ce petit ton railleur, de votre science, cher docteur!... dit M. de Solis, avec un évident respect, une sorte de reconnaissance affectueuse. Vous, un des maîtres en l'art de guérir!

      —Oh! un des maîtres!—- le savant hochait la tête.—La vérité est que je suis peut-être parmi les médecins un des moins... malfaisants!

      Bernière sourit et son ombrelle battit plus vite, comme pour applaudir.

      —Malfaisant est joli! Un ban pour malfaisant!

      —Non.... Mais, dit Fargeas, je suis sceptique en médecine... voilà ma force! J'ai remarqué qu'à tout prendre il n'y a jamais de maladies réelles que celles que l'on croit avoir!... Quand l'homme est réellement en danger, il se figure qu'il n'a rien de grave. Cette ignorance de son mal le rassure et il en guérit malgré le médecin! L'homme ou la femme est-il malade imaginaire? Comme à tout propos le médecin est consulté, alors... ah! alors, ça devient dangereux!

      —Il n'y a donc à votre avis, demanda M. de Solis, que les maladies qu'on croit avoir?

      —Évidemment, comme il n'y a que les passions qu'on se figure éprouver.

      Le jeune Bernière, après avoir applaudi, se mit à protester.

      —Oh! qu'on se figure!... qu'on se figure!... dit-il.

      Le docteur Fargeas l'interrompit, et regardant ce joli garçon blond, frisé, avec une mince moustache finement retroussée sur des lèvres un peu pâles, et un monocle crispant, comme une hémiplégie, tout un côté de sa face, tandis que l'autre restait calme, avec un petit œil bleu perçant:

      —Mais parfaitement, dit le médecin. Voyons, tenez: Quel âge avez-vous?

      —Vingt-huit ans.

      —Et, à vingt-huit ans, vous croyez avoir eu des passions?

      —Beaucoup! fit Bernière.

      —Êtes-vous joueur?

      —Peu!

      —Bibliophile?

      —Médiocrement.... Je coupe les volumes avec mes doigts! Ainsi!...

      —Avare? Je vous demande pardon....

      —Papa me trouve prodigue, répondit Bernière, mais la petite Emilienne.... Emilienne Delannoy... non... elle... tout le contraire! Non, je ne suis pas avare!

      —Alors, vous n'avez pas de passions! dit Fargeas, ni les chevaux, ni le jeu, ni les femmes... pas même la petite....

      —Emilienne (des Bouffes)....

      —Pas même Emilienne Delannoy ne sont des passions! Des occupations, oui! Des délassements!... Soit!

      —Heu! heu! fit le jeune homme, l'air profondément ennuyé, revenu de tout. Des délassements? Quelquefois!

      —Rarement, je le sais bien, accentua le docteur. Mais des passions, non! Vous voyez bien vous-même.... Vous dites: «Heu! heu!» Une passion, mais cela vous prend corps et âme, vous tient, vous tord, vous absorbe, vous tue lentement et pourtant vous fait vivre!... J'ai connu deux hommes seulement qui avaient eu ce qu'on appelle une passion, mais une vraie, une absolue passion! L'un était un brave garçon qui cherchait le moyen d'abolir la misère.... Il est mort fou! L'autre était un vieux sculpteur raté qui passa sa vie à sculpter des noix de coco, certain de tailler là-dedans un chef-d'œuvre.... Il est mort idiot!... Et ce n'est pas plus bête de s'affoler pour un beau rêve ou de s'abrutir sur un pareil travail que de perdre sa vie pour une femme!

      Bernière écoutait Fargeas en souriant, comme il eût prêté l'oreille à un air de bravoure ou à une conférence; mais il n'en semblait pas fort ému.

      Il répondit de sa voix lente et lassée:

      —Mon cousin Solis est cependant là, docteur, pour vous prouver qu'il peut y avoir d'autres passions que celle des noix de coco!

      —Comment?

      —Dame! une noble passion: celle des voyages.

      —Et vous voyez bien que M. de Solis ne l'éprouvait pas complètement... entièrement... jusqu'à en mourir, la passion des voyages, puisqu'il est revenu!

      —C'est qu'on se lasse de tout, docteur! répondit le marquis de Solis qui, machinalement, traçait sur le sable de la plage, une carte quelconque, chimérique, sans doute.

      Le docteur Fargeas eut presque un

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