L'américaine. Jules Claretie
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M. Montgomery sourit, acceptant la plaisanterie du boulevardier:
—Je comprends... oui.... Qui fait profession de beauté.... A Paris, on s'y tromperait!
Il ajouta, froidement, dans son petit sourire singulier:
—Mais on ne s'y tromperait pas longtemps. Très aimable, Mme Montgomery... très aimable... hors de chez elle! L'autre jour, Papillonne... oui, Papillonne, du Figaro, a eu l'idée de raconter l'histoire de notre mariage.... Très poétique, cette histoire!
—Vraiment?... fit M. de Bernière.
Montgomery s'inclina dans un léger salut.
—Merci encore!
Puis, comme le jeune homme, évidemment, voulait tenter encore de rattraper son exclamation envolée:
—Oh! n'expliquez pas! répéta l'Américain. Divorcée d'avec un premier mari.
—Mme Montgomery?
—Oui. Vous n'avez donc pas lu Papillonne?.... Je suis son second!... Éprise de moi à cause de... mon Dieu! à cause de mon nom.
—C'est juste! Montgomery! dit M. de Bernière, en faisant sonner le nom historique.
Mais Montgomery l'interrompit encore:
—Oh! n'insistez pas!... Il y a deux m en français! Montgommery! Un seul à mon nom! C'est ce qui ennuie un peu Mme Montgomery.
—Vous pouvez vous en refaire mettre un.... Un m et un de....
—J'y ai songé. Mais ça se verrait....
—Oh! dit le jeune homme en riant, ça se voit tous les jours!
—Norton se moquerait de moi!
—Ah! oui, M. Norton!... Je regrette que mon cousin Solis ne soit plus là pour parler de M. Norton. Il y a longtemps que l'on n'a parlé de M. Norton.
—Vous le connaissez, M. Norton? dit Montgomery.
—Très peu! Comme on connaît les étrangers à Paris!
—Je vous ai vu chez lui, à la dernière soirée qu'il a donnée au Parc Monceau!
—C'était la première fois que j'y allais. Superbe, l'inauguration de son hôtel!... Un luxe et un goût! La serre surtout! Étonnante, la serre!... Un bijou parisien vu à la lumière Edison!... Seulement on n'y parle pas assez français. J'y ai vu des Turcs, des Persans, des Américains—mais des Parisiens, j'en cherchais!...—Le plus Parisien, c'était encore un Japonais... ou un Javanais, je ne sais pas au juste.... Ah ça! mais, cher monsieur Montgomery, il y a un autre Norton, qui vient d'acheter un Meissonier de huit cent mille francs à Philadelphie!
—C'est le faux Norton!
—Comment, le faux Norton?
—Oui... comme je suis un Montgomery avec deux m!... Le vrai Norton, c'est mon Norton à moi, Richard Hepworth Norton... le propriétaire des mines de cuivre les plus fameuses et le rival des plus hardis entrepreneurs pour la construction des chemins de fer, Norton le Riche, comme on l'appelle pour le différencier de Norton le Pauvre, qui n'a que vingt millions....
—Oh! le malheureux!
—.... De rente! ajouta Montgomery froidement.
—Alors, dit Bernière, Richard Norton!
—Oh! Richard Norton! Richissime, lui!
—C'est juste! fit le Parisien. Riche est maintenant un minimum. Pour avoir le strict nécessaire, il faut être....
—Richissime!... Parfaitement. C'est notre monde américain qui a inventé ces superlatifs. Et en route pour l'énorme, l'excessif, le gigantesque!... Nous ne pouvons vivre, cher monsieur, comme votre vieille Europe, sur une motte de terre usée et avec les quatre sous qui suffisaient autrefois à nos pères!... Qui n'est pas trop riche maintenant ne l'est pas assez! Qui n'a pas d'indigestion n'a pas dîné! Qui n'est pas fou d'amour n'a pas aimé!
—Je comprends... dit Bernière, en ouvrant son ombrelle... vous ne voulez pas vivre comme des épiciers.
L'Américain hocha la tête avec un petit air railleur:
—Oh! cher monsieur, prenez garde, prenez garde! Avec un Américain, il ne faut jamais railler l'état qui semble le plus ridicule pour vos préjugés français, parce que l'ambassadeur ou le président des Etats-Unis peut précisément l'avoir exercé.... L'homme qui vous parle a fait sa fortune dans un comptoir d'épicerie.
—Un Montgomery?
—Oui. Ma femme voudrait bien l'oublier. Mais je ne rougis pas du tout, moi, de m'en souvenir!...
—Et vous avez bien raison!... Cependant, votre associé, M. Norton, ce n'est pas avec des... pruneaux qu'il a gagné cette maison normande, les collections qu'il y loge et son hôtel de Paris, l'étonnement des invités, le joyau du parc Monceau?
—C'est peut-être avec des pruneaux qu'il a gagné tout cela! Je ne le lui ai pas demandé, répondit froidement Montgomery. Du reste, nous ne demandons jamais d'où vient une grande fortune et une jolie femme. Nous saluons l'une et nous respectons l'autre.
—C'est la femme que vous respectez? demanda en riant M. de Bernière qui s'était levé, trouvant décidément le soleil trop chaud.
—Oh! les deux! dit l'Américain. Les deux!
—Même lorsqu'il s'agit de miss Dickson?...
—C'est que tout le monde en parle!... Ah! la jolie créature! Elle serait capable de rendre à Deauville son ancienne splendeur. C'est vrai: Trouville d'un côté, miss Dickson de l'autre, je parie pour miss Dickson. Superbe, miss Dickson! L'autre jour, à cheval, sur la plage, elle était à peindre! Un portrait de Carolus équestre!
—A propos de portrait, monsieur de Bernière, demanda l'Américain, pour le prochain Salon, avez-vous un peintre à me recommander, vous qui êtes un raffiné.... Mais un peintre de choix et qui réussirait Mme Montgomery?
—Qui réussirait Mme Montgomery? répéta Bernière.
Et à travers son monocle, il regardait le petit gros homme, tout enchanté de sa question; il le regardait avec un léger, très léger sourire narquois: ces maris!
—Qui réussirait Mme Montgomery? Mais, cher monsieur, vous avez justement un de vos compatriotes, un peintre américain très à la mode, tout à fait à la mode, depuis son fameux portrait de femme dans le goût de Whistler... l'auteur de la Femme en noir.... Edward Harrisson!
Le calme visage, un peu paterne, de Montgomery, s'était glacé brusquement.
—Harrisson, dit-il. Impossible!
—Pourquoi?