Pierre Nozière. Anatole France
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"Rose Benoist, si de douze je retiens quatre, combien me reste-t-il?
—Quatre!" repond Rose Benoist.
Mlle Genseigne n'est pas satisfaite de cette reponse:
"Et vous, Emmeline Capel, si de douze je retiens quatre, combien me reste-t-il?
—Huit!" repond Emmeline Capel.
Et Rose Benoist tombe dans une reverie profonde. Elle entend qu'il reste huit a Mlle Genseigne, mais elle ne sait pas si ce sont huit chapeaux ou huit mouchoirs, ou bien encore huit pommes ou huit plumes. Il y a bien longtemps que ce doute la tourmente. Quand on lui dit que six fois six font trente-six, elle ne sait pas si ce sont trente-six chaises ou trente-six noix, et elle ne comprend rien a l'arithmetique.
Au contraire, elle est tres savante en histoire sainte. Mlle Genseigne n'a pas une autre eleve capable de decrire le Paradis terrestre et l'Arche de Noe comme fait Rose Benoist. Rose Benoist connait toutes les fleurs du Paradis et tous les animaux de l'Arche. Elle sait autant de fables que Mlle Genseigne elle-meme. Elle sait tous les discours du Corbeau et du Renard, de l'Ane et du petit Chien, du Coq et de la Poule. Elle n'est pas surprise quand on lui dit que les animaux parlaient autrefois. Elle serait plutot surprise si on lui disait qu'ils ne parlent plus. Elle est bien sure d'entendre le langage de son gros chien Tom et de son petit serin Cuip. Elle a raison: les animaux ont toujours parle et ils parlent encore; mais ils ne parlent qu'a leurs amis. Rose Benoist les aime et ils l'aiment. C'est pour cela qu'elle les comprend. Pour s'entendre, il n'est tel que de s'aimer.
Aujourd'hui, Rose Benoist a recite sa lecon sans faute. Elle a un bon point. Emmeline Capel a recu aussi un bon point pour avoir bien su sa lecon d'arithmetique.
Au sortir de la classe, elle a dit a sa maman qu'elle avait un bon point. Et elle a ajoute:
"Un bon point, a quoi ca sert, dis, maman?
—Un bon point ne sert a rien, a repondu la maman d'Emmeline. C'est justement pour cela qu'on doit etre fier de le recevoir. Tu sauras un jour, mon enfant, que les recompenses les plus estimees sont celles qui donnent de l'honneur sans profit."
MARIE
Les petites filles ont un desir naturel de cueillir des fleurs et des etoiles. Mais les etoiles ne se laissent point cueillir et elles enseignent aux petites filles qu'il y a en ce monde des desirs qui ne sont jamais contentes. Mlle Marie s'en est allee dans le parc avec sa nourrice; elle a rencontre une corbeille d'hortensias et elle a connu que les fleurs d'hortensia etaient belles; c'est pourquoi elle en a cueilli une. C'etait tres difficile. Elle a tire la plante a deux mains et elle a couru grand risque de tomber sur son derriere quand la tige s'est rompue. Aussi est-elle tres fiere de ce qu'elle a fait. Elle est tres contente aussi, car la fleur est admirable a voir: c'est une boule d'un rose tendre trempee de bleu et c'est une fleur composee de beaucoup de petites fleurs. Mais la nourrice l'a vue: elle s'elance. Elle saisit Mlle Marie par le bras; elle gronde, elle s'ecrie, elle est terrible. Mlle Marie regarde etonnee, de son regard encore flottant, et songe dans sa petite ame confuse. Vous ne sauriez imaginer combien c'est difficile, a sept ans, d'interroger sa conscience. Elle reste candide entre la faute commise et le chatiment prepare. La nourrice la met en penitence, non dans le cabinet noir, mais sous un grand marronnier, a l'ombre d'un vaste parasol chinois. La, Mlle Marie pensive, surprise, etonnee, est assise et songe. Sa fleur a la main, elle a l'air, sous l'ombrelle qui rayonne autour d'elle, d'une petite idole etrange.
La nourrice a dit: "Maintenant, mademoiselle, donnez-moi cette fleur." Mais Mlle Marie a serre dans son petit poing la tige fleurie et ses joues ont rougi et son front s'est gonfle comme si elle allait pleurer. Et la nourrice n'a pas voulu causer des larmes. Elle a dit: "Je vous defends de porter cette fleur a votre bouche. Si vous desobeissez, mademoiselle, votre petit chien Toto vous mangera les oreilles."
Ayant ainsi parle, elle s'eloigne. La jeune penitente, immobile sous son dais eclatant, regarde autour d'elle, et voit le ciel et la terre. C'est grand, le ciel et la terre, et cela peut amuser quelque temps une petite fille. Mais sa fleur d'hortensia l'occupe plus que tout le reste. C'est une belle fleur et c'est une fleur defendue. Voila deux raisons pour s'y plaire. Mlle Marie songe: "Une fleur, cela doit sentir bon!" Et elle approche de son nez la boule fleurie. Elle essaie de sentir, mais elle ne sent rien. Elle n'est pas bien habile a respirer les parfums: il y a peu de temps encore, elle soufflait sur les roses au lieu de les respirer. Il ne faut pas se moquer d'elle pour cela: on ne peut tout apprendre a la fois. On apprend d'abord a boire du lait. On n'apprend que plus tard a respirer des fleurs: c'est moins utile. D'ailleurs, aurait-elle, comme sa maman, l'odorat subtil, elle ne sentirait rien. La fleur d'hortensia n'a pas d'odeur. C'est pourquoi elle lasse malgre sa beaute. Mais Mlle Marie est ingenieuse. Elle se prend a songer: "Cette fleur, elle est peut-etre en sucre." Alors elle ouvre la bouche toute grande et va porter la fleur a ses levres … Un cri retentit: Ouap!
C'est le petit chien Toto qui, s'elancant pardessus une bordure de geraniums, vient se poser, les oreilles toutes droites, devant Mlle Marie, et darde sur elle le regard de ses yeux vifs et ronds. La nourrice, qui veille cachee derriere les arbres, l'a envoye. Et Mlle Marie reste stupefaite.
A TRAVERS CHAMPS
Apres le dejeuner, Catherine s'en est alle dans les pres avec Jean, son petit frere. Quand ils sont partis, le jour semblait jeune et frais comme eux.
Le ciel n'etait pas tout a fait bleu; il etait plutot gris, mais d'un gris plus doux que tous les bleus du monde. Justement les yeux de Catherine sont de ce gris-la et semblent faits d'un peu de ciel matinal.
Catherine et Jean s'en vont tout seuls par les pres. Leur mere est fermiere et travaille dans la ferme. Ils n'ont point de servante pour les conduire, et ils n'en ont point besoin. Ils savent leur chemin; ils connaissent les bois, les champs et les collines. Catherine sait voir l'heure du jour en regardant le soleil, et elle a devine toutes sortes de beaux secrets naturels que les enfants des villes ne soupconnent pas. Le petit Jean lui-meme comprend beaucoup de choses des bois, des etangs et des montagnes, car sa petite ame est une ame rustique.
Catherine et Jean s'en vont par les pres fleuris. Catherine, en cheminant, fait un bouquet. Elle aime les fleurs. Elle les aime parce qu'elles sont belles, et c'est une raison, cela! Les belles choses sont aimables; elles ornent la vie. Quelque chose de beau vaut quelque chose de bien, et c'est une bonne action que de faire un beau bouquet.
Catherine cueille des bleuets, des coquelicots, des coucous et des boutons d'or, qu'on appelle aussi cocottes. Elle cueille encore de ces jolies fleurs violettes qui croissent au bord des bles et qu'on nomme des miroirs de Venus. Elle cueille les sombres epis de l'herbe a lait et des cretes de coq, qui sont des cretes jaunes, et des becs de grue roses et le lys des vallees, dont les blanches clochettes, agitees au moindre souffle, repandent une odeur delicieuse. Catherine aime les fleurs parce que les fleurs sont belles; elle les aime aussi parce qu'elles sont des parures. Elle est une petite fille toute simple, dont les beaux cheveux sont caches sous un beguin brun; son tablier de cotonnade recouvre une robe unie; elle va en sabots. Elle n'a vu de riches toilettes qu'a la Vierge Marie et a la sainte Catherine de son eglise paroissiale. Mais il y a des choses que les petites filles savent en naissant. Catherine sait que les fleurs sont des parures seantes, et que les belles dames qui mettent des bouquets a leur corsage en paraissent plus jolies. Aussi songe-t-elle qu'elle doit etre bien brave en ce moment, puisqu'elle porte un bouquet plus gros que sa tete. Elle est contente d'etre brave et ses idees sont brillantes et parfumees comme ses fleurs. Ce sont des idees qui ne s'expriment point par la parole: la parole n'a rien d'assez joli pour exprimer les idees de bonheur d'une petite fille. Il y faut des