Les zones critiques d'une anthropologie du contemporain. Группа авторов
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Comme il le dit lui-même, le fil conducteur pour comprendre sa pensée, qui n’évolue pas au gré des circonstances, est son activité de chercheur engagé. Cet engagement militant s’est d’abord exprimé en faveur de l’Algérie. En effet, il avait été invité à enseigner, à l’été 1963, à l’université d’Alger, comme « pied rouge » alors qu’il n’avait pas encore obtenu sa licence. Plus tard, il a tout autant refusé, à la fin des années 1970, d’aller enseigner au Mozambique dans le cadre de la « coopération rouge », comme il l’explique dans ses notes de séminaire :
Les relations entre mes camarades trotskystes et la direction du Frelimo m’ouvrent à nouveau la porte pour une coopération révolutionnaire au Mozambique47 que je refuse à la fin des années 1970. Lors de ma visite en novembre 1983, dans un séminaire à Maputo, Meillassoux et moi-même sommes accusés d’être de vulgaires anthropologues bourgeois par mes collègues tout aussi blancs que vous et moi48. Plus tard, lors d’un colloque à Bujumbura, en 1989, j’ai fait pleurer Anna Maria Gentili, historienne italienne, ancienne coopérante rouge49, en rappelant ces comportements stalino-bureaucratiques.
En conclusion, comme il me l’a souligné à Dakar en novembre 2019, il a toujours refusé de collaborer de l’intérieur avec ces régimes dits socialistes50. Notre point commun est l’engagement dans les publications, l’édition, « l’activisme éditorial ». Jean a été présent de manière active dans plusieurs comités de rédaction de revues : « Je suis un homme de périodiques, de journaux ou de magazines aux périodicités variées et de revues académiques » (Copans, 2010). Mais c’est dans les Cahiers d’Études africaines qu’il a le plus manifesté ce statut d’homme de revue.
La clôture de la longue marche ?
La question du développement a jalonné toute la trajectoire de Jean Copans. Il en était déjà question lors de ses recherches sur la confrérie mouride. L’utopie de développement était alors forte au Sénégal. C’est dans un tel contexte que Jean a analysé la confrérie mouride confrontée aux impératifs du développement de l’agriculture de rente. Mais cette question est abordée en pointillé dans différentes thématiques : la sécheresse, les classes ouvrières, le champ politique africain. À ce propos, il précise :
Mon arrivée à Paris-Descartes se fait encore sous le signe d’une liberté pédagogique et je donne les deux grands cours de licence, l’un en sociologie du développement et l’autre en anthropologie économique […] Avec Yves Charbit nous élaborons une filière développement, ce qui me permet de passer du champ général du changement social mondial au champ socio-anthropologique plus spécifique de l’organisation du développement. Je m’insère totalement dans le courant français symbolisé par les disciples de Jean-Pierre Olivier de Sardan, je deviens un membre actif du Comité de rédaction de la Revue Tiers monde, j’organise mon séminaire de sociologie de la connaissance anthropologique à l’EHESS autour de ce domaine qui donne lieu à la publication du numéro 191 de Revue Tiers Monde intitulé « Itinéraires de chercheurs » (2007). Ce dernier avait été précédé de la publication d’un manuel dans la collection 128 chez A. Colin puis d’un numéro double des Cahiers d’Études africaines « Les sciences sociales au miroir du développement » [202-203 | 2011] en co-direction avec C. Freud.
Tout cela est bien politique aussi bien par la publication d’un texte sud-africain que par une prise de position sur l’engagement pour le développement51 ou encore sur la dé-développementalisation des sciences sociales du Sud et un retour aux fondamentaux. Hélas, tout cela reste très en retrait. Mévente totale du 12852, mais apparemment meilleure vente de l’ouvrage Atlani et Vidal53 que j’ai préfacé. Désintérêt total des sociologues d’une part et absence de rigueur et d’implication des chercheurs anthropologues, échec de l’analyse critique de la pauvreté, peu de travaux de l’intérieur comme les Britanniques et les chercheurs européens du Nord et de l’Allemagne. Bref, mon militantisme pour reconstruire un objet théorique et empirique des formes actuelles du capitalisme mondial est un échec, et ma retraite ne permet pas de relancer le projet. Symboliquement, je publie une espèce de testament sous une forme grand public dans un quotidien sénégalais, WalFadjri54. Après tout c’est bien la moindre des choses et une manière de boucler la boucle. Je continue néanmoins à assurer mon tour de garde en rédigeant des comptes rendus et en me désolant intérieurement de la re-ghettoïsation des études du développement au sein des sciences sociales françaises alors que tout le monde a l’argument de mondialisation à la bouche.
Ce que je retiens des différentes affiliations politiques et appartenances politiques toujours à gauche de Jean, c’est la longue maturation d’une culture hétérodoxe qui ne lui a pas attiré que des amis. Brillant esprit indépendant et libre55, il n’a jamais accepté de compromission, n’a jamais avancé masqué, quels que soient les lieux ou les circonstances. Il a construit son autonomie intellectuelle sur la longue durée. Il la défend parfois de manière agressive, avec son langage limpide, parfois injuste, mais traduisant toujours l’honnêteté du personnage. De ce point de vue, j’ai toujours été impressionné par la ressemblance entre Jean Copans et Amady Aly Dieng56.
Jean est l’un des grands anthropologues de l’université française. Le style de ses papiers n’a rien à voir avec ceux en vogue dans une partie francophone du continent africain : des dissertations qui tournent le dos ou font l’impasse, par ignorance ou paresse intellectuelle, sur les études ou données de terrain qui documentent les particularités nationales. Ces documents mettent l’accent sur les aspects esthétiques de la construction des phrases57, la séduction, les effets de démonstration de l’érudition de leurs auteurs, de leur maîtrise de la langue et de la culture françaises, mais ne rendent pas compte, hélas, de la grande complexité des sociétés africaines.
Intellectuel engagé, courageux et déterminé, son espace de prédilection se situe dans le territoire de l’hétérodoxie, de l’indocilité. Mais jamais de l’insouciance. Sa brillante carrière constitue une forme particulière de célébration du savoir, de la liberté de penser, de se révolter. L’activité intellectuelle immense de Jean a embrassé différents domaines des sciences humaines. Il s’est engagé délibérément, et souvent le premier, hors des sentiers battus. Dans ce territoire-là, nos chemins se sont parfois croisés depuis la fin des années 1970. J’en ai tiré un bénéfice évident que j’ai tenté de raconter en décrivant une partie de nos cheminements respectifs. Malgré les réactions et l’irritation notées parfois à la suite de la publication de certains de ses papiers et surtout de La longue marche de la modernité africaine, je n’ai pas eu connaissance d’une critique systématique de ses travaux, y compris parmi les radicaux africains qu’il interpelle dans ce livre. En 2010, il a également lancé un appel aux intellectuels africains, dans des termes qui m’ont profondément ému, en leur demandant de ne pas abandonner