Salon de 1847. Theophile Gautier
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Un ciel épais comme l’ivresse, noir comme la mort, et que zèbrent à sa portion inférieure quelques estafilades rouges que l’on prendrait pour des coups de sabre, l’aurore qui se lève louche et sanglante sur une crête de collines sombres, sert de fond à la figure qui tient d’une main le glaive, et de l’autre élève la tête d’Holopherne, qu’elle semble montrer aux habitants de Béthulie, qu’on ne voit pas, mais qu’on peut supposer penchant le corps hors des créneaux, et s’élançant, par les portes trop étroites, au-devant de la libératrice.
M. Ziégler a cherché pour sa Judith un type oriental et cruel qu’il a réalisé à souhait; cette femme, au corps souple et vigoureux, au teint de bistre, aux cheveux et aux sourcils bleus, aux grands yeux sauvages cernés de grhôl, au nez aquilin, aux lèvres arquées fièrement, malgré sa beauté incontestable, nous semble une mortelle de bien farouche approche, et Holopherne, au moins, n’a pas été pris en traître.
La tête du malheureux général assyrien, que brandit la virago, a encore quelques restes de frisure à la barbe, et une natte à moitié défaite se mêle à ses cheveux coagulés par le sang, détail ingénieux, qui montre que la mort a surpris Holopherne au milieu de voluptés dans une nuit de débauche.
Une tunique brune serrée par une ceinture de cuir, et laissant voir par-dessous une robe blanche richement brodée à la poitrine, quelques coraux dans les cheveux et à la poitrine, forment à l’héroïne de Béthulie une toilette très-pittoresque, mais peut-être un peu trop simple, surtout si l’on songe que, d’après le texte de la Bible, Judith s’était parée de ses plus riches ornements. Peut-être trop de luxe d’étoffes et de pierreries aurait-il dérangé la gamme sobre et l’effet austère que l’artiste s’était donnés pour programme, car il excelle à peindre ces détails et à leur donner la réalité la plus surprenante, comme peut en faire foi la poignée du glaive sur lequel s’appuie la main de la Judith, et dont l’or soutient sans peine le voisinage de la dorure du cadre auquel elle touche presque.
Ce tableau, d’un aspect ferme et décidé, rappelle pour la netteté des contours, la localité rembrunie des chairs et des étoffes, le caractère violent et sombre de la composition, certains maîtres de l’école espagnole, Alonzo Cano ou Juan Valdez Leal.
Outre la Judith, M. Ziégler. a exposé une Vision de Jacob, où le rêve biblique est interprété d’une façon nouvelle. — Le jeune pasteur, étendu sur un lit de mousse et de gazon, répand ses cheveux d’or comme les flots d’une urne sur la pierre qui lui sert d’oreiller. Le sommeil a jeté sa poudre sous ses paupières baissées, mais il voit des yeux de l’âme.
Ceci, c’est la partie réelle du tableau, et tout y est peint avec une conscience minutieuse destinée à faire valoir la partie fantastique et vaporeuse: Les rayons du soleil dorent tout ce premier plan avec une intention peut-être un peu trop marquée.
A partir de là, nous faisons un voyage dans le bleu, mais dans un bleu d’un outremer encore plus foncé que celui de Ticck. Toute la vision est illuminée par une lumière de grotte d’azur dont il est très-difficile d’apprécier la vérité. Dans cette atmosphère de feux de Bengale se déroule toute une théorie de figures angéliques remontant et descendant l’échelle mystérieuse; ces esprits révèlent l’avenir au dormeur en lui présentant divers symboles. Le moment choisi est celui où passe le groupe des anges portant les emblèmes des arts; la houlette des pasteurs, la gerbe du laboureur, les grappes de la vigne, les fruits des vergers et les fleurs des jardins précèdent ceux qui portent les symboles de la musique, de l’architecture et de l’art céramique, — ô grès de Voisinlieu, que faites-vous ici? — Viennent ensuite les anges qui représentent la peinture, la sculpture, la gravure, la poésie; puis enfin, sur un plan éloigné, des figures voilées qui révéleront à Jacob les arts à venir encore ignorés de nous.
Nous empruntons à M. Ziégler lui-même cette explication d’une ingéniosité un peu laborieuse. Le songe de Jacob serait alors la révélation des destinées de l’humanité.
Il y a dans cette foule angélique de charmantes figures, des poses et des tournures d’une grâce ravissante, et qu’on apprécierait davantage, si tout cela n’était baigné de cette lueur bizarre qui ôte aux tons leur valeur relative, et donne à ce côté de la composition un aspect de camaïeu. Dans les paysages élyséens de Breughel de Paradis, il y a des lointains vaporeux d’une tendresse azurée tout à fait idéale, et dont M. Ziégler aurait pu emprunter quelques nuances pour colorer plus mollement sa vision.
Ces deux tableaux si différents l’un de l’autre montrent chez M. Ziégler un esprit inquiet, chercheur, toujours en quête de nouvelles voies. — Certes, le peintre de Giotto, du Saint Georges, du Saint Luc peignant la Vierge, etc., n’avait qu’à suivre le chemin où ses premiers pas s’étaient empreints si fortement, et n’avait pas besoin de se mettre à la poursuite d’autres théories et d’autres manières: eh bien! chaque année il se lance après un nouveau rêve, et ne garde de lui que cette précision de touche et cette maestria de pinceau à laquelle on le reconnaît toujours. La peinture même ne lui suffit pas, et jetant sa palette de côté il cherche le galbe d’un vase et le profil d’une anse. Moins spirituel et moins ingénieux, il serait peut-être un plus grand peintre. Il a trop cédé aux curiosités de son esprit et disséminé de puissantes facultés d’invention et d’exécution.
Le même sujet de la Vision de Jacob a été traité dans des dimensions colossales par un peintre bavarois récemment naturalisé français, M. Laëmlein. Il y a du mérite et de l’originalité dans cette grande toile, placée trop haut pour que l’on puisse apprécier sûrement les finesses de l’exécution: le Jacob renversé en arrière palpite bien sous la vision; les anges et les figures mystiques ont des tournures assez fières et se campent sur les marches de l’escalier avec une certaine crânerie strapassée, et un certain goût, contourné, demi-florentin, demi-rococo, saupoudré d’un peu de Cornelius, qui ne manquent pas d’effet et de ragoût.
Cette tendance à imiter le faire de l’ancienne école française ou des maîtres de la décadence italienne se retrouverait dans beaucoup d’autres tableaux. Nous ne voyons pas là grand mal. Ces peintres, beaucoup trop méprisés, possédaient des qualités nombreuses, la facilité, l’abondance, la souplesse, le mouvement, et c’était encore des hommes prodigieusement doués que Luca Jordano, Pietre de Cortone, Tiepolo, Carle Maratte, en Italie, et, en France, Jouvenet, Mignard, Subleyras, Natoire, Lemoine, et les autres flamboyants.
M. Hippolyte Flandrin, qui nous a donné cette année un Napoléon si roide, si perpendiculaire, aurait bien fait de les étudier pour s’assouplir un peu.
Quelle étrange aberration que cette figure sans vie, sans couleur, sans modelé, plaquée sur ce fond d’indigo, hissée sur cette espèce de chaise de pierre ou de bois soutenue par un terrain jaunâtre! Dans quel monde cela se passe-t-il? est-ce dans Saturne ou dans Mercure? Assurément, ce n’est pas dans notre globe sublunaire. — Voilà où les conséquences excessives d’une idée systématique peuvent conduire un homme de talent, car il y a même dans cette désastreuse toile beaucoup de science et de mérite.
Nous n’insisterons pas davantage. M. Hippolyte Flandrin a fait les belles peintures murales de Saint-Germain-des-Prés, le meilleur travail et le mieux approprié à sa destination qui, depuis longtemps, ait été exécuté dans les églises. Son Christ entrant à Jérusalem, et se traînant sur le chemin de la croix, demande grâce pour son Napoléon. Et d’ailleurs, nous ne saurions garder rancune au peintre de ces adorables portraits de femme, devant lesquels nous avons passé, aux précédents Salons, tant de douces heures de contemplation silencieuse.