Histoire de la peinture en Italie. Stendhal

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Histoire de la peinture en Italie - Stendhal

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cardinal, qui savait tout, se lève, descend dans l'antichambre de sa belle-sœur, et là se met à se promener tranquillement en disant son bréviaire. La grande-duchesse l'envoie prier de se retirer; elle n'osait lui faire entendre les cris que la douleur allait lui arracher: le cruel cardinal répond froidement: «Dite a sua altezza che attenda pure a fare l'offizio suo, che io dico il mio.—Dites à S. A. que je la supplie de faire son affaire; moi, je fais la mienne.»

      Le confesseur arrive, le cardinal va à lui, l'embrasse pieusement: «Soyez le bienvenu, mon père, la princesse a grand besoin de vos secours,» et, tout en le serrant dans ses bras, il sent facilement un gros garçon que le cordelier apportait dans sa manche. «Dieu soit loué, continue le cardinal, la grande-duchesse est heureusement accouchée, et d'un garçon encore,» et il montre son prétendu neveu aux courtisans ébahis.

      Bianca entendit ce propos de son lit: on juge de sa fureur par l'ennui et le ridicule d'une si longue comédie. L'amour du grand-duc lui ôtait toute inquiétude sur les suites de sa vengeance. Une occasion se présente; ils étaient tous les trois à la belle villa de Poggio a Cajano, où ils avaient la même table. La duchesse, remarquant que le cardinal aimait fort le blanc-manger, en fit apprêter un qui était empoisonné. Le cardinal fut averti; il ne laissa pas de se rendre à table comme à l'ordinaire. Malgré les instances réitérées de sa belle-sœur, il ne veut pas toucher à ce plat; il songeait aux moyens de la convaincre, lorsque le grand-duc dit: «Eh bien! si mon frère ne veut pas de son plat favori, j'en prendrai, moi,» et il s'en sert une assiette. Bianca ne pouvait l'arrêter sans dévoiler le crime, et perdre à jamais son amour. Elle sentit que tout était fini pour elle, et prit son parti avec la même rapidité que jadis, lorsqu'elle trouva fermée la porte de son père. Elle se servit du blanc-manger comme son mari, et tous les deux moururent le 19 octobre 1587. Le cardinal succéda à son frère, prit le nom de Ferdinand Ier, et régna jusqu'en 1608.

      Il faudrait parler de Rome. Fra Paolo a montré les artifices de sa politique savante apparemment avec vérité, puisqu'il en fut assassiné. Pour les détails intérieurs, nous avons Jean Burchard, le maître de cérémonies d'Alexandre VI, qui, avec tout l'esprit de sa charge et de son pays, tenait registre des plaisirs les plus ridicules, mais sans sortir de la gravité. Il écrivait chaque soir. Le pape est toujours pour lui «notre très-saint maître, sanctissimus dominus noster.» C'est un contraste plaisant, mais que je ne pourrais rendre sans m'exposer à passer pour philosophe, et même pour homme à idées libérales, ennemi du trône et de l'autel.

      C'est dans ce siècle de passions, et où les âmes pouvaient se livrer franchement à la plus haute exaltation, que parurent tant de grands peintres: il est remarquable qu'un seul homme eût pu les connaître tous si on le fait naître la même année que le Titien, c'est-à-dire en 1477. Il aurait pu passer quarante ans de sa vie avec Léonard de Vinci et Raphaël, morts, l'un en 1520, et l'autre en 1519; vivre de longues années avec le divin Corrége, qui ne mourut qu'en 1534, et avec Michel-Ange, qui poussa sa carrière jusqu'en 1563.

      Cet homme si heureux, s'il eût aimé les arts, aurait eu trente-quatre ans à la mort de Giorgion. Il eût connu le Tintoret, le Bassan, Paul Véronèse, le Garofolo, Jules Romain, le Frate, mort en 1517, l'aimable André del Sarto, qui vécut jusqu'en 1530; en un mot, tous les grands peintres, excepté ceux de l'école de Bologne, venus un siècle plus tard.

      Tout à coup un mauvais génie, l'usurpateur Ludovic Sforce, duc de Milan, appelle Charles VIII. En moins de onze mois, ce jeune prince entre dans Naples en vainqueur, et à Fornoue est forcé de se faire jour l'épée à la main pour se sauver en France. Le même sort poursuit ses successeurs, Louis XII et François Ier. Enfin, depuis 1494 jusqu'en 1544, la malheureuse Italie fut le champ de bataille où la France, l'Espagne et les Allemands vinrent se disputer le sceptre du monde.

      On peut voir dans les histoires le long tissu de batailles sanglantes, de victoires, de revers, qui élevèrent et abaissèrent tour à tour la fortune de Charles-Quint et de François Ier. Les noms de Fornoue, de Pavie, de Marignan, d'Aignadel, ne sont pas tout à fait tombés en oubli, et la voix des hommes répète encore quelquefois avec eux les noms de Bayard, des connétable de Bourbon, des Pescaire, des Gaston de Foix, et de tous ces vieux héros qui versèrent leur sang dans cette longue querelle et trouvèrent la mort aux plaines d'Italie.

      Ainsi, l'époque brillante de la peinture fut préparée par un siècle de repos, de richesses et de passions; mais elle fleurit au milieu des batailles et des changements de gouvernement.

      FLORENCE.

      A la fin du quinzième siècle, à cette époque de bonheur citée par Guichardin, l'Italie offre un aspect politique fort différent du reste de l'Europe. Partout ailleurs, de vastes monarchies; ici, une foule de petits États indépendants. Un seul royaume, celui de Naples, est entièrement éclipsé par Florence et Venise.

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