Cet obscur objet du désir / Этот смутный объект желания. Книга для чтения на французском языке. Пьер Луис

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Cet obscur objet du désir / Этот смутный объект желания. Книга для чтения на французском языке - Пьер Луис Littérature classique (Каро)

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style="font-size:15px;">      Peu à peu, j’en vins à passer la journée entière en famille. Je subvenais aux dépenses et même aux dettes, qui devaient être considérables, si j’en juge par ce qu’elles me coûtèrent. Ceci était plutôt une recommandation et d’ailleurs aucun bruit ne courait dans le quartier. Je me persuadai facilement que j’étais le premier ami de ces pauvres femmes solitaires.

      Sans doute, je n’avais pas eu grand-peine à devenir leur familier; mais un homme s’étonne-t-il jamais des facilités qu’il obtient? Un soupçon de plus aurait pu me mettre en garde, auquel je ne m’arrêtai point: je veux dire l’absence de mystères et de contrainte à mon égard. Il n’y avait jamais d’instant où je ne pusse entrer dans leur chambre. Concha, toujours affectueuse, mais toujours réservée, ne faisait aucune difficulté pour me rendre témoin même de sa toilette. Souvent, je la trouvais couchée le matin, car elle se levait tard depuis qu’elle était oisive. Sa mère sortait, et elle, ramenant ses jambes dans le lit, m’invitait à m’asseoir près de ses genoux réunis.

      Nous causions. Elle était impénétrable.

      J’ai vu à Tanger des Mauresques en costume, qui entre leurs deux voiles ne laissaient nus que leurs yeux, mais par là, je voyais jusqu’au fond de leur âme. Celle-ci ne cachait rien, ni sa vie ni ses formes, et je sentais un mur entre elle et moi.

      Elle paraissait m’aimer. Peut-être m’aimait-elle. Aujourd’hui encore, je ne sais que penser. À toutes mes supplications, elle répondait par un «plus tard» que je ne pouvais pas briser. Je la menaçai de partir, elle me dit: «Allez-vous-en.» Je la menaçai de violence, elle me dit: «Vous ne pourrez jamais.» Je la comblai de cadeaux, elle les accepta, mais avec une reconnaissance toujours consciente de ses bornes.

      Pourtant, quand j’entrais chez elle, une lumière naissait dans ses yeux, qui n’était point artificieuse.

      Elle dormait neuf heures la nuit, et trois heures au milieu du jour. Ceci excepté, elle ne faisait rien. Quand elle se levait, c’était pour s’étendre en peignoir sur une natte fraîche, avec deux coussins sous la tête et un troisième sous les reins. Jamais je ne pus la décider à s’occuper de quoi que ce fût. Ni un travail d’aiguille, ni un jeu, ni un livre ne passèrent entre ses mains depuis le jour où, par ma faute, elle avait quitté la Fabrique. Même les soins du ménage ne l’intéressaient pas: sa mère faisait les chambres, les lits et la cuisine, et chaque matin passait une demi-heure à coiffer la chevelure pesante de ma petite amie encore mal éveillée.

      Pendant toute une semaine, elle refusa de quitter son lit. Non pas qu’elle se crût souffrante, mais elle avait découvert que s’il était inutile de se promener sans raison dans les rues, il était encore plus vain de faire trois pas dans sa chambre et de quitter les draps pour la natte, où le costume de rigueur gênait sa nonchalance. Toutes nos Espagnoles sont ainsi: à qui les voit en public, le feu de leurs yeux, l’éclat de leur voix, la prestesse de leurs mouvements paraissent naître d’une source en perpétuelle éruption; et pourtant, dès qu’elles se trouvent seules, leur vie coule dans un repos qui est leur grande volupté. Elles se couchent sur une chaise longue dans une pièce aux stores baissés; elles rêvent aux bijoux qu’elles pourraient avoir, aux palais qu’elles devraient habiter, aux amants inconnus dont elles voudraient sentir le poids chéri sur leur poitrine. Et ainsi se passent les heures.

      Par sa conception des devoirs journaliers, Concha était très espagnole. Mais je ne sais de quel pays lui venait sa conception de l’amour; après douze semaines de soins assidus, je retrouvais, dans son sourire, à la fois les mêmes promesses et les mêmes résistances.

      Un jour, enfin, hors d’état de souffrir plus longtemps cette perpétuelle attente et cette préoccupation de toutes les minutes, qui troublaient ma vie au point de la rendre inutile et vide depuis trois mois vécus ainsi, je pris à part la vieille femme en l’absence de son enfant et je lui parlai à cœur ouvert, de la façon la plus pressante.

      Je lui dis que j’aimais sa fille, que j’avais l’intention d’unir ma vie à la sienne, que, pour des raisons faciles à entendre, je ne pouvais accepter aucun lien avoué, mais que j’étais résolu à lui faire partager un amour exclusif et profond dont elle ne pouvait prendre offense.

      – J’ai des raisons de croire, dis-je en terminant, que Conchita m’aimerait, mais se défie de moi. Si elle ne m’aime point, je n’entends pas la contraindre; mais si mon seul malheur est de la laisser dans le doute, persuadez-la.

      J’ajoutai qu’en retour, j’assurerais non seulement sa vie présente, mais sa fortune personnelle à l’avenir. Et, pour ne laisser aucun doute sur la sincérité de mes engagements, je remis à la vieille une très forte liasse, en la chargeant d’user de son expérience maternelle pour assurer l’enfant qu’elle ne serait point trompée.

      Plus ému que jamais, je rentrai chez moi. Cette nuit-là, je ne pus me coucher. Pendant des heures je marchai à travers le patio de ma maison, par une nuit admirable et déjà fraîche, mais qui ne suffisait pas à me calmer. Je formais des projets sans fin, en vue d’une solution que je voulais prévoir bienheureuse. Au lever du soleil, je fis couper toutes les fleurs de trois massifs et je les répandis dans l’allée, sur l’escalier, sur le perron pour faire à ses pas jusqu’à moi une avenue de pourpre et de safran. Je l’imaginais partout, debout contre un arbre, assise sur un banc, couchée sur la pelouse, accoudée derrière les balustres ou levant les bras dans le soleil jusqu’à une branche chargée de fruits. L’âme du jardin et de la maison avait pris la forme de son corps.

      Et voici qu’après toute une nuit d’une attente insupportable et après une matinée qui semblait ne devoir plus finir, je reçus vers onze heures, par la poste, une lettre de quelques lignes. Croyez-le sans peine, je la sais encore par cœur.

      Elle disait ceci:

      «Si vous m’aviez aimée, vous m’auriez attendue. Je voulais me donner à vous; vous avez demandé qu’on me vendît. Jamais plus vous ne me reverrez.

      «Conchita.»

      Deux minutes après, j’étais à cheval, et midi n’avait pas sonné quand j’arrivai à Séville, presque étourdi de chaleur et d’angoisse.

      Je montai rapidement, je frappai vingt fois.

      Le silence.

      Enfin une porte s’ouvrit derrière moi, sur le même palier, et une voisine m’expliqua longuement que les deux femmes étaient parties le matin dans la direction de la gare, avec leurs paquets, et qu’on ne savait même pas quel train elles avaient pris.

      – Elles étaient seules? demandai-je.

      – Toutes seules.

      – Pas d’homme avec elles? Vous êtes sûre?

      – Jésus! je n’ai jamais vu d’autre homme que vous en leur compagnie.

      – Elles n’ont rien laissé pour moi?

      – Rien; elles sont brouillées avec vous, si je les crois.

      – Mais reviendront-elles?

      – Dieu le sait. Elles ne me l’ont pas dit.

      – Il faudra bien qu’elles reviennent pour chercher leurs meubles.

      – Non. La maison est meublée. Tout ce qui leur appartenait, elles l’ont pris. Et maintenant, seigneur, elles sont loin.

      VII. Qui

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