Orgueil et préjugés. Jane Austen
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» — Non certainement pas au premier abord, mais elles causent agréablement. Miss Bingley doit vivre avec son frère, et je me tromperais bien si nous ne trouvions en elle une charmante voisine.“
Élisabeth écouta en silence, mais ne fut pas convaincue. Douée d’une grande pénétration, d’un caractère moins facile que sa sœur et d’un jugement froid que des attentions personnelles ne pouvaient influencer, elle était très-peu portée à admirer ces dames; d’ailleurs, leur conduite au bal n’en avait pas donné, en général, une idée très-favorable.
C’étaient, en un mot, des élégantes affichées, extrêmement fières et suffisantes; mais pouvant, lorsqu’elles le voulaient, être gaies et aimables. Elles étaient assez belles, avaient été élevées dans une des premières pensions de Londres, possédaient une fortune de vingt mille livres sterl., et savaient fort bien dépenser plus que leurs revenus. Elles fréquentaient les gens du bel air, et ainsi étaient naturellement portées à bien penser d’elles, et mal des autres. Elles appartenaient à une famille respectable du Nord de l’Angleterre, et la fortune de leur frère, ainsi que la leur, avait été acquise dans le commerce, circonstance qui leur déplaisait fort et qu’elles auraient bien voulu faire oublier.
M. Bingley hérita de cent mille livres sterlings à la mort de son père, dont l’intention avait été d’acheter une terre. Son fils le désirait également; mais ayant maintenant la possession d’une maison et d’un parc fort agréables, ceux qui connaissaient la facilité de son caractère pensaient qu’il pourrait bien passer sa vie à Netherfield et laisser à ses successeurs le soin de faire cette acquisition.
Ses sœurs désiraient qu’il possédât une terre; mais, bien qu’il eût seulement loué Netherfield, miss Bingley consentit avec plaisir à faire les honneurs de sa table, et Mme Hurst, qui avait épousé un homme à la mode, mais peu riche, était aussi très-disposée à considérer, quand cela l’accommodait, la maison de son frère comme la sienne.
M. Bingley n’avait pas été majeur deux ans lorsqu’il fut tenté, par la recommandation d’un de ses amis, de visiter le château de Netherfield: il le considéra pendant une demi-heure, fut charmé de la beauté de la vue, satisfait des avantages dont le propriétaire l’assurait, et l’arrêta sur-le-champ.
En dépit de la différence du caractère de Bingley et de Darcy, il existait entre eux une sincère amitié: la franchise, la vivacité, la flexibilité d’humeur de Bingley l’avaient rendu cher à Darcy. Bingley comptait réellement sur l’attachement de Darcy, et avait une haute opinion de son jugement; Darcy avait plus de pénétration que son ami. Bingley n’était certainement pas un sot; mais Darcy était instruit. Ce dernier était également fier, réservé, dédaigneux, et ses manières, quoique distinguées, n’étaient point engageantes. De ce côté-là, son ami avait sur lui de grands avantages: Bingley, partout où il se présentait, était sûr d’être aimé; Darcy offensait continuellement quelqu’un. Leur conversation au sujet du bal de Meryton peut donner une idée de leurs caractères. Bingley n’avait de sa vie rencontré autant de gens aimables ni de plus jolies femmes; il avait reçu mille marques de civilité, et n’y avait vu ni roideur ni cérémonie. Il eut bientôt fait connaissance avec toutes les personnes de l’assemblée; et quant à Mlle Bennet, rien, selon lui, ne pouvait la surpasser. Darcy, au contraire, n’avait vu qu’une réunion de personnes qui possédaient peu de beauté et point d’élégance; nulle d’elles ne lui avait inspiré le moindre intérêt, fait la plus légère politesse ou procuré un instant de plaisir. Il avoua que Mlle Bennet était jolie, mais qu’elle souriait trop souvent. Mme Hurst et miss Bingley furent de son avis; cependant elles avaient trouvé Mlle Bennet à leur gré, et dirent qu’elles seraient charmées de cultiver sa connaissance. On prononça donc qu’Hélen était charmante, et Bingley se crut par là autorisé à en penser ce qu’il voulait.
CHAPITRE V
À peu de distance de Longbourn vivait une famille avec laquelle les Bennet étaient étroitement liés. Sir William Lucas, autrefois négociant à Meryton, possédait une jolie fortune. Ayant exercé honorablement l’office de maire, il avait obtenu du roi le titre de chevalier. Cette faveur avait peut-être été trop fortement sentie; car elle le dégoûta de son commerce et de la petite ville où il demeurait; il les quitta tous deux et vint, avec sa famille, habiter une maison à un mille de Meryton, connue depuis sous le nom de Lucas-Lodge. Ici, il pouvait penser avec plaisir à sa nouvelle dignité et, libre de toute affaire, s’occuper uniquement à fêter ses voisins; car, quoique vain de son titre, il n’était point dédaigneux: au contraire, il ne se plaisait qu’à combler d’honnêtetés tous ceux qui le fréquentaient. Naturellement doux, amical et obligeant, sa présentation à Saint-James l’avait mis tout à fait sur le pied d’homme de cour.
Lady Lucas était une bonne femme, d’un esprit très-ordinaire. Ils avaient plusieurs enfans, dont une fille, entre autres, âgée de vingt-sept ans, douée d’autant d’esprit que de sensibilité, amie intime d’Élisabeth. Se voir et causer ensemble du bal de la veille était pour les demoiselles une chose indispensable. Le lendemain donc, la famille Lucas se rendit à Longbourn, et d’abord: „Vous commençâtes bien votre soirée d’hier, Charlotte, dit Mme Bennet; vous avez dansé la première avec M. Bingley.
» — Oui, mais son second choix…
» — Oh! vous voulez dire Hélen; il l’a demandée deux fois. Il est vrai que cela pouvait faire croire qu’il la trouvait à son goût: je m’en suis un peu doutée; je sais qu’il en a dit quelque chose à M. Robinson.
» — Peut-être parlez-vous de la conversation qu’il eut avec M. Robinson; ne vous ai-je pas dit que je l’avais entendue? M. Robinson lui demandait comment il trouvait l’assemblée de Meryton; s’il ne croyait pas qu’il y eût beaucoup de jolies femmes dans ce salon, et laquelle il trouvait la plus belle. À cette dernière question, il répondit avec vivacité: „Oh! l’aînée des demoiselles Bennet; il ne peut y avoir deux opinions sur ce point.
» — Ah! ah! vraiment, c’était se déclarer assez; cela aurait un air de…; mais ce ne sont que des conjectures.
» — Mes rapports sont plus flatteurs pour votre mère que les vôtres, Éliza, dit Charlotte; il vaut mieux écouter M. Bingley que son ami, n’est-ce pas? Pauvre Éliza! n’être que passable!
» — Je vous prie de ne point persuader à Lizzy qu’elle doive s’offenser de cette impertinence; car c’est un homme si ennuyeux que je serais fâchée qu’elle lui eût plu. Mme Long m’a dit, hier au soir, qu’il avait été assis auprès d’elle pendant plus d’une demi-heure, mais n’avait pas daigné ouvrir la bouche.
» — En êtes-vous bien sûre, maman? Je crois que vous vous trompez, j’ai certainement vu M. Darcy lui parler, dit Hélen.
» — Oh! parce qu’elle lui demanda s’il aimait Netherfield, il fut obligé de répondre; mais il paraissait très-fâché qu’on eût pris la liberté de lui adresser la parole.
» — Mlle Bingley m’a dit, reprit Hélen, qu’il parlait fort peu aux étrangers, mais qu’avec ses amis il était extrêmement aimable.
» — Je ne le crois pas, ma chère; s’il avait été si aimable, il eût causé avec Mme Long. Mais je me doute bien de ce qu’il en est: on dit qu’il est d’une fierté intolérable, et je pense qu’il aura su que Mme Long n’avait point d’équipage, et qu’elle était venue au bal dans une chaise de poste.