Orgueil et préjugés. Jane Austen
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Orgueil et préjugés - Jane Austen страница 6
» — Sa fierté, dit Mlle Lucas, ne me paraît pas aussi ridicule que la fierté le semble ordinairement; car on ne peut guère s’étonner qu’un jeune homme beau, riche et d’une famille distinguée pense bien de lui-même. Je crois qu’il a le droit d’être fier, si j’ose m’exprimer ainsi.
» — Cela est très-vrai, répondit Élisabeth; et je lui pardonnerais facilement sa fierté s’il n’eût blessé la mienne.
» — L’orgueil, observa Mary, qui se piquait de réfléchir et de moraliser, est de tous les vices, je crois, le plus commun. Par tout ce que j’ai lu, je suis convaincue que c’est une faiblesse attachée à la nature humaine et qu’il y a peu de personnes qui ne tirent vanité de quelques qualités réelles ou imaginaires. La vanité et la fierté sont deux choses bien différentes; une personne peut être fière sans être vaine. La fierté provient ordinairement de l’opinion que nous avons de nous-mêmes, et la vanité de celle que nous désirons que les autres aient de nous.
» — Si j’étais aussi riche que M. Darcy, dit un des jeunes Lucas, qui avait accompagné ses sœurs, je serais au moins aussi fier que lui: j’aurais une meute de chiens et je boirais une bouteille de vin tous les jours.
» — Alors, vous boiriez beaucoup trop, dit Mme Bennet.“
Le jeune homme protesta le contraire; il s’ensuivit une discussion sur la tempérance, qui dura jusqu’à la fin de la visite.
CHAPITRE VI
Les dames de Longbourn et celles de Netherfield ne tardèrent pas à se voir; des visites réciproques furent faites et rendues, selon l’usage: les manières engageantes de Mlle Bennet plurent à Mme Hurst et à miss Bingley, et, bien qu’elles eussent trouvé Mme Bennet insupportable et les jeunes sœurs insipides, elles témoignèrent cependant aux deux aînées le désir de les voir souvent. Hélen reçut leurs attentions avec plaisir; mais Élisabeth, y voyant une certaine hauteur, même à l’égard de sa sœur, ne pouvait s’en accommoder, quoiqu’elle reconnût d’ailleurs le prix de leurs bontés pour Hélen comme provenant probablement de l’influence du frère. Il était évident qu’en toutes occasions M. Bingley témoignait à Hélen une préférence marquée. Élisabeth s’aperçut que sa sœur pensait à lui avec plaisir et ne tarderait pas à l’aimer sérieusement; mais elle sentit quelque joie à réfléchir que le monde ne découvrirait pas facilement cette inclination; car Hélen unissait à une extrême sensibilité une tranquillité d’âme et une humeur égale, qui la préservaient des soupçons des curieux. Elle confia cette pensée à Mlle Lucas.
„On peut désirer, en pareil cas, répondit Charlotte, de cacher au public ses sentimens; mais quelquefois il y a un désavantage à être tellement sur ses gardes. Si une femme cache avec le même soin son inclination à celui qui en est l’objet, elle peut perdre les moyens de le fixer, et alors ce ne sera pour elle qu’une triste consolation de savoir que le monde ignore son chagrin. Il y a tant de reconnaissance ou de vanité dans un attachement, en général, qu’il n’est pas prudent de concentrer tout en soi. Nous commençons facilement; une légère préférence est une chose naturelle; mais peu de personnes ont la constance de former un attachement sérieux sans quelque encouragement. Il y a mille circonstances où une femme fait mieux de témoigner plus qu’elle ne sent. Votre sœur plaît à M. Bingley, sur cela il ne peut y avoir de doutes; mais il est bien possible qu’il en demeure là, à moins qu’elle ne l’aide un peu.
» — Mais elle l’encourage autant que possible: si moi je m’aperçois de la préférence qu’elle a pour lui, il faudrait qu’il fût bien simple pour ne le pas voir aussi.
» — Rappelez-vous, Éliza, qu’il ne connaît pas comme vous le caractère de votre sœur.
» — Mais si une femme éprouve un sentiment particulier pour un homme et ne cherche pas à le cacher, c’est à lui à le découvrir.
» — Cela peut être s’il la voit très-souvent; mais, bien que Bingley et Hélen se rencontrent fréquemment, ils ne sont jamais ensemble que quelques heures; et alors, entourés d’une nombreuse société, ils ne peuvent converser que peu de temps l’un avec l’autre: Hélen devrait donc profiter des momens où elle le voit; quand elle sera sûre de ses sentimens, alors elle pourra l’aimer tout à son aise.
» — Votre plan est fort bon, dit Élisabeth, lorsqu’il ne s’agit que du désir d’être bien mariée, et je l’adopterais, je crois, si j’étais déterminée à avoir un mari quelconque; mais ce ne sont pas là les sentimens d’Hélen: elle n’agit par aucun dessein prémédité, je suis même très-persuadée qu’elle ne croit pas, jusqu’à présent, être attachée à M. Bingley. Elle ne le connaît que depuis quinze jours, ils ont dansé ensemble quatre contredanses à Meryton, et elle a dîné cinq fois avec lui; cela n’est vraiment pas suffisant pour connaître le caractère d’un homme.
» — Non, si elle n’eût fait que dîner avec lui, elle n’aurait pu que s’assurer quel était son appétit, mais il faut vous rappeler qu’ils ont passé cinq soirées ensemble; et cinq soirées font beaucoup!
» — Oui, ces cinq soirées les ont mis à même de savoir qu’ils préfèrent tous deux le vingt et un au jeu de commerce, mais je ne vois pas que par-là ils se puissent bien connaître.
» — Eh bien, dit Charlotte, je souhaite à Hélen bien du succès; et si elle épousait M. Bingley demain, je pense qu’elle aurait autant de chances d’être heureuse que si elle eût étudié son caractère pendant un an. Le bonheur, dans le mariage, n’est que l’effet du hasard: les personnes ont beau sympathiser avant de se marier, elles changent toujours trop tôt, et, selon moi, il est bon de connaître aussi peu que possible les défauts de celui avec lequel vous devez passer votre vie.
» — Vous plaisantez, Charlotte; mais ce que vous dites n’est pas judicieux, vous le savez, et je suis sûre que vous ne vous conduiriez pas d’après ces maximes-là.“
Occupée à observer la conduite de M. Bingley envers Hélen, Élisabeth était loin de soupçonner qu’elle devenait elle-même un objet intéressant aux yeux de M. Darcy. D’abord, à peine avait-il avoué qu’elle fût jolie; il la regarda au bal sans le moindre plaisir, et, lorsqu’il la rencontra le jour suivant, il ne la considérait que pour la critiquer; mais il n’eut pas plutôt démontré à ses amis qu’elle avait à peine un joli trait qu’il s’aperçut que sa physionomie était remarquablement animée par l’expression de ses beaux yeux noirs. À cette découverte il en succéda d’autres également mortifiantes: bien qu’à force de chercher il eût surpris quelques défauts dans ses formes, il se vit forcé d’avouer que sa taille, tout ensemble, était légère et gracieuse; et, après avoir assuré que ses manières n’étaient pas celles d’une femme du bel air, il se laissa séduire par son aisance et sa gaîté. Elle, de son côté, ignorant tout ceci, ne voyait en lui que l’homme qui ne plaisait à personne et qui ne l’avait pas trouvée assez jolie pour la faire danser.
Il désira la mieux connaître, et, avant de discourir avec elle, voulut écouter sa conversation: elle s’en aperçut bientôt. C’était chez sir William Lucas, où une nombreuse société se trouvait assemblée.
„Quel motif peut avoir M. Darcy, dit-elle à Charlotte, de m’écouter ainsi lorsque je m’entretiens avec le colonel Forster?
» — Voilà une question que M. Darcy peut seul résoudre.
» — Mais, s’il