Le pouce crochu. Fortuné du Boisgobey

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Le pouce crochu - Fortuné du Boisgobey

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il est l’associé de mon père.

      – Quoi! vous seriez…

      – Julien Gémozac, mademoiselle, et je bénis le hasard qui me met à même de vous être utile.

      Camille, étonnée et charmée, regarda plus attentivement son protecteur improvisé et, pour la première fois, depuis qu’elle l’avait rencontré, elle s’aperçut que M. Julien était un charmant cavalier.

      Ce fils d’un opulent industriel avait l’air d’un jeune pair d’Angleterre: des traits réguliers, des cheveux blonds bouclant naturellement, de longues moustaches soyeuses, – des moustaches à accrocher les cœurs, – un teint blanc, de grands yeux bleus et une bouche un peu dédaigneuse.

      Cette figure aristocratique respirait la franchise et la bonté.

      De son côté, Julien admirait la beauté plus sévère de Camille et se reprochait d’avoir pris un instant pour une aventurière la fille d’un inventeur en passe de s’illustrer et de gagner une grosse fortune.

      À vrai dire, l’erreur était excusable, étant données la conduite de mademoiselle Monistrol dans la baraque et la toilette bizarre qu’elle portait.

      L’ami qui assistait à cette explication se taisait, mais son sourire railleur disait assez qu’il ne croyait guère à l’innocence d’une jeune personne qui s’échappait du logis paternel pour courir en déshabillé après un saltimbanque.

      Le sergent de ville n’avait pas les mêmes raisons pour rester neutre, et il entra en scène assez brutalement.

      – C’est pas tout ça, dit-il. Vous avez troublé le spectacle. Il faut me suivre au poste. Vous vous expliquerez avec le brigadier.

      – Au poste! murmura Camille en se serrant contre son défenseur.

      Le moment était venu pour Julien d’intervenir carrément. Il était persuadé que Camille ne mentait pas, et il ne pouvait pas abandonner la fille du nouvel associé de son père. Peut-être aurait-il hésité si elle eût été laide, mais pour une femme, la beauté est le meilleur des passeports, et il se sentait tout disposé à pousser l’aventure jusqu’au bout.

      – Je réponds de mademoiselle, dit-il.

      – Très bien, mais je ne vous connais pas, grommela le sergent de ville.

      – Vous connaissez peut-être le nom de mon père… Pierre Gémozac.

      – Celui qui a la grande usine du quai de Jemmapes. Un peu que je le connais! Mon frère y travaille.

      – Eh! bien, moi, j’y demeure. Voici ma carte et si vous voulez venir m’y demander demain, vous m’y trouverez de midi à deux heures.

      – Avec mademoiselle? dit le sergent de ville, qui avait à l’occasion le mot pour rire.

      – J’habite chez mon père, répliqua vertement Camille. S’il faisait jour, vous verriez d’ici la maison… et si vous ne me croyez pas, vous pouvez m’accompagner jusqu’à la porte. Mais vous feriez mieux d’arrêter l’homme qui vient de nous voler vingt mille francs. Il est là, dans cette baraque…

      – Bon! nous verrons çà demain. La troupe ne déménagera pas avant la fin de la foire. Je vais faire mon rapport au brigadier et lui remettre la carte de monsieur.

      – Parfaitement, mon brave. Vous lui direz que je me tiens à sa disposition. Rien ne l’empêchera d’ailleurs de se renseigner aussi chez M. Monistrol.

      – Au numéro 292 du boulevard Voltaire, ajouta Camille, qui avait retrouvé tout son sang-froid. Mais ne me retenez pas. Mon père a été maltraité par ce misérable, et, en supposant qu’il ne soit pas blessé, il doit être inquiet de moi…

      – Après tout, murmura le sergent de ville, vous n’avez pas fait grand mal, puisqu’il n’y a pas eu de batterie. Rentrez chez vous, mademoiselle, et ne recommencez plus.

      – Merci, mon brave, dit Gémozac, et comptez sur moi. Si votre frère est bon ouvrier, on le fera passer contremaître. Prenez mon bras, mademoiselle.

      Camille ne se fit pas prier. Elle voyait maintenant le danger qu’elle avait couru, elle sentait qu’elle avait eu tort de se lancer dans cette sotte aventure, et elle ne songeait plus qu’à rassurer son père.

      L’explication n’avait eu pour témoins que l’ami de Gémozac et quelques gamins, car elle avait pris fin à trente pas de l’estrade, et à cette heure avancée, le vide s’était fait sur la place du Trône. La fée était entrée dans la baraque pour annoncer à Zig-Zag qu’on emmenait au poste la fille qui s’était permis de l’interpeller pendant ses exercices. Le sergent de ville s’en allait, les mains derrière le dos.

      Camille entraîna son sauveur et les gamins se dispersèrent. Mais l’ami suivit et dit tout bas à Julien:

      – C’est très joli de faire le Don Quichotte, mais n’oublie pas qu’on nous attend à minuit au café Anglais.

      Pour toute réponse, Julien s’arrêta court, lui fit face et le présenta en ces termes:

      – Mademoiselle, voici M. Alfred de Fresnay qui me prie de le nommer à vous et qui se met, comme moi, tout à vos ordres.

      Camille s’inclina pour la forme et Alfred salua, en dissimulant assez mal une grimace de mécontentement.

      Ce gentilhomme n’avait aucun goût pour les entreprises romanesques, et aux demoiselles persécutées, il préférait de beaucoup les horizontales de toute marque.

      – Marchons, je vous en supplie, murmura la jeune fille.

      Julien prit le pas accéléré et il eut le bon goût de ne pas engager une conversation qui n’aurait certes pas intéressé mademoiselle Monistrol dans un pareil moment.

      Il est des cas où la politesse consiste à se taire.

      Alfred marchait la tête basse, en pensant aux drôlesses élégantes qu’il avait invitées à faire la fête au grand Seize, avec d’autres garnements de son espèce.

      Deux minutes après, ils arrivèrent tous les trois devant la palissade que le voleur avait franchie d’un seul bond. Pour le poursuivre, Camille avait dû ouvrir la barrière, et elle n’avait pas pris le temps de la refermer. Elle ne pouvait donc pas s’étonner de la trouver comme elle l’avait laissée, mais elle espérait vaguement y rencontrer son père, qui n’avait pas dû attendre patiemment, au coin du feu, qu’elle revint de l’expédition hasardeuse où elle s’était embarquée. Et non seulement Monistrol n’y était pas, mais aucune lumière ne brillait aux fenêtres de la maisonnette.

      – Il sera sorti pour tâcher de me rattraper, il aura pris une fausse direction, et en ce moment il me cherche, Dieu sait de quel côté! se dit la jeune fille pour se rassurer.

      – Est-ce ici que vous demeurez, mademoiselle? lui demanda Julien.

      – Oui… venez! répondit-elle en prenant les devants.

      Elle courut tout droit à la porte de la maison, qui était restée ouverte comme la barrière et elle pénétra dans le vestibule. L’escalier était au fond, mais elle n’osa pas monter seule.

      – Père,

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